Behaviorisme et Finance Comportementale

Gary Becker: Les raisons de l’explosion des coûts de la santé en fin de vie

La concentration des dépenses vers la fin de vie traduit un comportement plus rationnel qu’on ne le pense, selon une étude aux conclusions provocatrices réalisée par des universitaires réputés de l’Institut Friedman de l’Université de Chicago

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Tout le monde s’oppose à l’acharnement thérapeutique, aux moyens jugés démesurés déployés pour reporter démesurément l’inévitable. Pourtant les dépenses de santé en fin de vie représentent un montant considérable. C’est le quart de toutes les dépenses de santé aux Etats-Unis. La répartition de ces frais est d’ailleurs très inégale puisque 5% des personnes âgées sont à l’origine de la moitié des coûts. Cette concentration des dépenses en fin de vie traduit un comportement plus rationnel qu’on ne le pense, selon une étude aux conclusions provocatrices réalisée par des universitaires réputés de l’Institut Friedman de Chicago*.

Gary Becker, Prix Nobel d’économie, célèbre pour ses travaux de modélisation du comportement humain et auteur du blog économique le plus cité fait partie des auteurs.

Cette étude est particulièrement innovante puisque c’est la première analyse systématique des incitations qui déterminent les dépenses de santé en fin de vie. L’analyse théorique habituelle et la recherche empirique de la valeur de la vie sous-évaluent fortement la valeur de la vie à l’approche de son terme, selon ces chercheurs.

Jusqu’ici les économistes estiment la valeur de la vie à environ 100 000 dollars. Mais les dépenses de santé en fin de vie peuvent dépasser le million de dollars. Comment expliquer cet écart?

Les chercheurs mettent en exergue les principaux facteurs qui justifient le niveau élevé des dépenses en fin de vie. Ils vont même bien plus loin. En étudiant l’impact sur le comportement des découvertes pharmaceutique sur le sida, ils évaluent la valeur de l’espoir d’une prolongation de la vie.

L’un des facteurs ignorés par la théorie traditionnelle et qui pourrait jouer un rôle décisif est le faible coût d’opportunité des dépenses médicales près de la mort. En effet si ses ressources n’ont plus aucune valeur au moment du décès, l’intérêt personnel d’un individu l’amène à dépenser toute sa fortune pour prolonger sa vie de quelques mois. L’idée est renforcée par le fait que la moitié des faillites personnelles sont liées à des dépenses de santé imprévues.

Second facteur inexploré par l’économie classique, la préservation de l’espoir.

 Or elle accroît sensiblement la valeur de la vie selon Becker et ses partenaires. Dans leur langage, les économistes définissent la valeur de l’espoir comme la consommation actuelle de la survie future.

 En termes plus limpides, le fait de savoir aujourd’hui que j’ai la possibilité de vivre demain a une vraie valeur. De même, si un patient est condamné à mourir dans six mois, la valeur de ces six mois est plus modeste que s’il sait par avance qu’il vivra plus longtemps. La valeur de l’espoir accroît la volonté de payer cher des traitements apparemment futiles. Elle conduit aussi à un comportement plus risqué dans le choix entre divers traitements.

 Il lui est préférable d’opter pour une thérapie dont la probabilité de réussite n’est que de 10%, mais qui a le potentiel de prolonger la vie de 10 ans, plutôt que pour une autre ayant 90% de chances de succès, mais qui ne lui donne qu’une année supplémentaire. Cette valeur de l’espoir explique en partie pourquoi diverses personnalités investissent des fortunes dans les programmes de recherche. Christopher Reeve (Superman), devenu tétraplégique et créateur d’une fondation pour paralysés, est un exemple frappant de ce comportement. Michael J. Fox (Retour vers le futur) en est un autre, avec une fondation sur la maladie de Parkinson.

L’altruisme de l’individu est un troisième facteur souvent négligé.

La valeur sociale des soins en fin de vie dépasse en effet la valeur personnelle du même traitement. La prolongation de la vie est ainsi comprise comme une externalité positive pour les membres de la famille ou les contribuables. En effet, un individu refuse généralement de laisser mourir des pauvres gens s’il connaît des technologies capables de les sauver.

Becker et ses collègues ajoutent un quatrième facteur qui concerne les gens en petite santé.

 Les chercheurs estiment que la valeur de la vie est identique pour chacun, que l’on soit fragile ou en bonne santé. L’opinion est loin d’être majoritaire si l’on connaît l’étendue de la littérature liée à la «qualité de vie».

En raison de tous ces éléments, la valeur des soins en fin de vie dépasse celle qui lui est généralement accordée. Peut-on la chiffrer? Becker et ses collègues tentent l’exercice et présentent un modèle d’évaluation de l’espoir pour les porteurs du virus VIH. Cette valeur, exprimée en termes de prix que le patient se dit prêt à payer, peut être considérée comme celle d’une option. Dans leur étude, les chercheurs montrent que, pour les patients qui auront la chance dès sa mise sur le marché en 1997 d’avoir accès au traitement antirétroviral hautement actif (Haart), elle est quatre fois supérieure au niveau traditionnel. Le traitement dit Haart désigne les polythérapies d’antirétroviraux contre le virus VIH. L’introduction de l’AZT (monothérapie) en 1987 avait ajouté quelques mois à l’espérance de vie, celle de Haart environ 10 ans. Pour les patients dont la maladie s’est développée entre 1995 et 1996, le traitement qui débute avec AZT et se poursuit avec Haart double l’espérance de vie par rapport à ceux qui n’ont pas eu accès à l’AZT et sont directement passés à Haart. Les chercheurs montrent que la valeur de l’AZT est égale à 145% de sa valeur «traditionnelle» en 1988 et 469% de cette valeur en 1996.

Ces travaux ont une grande portée scientifique, économique et politique. Ils remettent en question les raisonnements basés sur une analyse coûts et bénéfices des problèmes de santé. C’est pourtant celle qui détermine l’autorisation des nouveaux traitements médicaux.

Becker et ses collègues démontrent aussi l’existence de non-linéarité dans l’évaluation de la vie.

 La valeur de la vie n’est en effet pas identique selon qu’il reste de longues années à vivre ou non. La finance également s’est fourvoyée dans ses modèles d’évaluation du risque des dérivés de crédit en omettant diverses non-linéarités.

Quoi qu’il en soit, l’idée selon laquelle l’accumulation des soins en fin de vie est inutile est complètement déplacée. Elle ignore complètement l’inélasticité de la demande pour ce type de dépenses.

* Terminal Care and the value of life near its end; Gary Becker, University of Chicago, Tomas Philipson, Dana Goldman (Rand corp and NBER), Kevin Murphy, Milton Friedman Institute, Chicago, janvier 2010.

Par Emmanuel Garessus le temps mars10

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