C’est à l’économiste Joseph Schumpeter, de l’École autrichienne d’économie(1), que l’on doit la notion de « destruction créatrice » : il a inventé et popularisé ce concept. D’une manière générale, ce terme peut être employé pour désigner le processus de métamorphose qui accompagne le processus d’innovation. Selon la vision du capitalisme propre à Joseph Schumpeter, l’innovation est la force qui a stimulé et soutenu la croissance économique à long terme, et ce, bien que chemin faisant, elle ait anéanti des entreprises reconnues et accomplies, devenues extrêmement puissantes, voire parfois monopolistiques.
PLUS DE DESTRUCTION/CREATION EN SUIVANT :
Joseph Schumpeter a tenté d’identifier les facteurs qui permettaient aux entreprises d’améliorer leur positionnement en faveur de l’innovation. Il a commencé par concevoir une théorie selon laquelle les petites entreprises étaient mieux placées pour innover, en raison de leur taille, avant de changer d’avis, arguant que les entreprises plus importantes, et à tendance monopolistique, disposaient de davantage de possibilités d’innovation. Quoi qu’il en soit, une conclusion l’emporte sur toutes les autres : l’innovation peut être assimilée à un processus de « destruction créatrice » qui façonne le marché au bénéfice de ceux de ses acteurs capables de s’adapter à des conditions en constante évolution.
La mémoire et l’amer : Dot.com /De la Destruction à la création Schumpétérienne (cliquez sur le lien)
Cela n’a jamais été plus vrai qu’aujourd’hui, nous en avons l’intime conviction. En effet, les cycles conjoncturels ne cessent de raccourcir, et la banalisation gagne chaque jour du terrain. En voici un exemple simple : vous rappelez-vous combien cette télévision à écran plat coûtait il y seulement 8 ans ? Au moins 10.000 euros ! Alors qu’aujourd’hui, pour ce même appareil, quoique plus grand et de meilleure qualité, vous ne devriez plus débourser qu’un dixième de cette somme environ. Ce qui était innovant et coûteux il y a 8 ans est devenu un article courant à la portée de toutes les bourses. Cette évolution ne manque pas d’avoir des répercussions sur les modèles économiques des entreprises !
Celles qui comprennent le mode de fonctionnement de cette dynamique sont appelées à survivre, voire à prospérer ; les autres sont vouées aux difficultés et, au bout du compte, à l’échec. Voilà en quoi consiste le processus de destruction créatrice.
Bien longtemps après l’invention du concept par Joseph Schumpeter, les recherches portant sur la nature de l’innovation, et sur la manière dont les entreprises peuvent en tirer profit, se sont multipliées. Selon une enquête mondiale réalisée par McKinsey en 2007 , « les cadres en entreprise sont convaincus que l’innovation est le pivot de la stratégie de l’entreprise, et la clé de voûte de ses performances, mais qu’innover correctement est plus que jamais une gageure ». Quoi qu’il en soit, selon cette même enquête, « 36 pour cent seulement des cadres supérieurs — et à peine plus d’un quart des autres cadres — déclarent que l’innovation fait partie intégrante du schéma de fonctionnement de leur entreprise ».
L’innovation clé du développement ?
L’innovation promet de gagner encore en importance à mesure que l’épicentre économique mondial se déplace vers l’Est.
En effet, le classement des 10 pays à plus forte croissance, à l’échelle mondiale, ne compte désormais plus un seul pays occidental. Par conséquent, les entreprises doivent repenser en profondeur leurs produits, ainsi que leur positionnement sur le marché. Selon Paul Hill, rédacteur en chef du célèbre magazine d’investissement Moneyweek , « l’Occident commence à riposter. Non pas en donnant dans le protectionnisme – les différends commerciaux se sont multipliés pendant la phase de récession – sur ce plan, rien d’exceptionnel jusqu’ici. Non, l’arme secrète des pays occidentaux, c’est l’innovation. » Par exemple, selon M. Hills, 98 des plus grandes marques de renommée mondiale, parmi lesquelles des marques ultra-connues telles que Coca-Cola, Nokia, Disney et McDonalds, appartiennent à des groupes occidentaux. Bien entendu, il n’est pas question, pour ces groupes, de tenter de concurrencer les poids-lourds asiatiques sur le terrain des produits de grande consommation : jamais ils ne seront capables d’abaisser à ce point leurs coûts de fabrication. La valeur ajoutée des groupes occidentaux réside sans conteste dans les propriétés novatrices des biens et services qu’ils proposent.
http://www.moneyweek.com/investment-advice/innovation-our-best-chance-against-the-rise-of-the-east-46521.aspx (cliquez sur le lien)
Qui plus est, l’environnement réglementaire s’est considérablement durci depuis la crise financière, entraînant l’apparition de dispositions et de réglementations supplémentaires auxquelles les entreprises doivent s’adapter, et qui nécessitent parfois une refonte de leur vision organisationnelle. Enfin, les entreprises subissent une pression sans cesse croissante en matière de durabilité des modèles économiques et de gestion d’entreprise. Elles doivent pourvoir aux exigences légitimes du public, des consommateurs et des autorités, lesquelles impliquent l’intégration à leurs modèles d’entreprise de ces nouveaux défis – un processus qui requiert une capacité d’adaptation et d’innovation accrue.
The Boston Consulting Group publie chaque année une enquête sur l’innovation en entreprise, et établit dans la foulée le classement des entreprises les plus innovantes du monde. La dernière édition en date de cette enquête, menée en 2009, a permis d’aboutir à plusieurs conclusions intéressantes. Il en ressort notamment que l’innovation reste l’une des priorités stratégiques de la plupart des entreprises ; par contre, elles sont de moins en moins nombreuses à classer l’innovation en tête de leurs priorités. Soixante-quatre pour cent des personnes interrogées la citent encore parmi leurs trois principales priorités, contre 72 % en 2006, et 66 % en 2007 et 2008.
Nous sommes convaincus que l’innovation est essentielle à chaque entreprise, et qu’avec le temps, elle est appelée à devenir un facteur de croissance plus important encore. L’avenir des entreprises sera donc innovant, ou ne sera pas. La réduction des coûts ne constituera jamais un vecteur durable de génération de bénéfices à long terme : en effet, au final, les entreprises ont souvent tendance à aller trop loin, au détriment de l’essentiel et au péril de leurs modèles économiques. L’innovation reste donc le meilleur vecteur de préservation d’un avantage concurrentiel, et la voie la plus sûre vers la création d’une plus-value durable à long terme, à savoir un rendement du capital utilisé qui soit supérieur au coût d’investissement du capital.
À ce stade, il importe cependant d’ajouter deux remarques essentielles. Tout d’abord, l’innovation n’est en aucun cas l’apanage des entreprises du secteur (bio)technologique. S’il est fréquent que des entreprises telles qu’Apple et Google se positionnent en tête du classement établi par The Boston Consulting Group, à nos yeux, l’innovation dépasse de très loin le simple cadre des évolutions technologiques : elle touche à tous les secteurs que nous soumettons à nos processus de recherche et d’analyse. Ensuite, il n’est pas rare que les meilleures innovations ne soient ni les plus spectaculaires, ni les plus évidentes. Bien souvent, elles sont loin de sauter aux yeux ; elles s’avèrent cependant toujours très utiles du point de vue de l’utilisateur final. Les questions essentielles sont les suivantes : comment redéfinir les conditions de base de l’activité ? Qui sert-elle ? Que doit-elle offrir ? Et comment pouvons-nous renouveler notre mode de fonctionnement et améliorer notre rentabilité ? Une fois que ces questions ont trouvé réponse, il n’est pas rare que les entreprises soient en mesure d’élaborer des modèles économiques à même de suppléer à l’inimitable « fossé » fréquemment évoqué par Benjamin Graham..
NOTES
- L’École autrichienne (aussi connue sous le nom d’École de Vienne ou d’École psychologique) est une école de la pensée économique qui met l’accent sur la puissance organisatrice spontanée du mécanisme des prix ou du système de tarification. Les représentants de l’École autrichienne soutiennent que c’est la complexité du comportement humain qui rend l’élaboration d’un modèle mathématique d’évolution du marché extrêmement difficile (ou non décidable) et préconisent une approche de l’économie axée sur le “laissez-faire”.
par Frédéric Buzaré, Responsable de la Gestion Actions chez Dexia AM mars2010
EN COMPLEMENT :
Dix ans après, leçons d’un krach…..
L’explosion de la bulle Internet a laissé des traces. Elle n’a pas tué que les mauvaises idées. Elle a conforté la puissance américaine. La crise des subprimes pourrait avoir sur le secteur financier des conséquences assez proches.
L’histoire ne se répète jamais ; il n’est pourtant pas inutile d’y revenir pour tenter de comprendre ce que l’avenir pourrait nous promettre. Il y a dix ans tout juste, la bulle Internet explosait. Après cinq années d’une chevauchée fantastique, le Nasdaq (la bourse électronique américaine) entamait, le 13 mars, une redoutable dégringolade, entraînant dans sa chute tous les indices boursiers du monde. C’était la fin de cette folle épopée où l’on avait cru que tout était possible, que l’on pouvait lever des fonds avec rien, une idée, une promesse, un business plan sans le moindre début de preuve. Alors que l’on s’interroge aujourd’hui sur notre après-crise, sur ce que sera le monde après le krach des subprimes, la crise des start-up du Net du début de la décennie passée nous apporte peut-être quelques utiles enseignements.
Une impitoyable sélection
Première leçon de cette histoire : un krach laisse des traces.
À ceux qui se demandent aujourd’hui si l’on reviendra, après la crise des subprimes, au « business as usual », aux affaires comme avant, l’histoire donne une réponse claire et nette: elle est négative. Le krach de mars 2000 a mis fin aux dérives d’un écosystème qui n’avait pas totalement démérité. Celui-ci, avec ses « venture capitalists », ses inventeurs d’un jour, sa conviction d’une croissance infinie, s’en est trouvé profondément transformé. Dix ans après, le Nasdaq n’a jamais retrouvé les niveaux délirants qu’il avait atteints alors (il cote à la moitié à peine de ce qu’il valait le 9 mars 2000). Le krach a durement affecté l’ensemble des marchés actions. Ce n’est sans doute pas un hasard si la décennie 2000-2010 a été l’une des plus mauvaises de toute l’histoire boursière.
Le krach du Net a aussi joué comme un redoutable tamis. Il a opéré une impitoyable sélection parmi les animaux que la bulle avait nourris. Les plus gros ont bien résisté, voire en sont sortis renforcés ? les Microsoft, Cisco et autres Intel. Les plus folkloriques, et d’autres, ont disparu comme cette petite boîte américaine, Pets.com, qui, en proposant de vendre sur le Net des abreuvoirs pour chiens, avait réussi à lever 100 millions de dollars en quelques minutes. Il n’y a eu finalement que quelques rescapés. Ils sont aujourd’hui les stars du zoo : ce sont les Google, eBay, Amazon et autres Yahoo.
La bonne idée au bon moment
Deuxième leçon de l’histoire : le krach ne tue pas que les mauvaises idées ; il est fatal aussi aux idées prématurées, à celles qui viennent trop tôt. Le Web mobile, la TV sur le Net et les réseaux sociaux connaissent aujourd’hui une véritable explosion. La presse anglo-saxonne rappelait opportunément cette semaine que tout cela, des pionniers y avaient pensé bien avant Apple, YouTube ou Facebook, que ces pionniers n’avaient pourtant pas survécu au krach de mars 2000. Ils étaient arrivés trop tôt. La technologie ne tient pas toujours ses promesses – du moins dans son rythme et dans ses coûts. Pour le Net, elle n’a ainsi pas évolué aussi vite et n’a pas permis une baisse des prix aussi rapide que les plus imaginatifs ne l’avaient espéré. Ce ne sont pas en définitive les inventeurs qui ont emporté la mise, ce sont les suiveurs.
Crise américaine, domination américaine
Troisième leçon enfin : un krach américain, ce n’est pas un malheur pour l’Amérique ; c’est même bien souvent pour l’Amérique l’occasion de renforcer son leadership.
La bulle Internet était clairement, au départ, un phénomène américain, une folie californienne, une histoire « made in Silicon Valley » même. Son explosion idem. Le krach y a fait, là-bas, des ravages redoutables – parmi les investisseurs, les start-up et les autres. Il n’empêche : dix ans après, la planète Internet est plus que jamais dominée par quelques grands acteurs…américains. Même si la révolution du Net a donné naissance dans chaque pays à des petites stars (des portails chinois, des cybercommerçants français, etc.), on ne trouve, pour l’instant, dans les stars mondiales du Net, aucun acteur non américain.
La crise financière déclenchée par l’explosion des subprimes est bien sûr différente du krach de la bulle Internet. On peut pourtant penser qu’elle aura des conséquences assez proches. Un : elle laissera des traces profondes. D’ores et déjà, elle a fonctionné comme un véritable tamis au sein du monde financier – certaines banques ont disparu, absorbées ou fermées, d’autres se sont renforcées. Deux : ce ne sont pas obligatoirement les plus imaginatifs mais les plus malins, ceux surtout qui sauront jouer du timing le plus opportun, qui en sortiront vainqueurs. Trois : parmi ces vainqueurs, il y a fort à parier que l’on retrouvera nombre d’institutions financières américaines. La crise a été, à l’origine, américaine, la finance américaine pourrait pourtant néanmoins en sortir renforcée ! Rendez-vous dans dix ans. Pour la prochaine crise.
Erik Izraelewicz La Tribune 13 mars 2010
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