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La mémoire et l’amer : Dot.com /De la Destruction à la création Schumpétérienne

 D’une bulle à l’autre, en attendant la prochaine. Sans savoir précisément où l’on va. Il y a exactement dix ans s’évaporait brutalement l’un des fantasmes les plus délirants de l’ère industrielle, les dot com. Le mot de la fin “provisoire” Alan le Maestro himself….  

PLUS DE CREATION EN SUIVANT :

Un web encore en pleine gestation, avec seulement 350 millions d’utilisateurs (1,5 milliard aujourd’hui). Le jardin d’Eden s’écroulait. L’indice Nasdaq des principales valeurs technologiques et fantomatiques de l’époque, dévissait. Mettant un point final à cinq années d’euphorie. Dans la foulée (ou presque) ont éclaté les immenses scandales Enron et Worldcom. Citius, altius, fortius. Telle était la devise de cet Olympe hanté par de nouveaux dieux post pubères sortis du fond des garages familiaux avec une présentation power point. Mais sans client aucun.

Les technologies de l’information?

Une transposition de leur univers virtuel précurseur. Auquel il fallait adhérer sans discernement. Sous peine d’être dépassé à tout jamais. Les deux premiers principes olympiens ont été respectés, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire. Le troisième n’a connu qu’avanies.

L’exemple le plus emblématique de ce délire techno-médiatico-télécomatique?

 L’acquisition en 2000 par AOL du géant des médias Time Warner, pour 166 milliards de dollars. Un an plus tard, les thuriféraires de la création de valeur ont vomi. AOL affichait 100 milliards de pertes pour dépréciations d’actifs. L’une des plus incroyables escroqueries systémiques depuis l’affaire des chemins de fer au XIXe apparaissait au grand jour. Avec, aussitôt, les pires exagérations correctives. Les faillites furent innombrables. 

 Cette bulle, avec son afflux de centaines de milliards de dollars, a cependant contribué à l’émergence de la e-réalité, donc du e-commerce. Sans elle, la googelisation de la planète n’eût peut-être jamais été possible. Ou la vodafonisation des télécommunications

Au-delà des amers échecs, les succès ont également été légion. Et durables. En témoignent AOL, eBay, Yahoo ou Amazon, aussi connus aujourd’hui que Coca-Cola ou Nestlé. Ce sont eux qui ont gagné la bataille d’internet. Plus proche de nous et à une moindre échelle, il y eu Swissquote ou LeShop. Ces sociétés suisses, appelées alors start-up (terme devenu péjoratif du jour au lendemain), ont quand même fini par révolutionner notre quotidien. Dix ans plus tard, il ne reste plus rien de l’incroyable traumatisme que l’on annonçait solennellement.

source agefi mars10

EN COMPLEMENTS : 2 extraits de l’indispensable “Temps des Turbulences ” d’Alan “Magic” Greenspan

EXUBERANCE IRRATIONNELLE

La notion d”exubérance irrationnelle m”est venue dans ma baignoire un matin où j”étais en train d”écrire un discours. Mes assistants s”étaient habitués à taper à la machine des brouillons griffonnés sur des bloc- notes jaunes mouillés, tâche que j”ai facilitée en découvrant un stylo dont l”encre ne coule pas. Plongé dans mon bain, je suis heureux comme Archimède en contemplant le monde. C”est dans ma baignoire que j”ai trouvé beaucoup de mes meilleures idées.

Après que le Dow Jones eut dépassé les 6 000 points à la mi-octobre 1996, j”ai cherché l”occasion de parler de la valeur des actifs. Le dîner annuel de l”American Enterprise Association qui devait se tenir le 5 décembre, et dont j”avais accepté de prononcer le discours d”ouverture, me semblait tout indiqué.

Sur le podium, j”ai débité le passage essentiel en observant attentivement la réaction des gens. «Le maintien à long terme de l”inflation à un faible niveau nécessite la réduction de l”incertitude relative à l”avenir, et les primes de risque peu élevées qui lui sont associées impliquent un renchérissement des actions et des autres placements. Mais comment savoir quand l”exubérance irrationnelle a indûment accru la valeur des actifs, qui est ensuite sujette à des contractions inattendues et prolongées, comme elle l”a été au Japon au cours de la décennie précédente ? Et comment prendre en compte cette évaluation dans la politique monétaire ? En tant que responsables d”une banque centrale, nous n”avons pas à nous inquiéter de l”éclatement d”une bulle des actifs financiers dans la mesure où il ne menace pas de porter atteinte à l”économie réelle, à la production, à l”emploi et à la stabilité des prix. La chute brutale du marché boursier en 1987 a ainsi eu peu d”effets négatifs sur l”économie. Mais nous ne devons pas pour autant sous-estimer ni négliger la complexité des interactions entre les marchés des actifs et l”économie.»

Je reconnais que ce n”était pas du Shakespeare. Ce n”était pas facile à avaler, d”autant plus que tout le monde avait bu un verre ou deux pendant le cocktail et que chacun avait hâte de voir le dîner servi. Mais j”avais vu dans l”auditoire des gens se redresser sur leur chaise et tendre l”oreille. Dès la fin de la soirée, les commentaires allèrent bon train. «Le président de la Fed pose la grande question : le marché est-il trop haut ?» écrivit le Wall Street Journal le lendemain.

Mais cela ne calma pas le marché boursier, ce qui ne fit qu”ajouter à mon inquiétude. (…) Les marchés boursiers américains terminèrent l”année en hausse de largement plus de 20% par rapport à l”année précédente.

Et la flambée se poursuivait. Le Dow Jones approchait déjà 7000 points lors de la première réunion de la Fed en 1997, le 4 février. (…) Si nous avions relevé les taux en donnant pour raison que nous voulions maîtriser le marché boursier, cela aurait provoqué une levée de boucliers politique. Nous aurions été accusés de léser le petit investisseur, de saboter les retraites. Je me voyais déjà sur la sellette à la prochaine audition au Congrès. (…) Avec le consentement du comité, j”ai fait au cours des semaines suivantes publiquement allusion à une hausse imminente des taux afin d”éviter de secouer les marchés par une action intempestive. Puis nous nous sommes de nouveau réunis le 25 mars et avons relevé les taux à court terme de 0,25% pour les porter à 5,5%.

Fin mars et début avril, juste après notre réunion, le Dow Jones plongea de 7%, soit près de 500 points. Selon certains, cette chute était une réaction à retardement provoquée par la hausse des taux. Mais en moins de quelques semaines, le mouvement s”inversa et la hausse reprit de plus belle. Le marché récupéra toutes ses pertes et gagna 10% de plus, si bien qu”à la mi-juin il n”était pas loin de 7800 points. Les investisseurs donnaient une leçon à la Fed. Bob Rubin (secré taire au Trésor) avait raison : on ne peut dire quand un marché est surévalué ni lutter contre ses forces. 

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LE BOOM INTERNET

Nous aurions pu deviner que la dernière année du millénaire allait être celle du boom le plus fou. Les marchés américains furent euphoriques en 1999, en partie parce que la crise asiatique ne nous avait pas touchés. Si nous étions passés à travers celle-là, l”avenir restait au beau fixe.

Cet optimisme était contagieux parce qu”il reposait sur des faits. Propulsée par l”innovation technologique et soutenue par la forte demande des consommateurs ainsi que par d”autres facteurs, l”économie poursuivait son essor rapide. Pourtant, si les opportunités étaient réelles, le battage médiatique touchait au surréalisme. On ne pouvait ouvrir le journal ou lire un magazine sans trouver d”articles sur les derniers multi-milliardaires des technologies de pointe. Tout le monde semblait avoir un oncle ou un voisin qui avait fait de gros gains en achetant des actions de start-up Internet. La Fed, dont les règles visant à éviter des conflits d”intérêts nous interdisaient de faire de la spéculation, était sans doute l”un des seuls endroits aux Etats-Unis où l”on pouvait prendre un ascenseur sans entendre quelqu”un donner des tuyaux boursiers.

Le boom Internet étant immanquablement évoqué dans les journaux télévisés, CNBC avait trouvé un truc, l”« indicateur serviette» : lorsque j”arrivais à la Fed le matin les jours de réunion, si ma serviette était mince, cela voulait dire que je n”étais pas préoccupé et que l”économie se portait bien. Si, au contraire, elle était bourrée, j”avais passé la nuit à plancher sur un problème et une hausse des taux se profilait à l”horizon. (A la vérité, l”indicateur serviette manquait d”exactitude. Ma serviette était bourrée lorsque j”y avais fourré mon déjeuner.)

L”indicateur serviette n”était cependant pas le meilleur moyen pour faire comprendre une politique monétaire.

Le boom se poursuivit crescendo jusque tard dans l”année : fin décembre, le Nasdaq avait presque doublé en douze mois (le Dow Jones avait pris 20%). La plupart des gens qui avaient acheté des actions se sentaient pleins aux as, non sans raison. Cela posa à la Fed une question tout à fait intéressante : comment distinguer un essor économique sain, palpitant, et une bulle boursière spéculative, extravagante, mue par les aspects les moins reluisants de la nature humaine ?

Comme je l”ai fait remarquer à la commission bancaire de la Chambre des représentants, la question est d”autant plus compliquée que les deux coexistent : «L”interprétation voulant que nous profitions actuellement d”une hausse accélérée de la productivité ne veut pas dire nécessairement que le prix des actions n”est pas gonflé.»(…) Je me suis longuement demandé si nous avions affaire à une bulle boursière et, si tel était le cas, ce que nous pouvions faire. Si le marché chutait de 30 ou 40% en un court laps de temps, j”étais prêt à affirmer qu”il s”était bien agi d”une bulle. Mais cela impliquait que, pour déclarer l”existence de la bulle, je devais prédire avec assurance la chute rapide de 30 ou 40%. C”était une position difficile à tenir.

Même si la Fed estimait qu”il y avait une bulle boursière et voulait la dégonfler, en serait-elle capable ? Nous avions tenté de le faire et échoué. (…) Nous avions relevé les taux en 1997, mais les actions avaient repris leur ascension tout de suite après. Nous semblions en fait nous trouver dans une phase de hausse à long terme. Puisque la Fed ne parvenait pas à enrayer cette hausse en ralentissant l”économie et en réduisant les profits, les placements en Bourse apparaissaient de moins en moins risqués. Nos modestes interventions n”avaient donc abouti qu”à favoriser la hausse des prix des actions.

Un relèvement important des taux d”intérêt aurait certes eu un tout autre effet. Une hausse de 10%, par exemple, aurait crevé n”importe quelle bulle du jour au lendemain. Mais elle ne l”aurait fait qu”au prix de conséquences dévastatrices pour l”économie, en bloquant la croissance que nous nous efforcions d”entretenir. Nous aurions tué le patient pour soigner la maladie. (…)

Quelques sourcils se sont levés lorsque j”ai présenté au Congrès cette stratégie du retour à l”essentiel en 1999. J”ai dit que je craignais toujours que les prix des actions ne soient trop hauts, mais que la Fed ne pouvait essayer de deviner ce qu”allaient faire des «centaines de milliers d”investisseurs bien informés». Dans un éditorial, le New York Times a déclaré à ce propos : «Cela ne ressemble guère à l”ancien Greenspan qui, il y a deux ans et demi, mettait en garde les investisseurs contre l”«exubérance irrationnelle».» En dépit du ton de l”article, j”entendais presque le raclement de gorge – l”impression de la rédaction était la bonne. Je m”étais rendu compte que nous ne serions jamais capables d”identifier l”exubérance irrationnelle avec certitude, et moins encore d”agir sur elle avant les faits. Mais peu importait aux hommes politiques auxquels j”expliquais cela – au contraire, ils étaient soulagés que la Fed semble encline à ne pas gâcher la fête.

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