Art de la guerre monétaire et économique

Zone Euro : éloge de la dévaluation

Sans elle les recettes du FMI seront inefficaces en Grèce

«Sans dévaluation, l’intervention du Fonds monétaire international à Athènes sera tout aussi inefficace que les missions qu’il effectue depuis des décennies dans les pays d’Afrique francophone, pénalisés par le franc CFA, considérablement surévalué à cause de son lien inflexible à la devise européenne.» Dans une analyse publiée mardi, François Lenglet, rédacteur en chef du quotidien français La Tribune, rejoint la proposition de la chancelière allemande Angela Merkel d’exclure de l’Euroland les pays déméritant. Le grand problème de la Grèce, comme des pays africains précités, ne tient pas tant à leur endettement public, mais à «l’évolution incroyable des coûts salariaux», relate-t-il. L’effet inflationniste de l’euro est indéniable en Grèce. Et les causes de la dérive hellène tiennent «bien sûr» à son «impéritie», affirme François Lenglet. Les efforts en vue de la convergence tant vantée par Bruxelles ont été abandonnés dès le début des années 2000. C’est aujourd’hui l’heure de payer la facture.

LARTICLE DE FRANCOIS LENGLET EN SUIVANT :

Angela Merkel a brisé un tabou, en proposant d’exclure de l’euro les pays déméritants. Elle pourrait être suivie bientôt par les gouvernements d’Europe du Sud eux-mêmes, qui auront tout intérêt à rétablir leur compétitivité avec une dévaluation, plutôt qu’à s’imposer une purge difficile à supporter au plan social et politique.

A ceux qui croient que l’économie va reprendre son cours d’avant la crise, l’actualité européenne apporte une nouvelle contradiction. La possibilité d’un éclatement de la zone euro est désormais envisagée, en particulier par Angela Merkel, la chancelière fédérale allemande. Si ce tabou a été levé c’est parce que la sortie des pays les plus fragiles – la Grèce aujourd’hui, l’Espagne et le Portugal demain, peut-être l’Italie – est la seule solution acceptable pour l’Allemagne, alors que l’Allemagne est le seul pays à pouvoir aider les autres. Il faut rappeler que lors de la crise monétaire des années 1990, c’est l’intervention de la Bundesbank, alors maître du deutsche mark, qui avait sauvé le franc.

Commentaire : La crise financière européenne devient politique (cliquez sur le lien)

Mais cette fois-ci, elle ne souhaite pas le faire, considérant que les Grecs doivent redresser eux-mêmes leur situation. D’où la perspective de l’intervention du Fonds monétaire international à Athènes, pour soulager les finances publiques. Si même le prochain sommet européen aboutit à mobiliser les partenaires de la Grèce, ils ne seront sollicités que pour de modestes prêts bilatéraux, qui viendront en complément symbolique du FMI.

Les prochains à lever le tabou seront probablement les pays d’Europe du Sud eux-mêmes, qui vont changer de regard sur l’union monétaire et le carcan dans lequel elle les enferme. La violence des efforts budgétaires qu’Athènes s’impose – 4% du PIB de coupes budgétaires sur un an  – est sans précédent. Les pays qui ont subi une telle purge, comme la Suède au début des années 1990, ou les pays asiatiques lors de la crise des pays émergents en 1997-1998, ont bénéficié d’un secours considérable qui est aujourd’hui interdit aux malades de l’euro  la dévaluation de leur monnaie. Rien de tel pour la Grèce aujourd’hui et l’Espagne demain, qui vont subir la double peine  sévère rigueur budgétaire et monnaie surévaluée.

Sans dévaluation, l’intervention du FMI à Athènes sera tout aussi inefficace que les missions qu’il effectue depuis des décennies dans les pays d’Afrique francophone, pénalisés par le franc CFA, considérablement surévalué à cause de son lien inflexible à la devise européenne. L’euro est devenu le franc CFA de l’Europe du Sud, une monnaie qui pénalise la croissance et sert d’abord les intérêts d’une élite locale désireuse de maintenir son pouvoir d’achat international et de transférer sans risque son épargne à l’étranger. Comme en Afrique.

Car le vrai problème de ces pays n’est pas tant la dette publique, que l’évolution incroyable des coûts salariaux unitaires – les salaires corrigés de la productivité – qu’ils ont connue. Dans la zone euro, le plus sage, qui en eût douté est l’Allemagne, qui a vu ses coûts progresser de 5% seulement entre 1996 et 2009. Dans le même temps, les coûts grecs se sont envolés de 65%, et ceux du Portugal de 45%, selon une étude de Natixis. Progression que l’on ne peut imputer à l’unification de la zone, car les marchés du travail restent cloisonnés, à cause de la barrière des langues. Et pas davantage à l’amélioration de la qualité des produits grecs – le tourisme et le transport maritime – qui n’a guère varié En Grèce, la recherche-développement du pays s’est d’ailleurs maintenue au plus bas de la zone euro, à 0,58% du PIB par an.

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En Grèce : 790 millions de pots-de-vins, voilà de quoi mettre de l’huile d’olive dans les rouages !!!! (liquez sur le lien)

La cause de la dérive tient bien sûr à l’impéritie des pays concernés, qui ont profité d’une longue période d’impunité grâce à la dynamique politique européenne qui a suivi l’introduction de l’euro. Alors que la phase de « convergence » dans les années 1990, avait vu le déploiement de véritables efforts, le relâchement a été général après 2000 – sauf en Allemagne. Et la déréliction a été d’autant plus forte qu’il n’y avait plus de crise monétaire pour rappeler à l’ordre les contrevenants.

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La facture arrive aujourd’hui sous une autre forme, la très forte montée du chômage  la Grèce et l’Espagne d’aujourd’hui, tout comme la Thaïlande et l’Argentine de 1997, ont vécu au-dessus de leurs moyens. Pour redresser cette situation, il n’y a que deux solutions. La voie escarpée, avec plusieurs années de rigueur très sévère, et un risque de crise politique et sociale majeure. Ou l' »autre politique » avec une dévaluation qui a le pouvoir d’annihiler instantanément les avantages indus qu’un pays s’est attribués, de façon apparemment indolore. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour prévoir que les partisans de la deuxième voie vont se faire entendre dans les mois qui viennent.

François Lenglet, rédacteur en chef à La Tribune mars10

EN COMPLEMENT : Séparer l’euro en un Nordo et un Sudo

Le président du conseil d’administration de Syngenta (et ancien CEO de Barclays), Martin Taylor, propose dans le Financial Times, de résoudre la crise de l’euro en distribuant pour 100 euros, 50 Nordo et 50 Sudo.

 La première monnaie serait celle des pays du Nord et la seconde celle des pays méditerranéens. Les risques d’une monnaie unique auraient pu être gérés si l’euro s’était limité à un petit nombre de pays capables d’être aussi compétitifs que l’Allemagne. Mais l’ajout de tous les pays du Sud a sérieusement compliqué la tâche. Martin Taylor explique qu’au Nouvel An 2004, de passage en Calabre il s’est aperçu qu’en un jour les prix s’étaient accrus de 10%. En Allemagne, ils n’avaient pas changé. Si les deux partenaires du mariage ne respectent pas leurs engagements, le divorce est programmé. S’ils sont 16, les difficultés sont encore plus claires. Avec deux monnaies européennes, on remplacerait une zone qui ne fonctionne pas par deux zones qui fonctionnent. Et Axel Weber et Mario Draghi auraient chacun une banque centrale à diriger.

EN COMPLEMENTS INDISPENSABLES  : Une solution pour la Grèce: le défaut de paiement (cliquez sur le lien)

Jean Pierre Petit : A quoi donc peut encore servir l’euro? (cliquez sur le lien)

Commentaire : Ajustements économiques par le biais des taux de changes/ le cas serbe (cliquez sur le lien)

DERNIERES  NEWS :

Dans la «NZZ am Sonntag», l’historien américain Niall Ferguson dessine un noir destin pour la monnaie unique

La zone euro et l’euro lui-même sont soumis à des fortes turbulences depuis le début de la tragédie grecque. Au point que la monnaie unique serait «mourante», affirme l’historien américain Niall Ferguson(cliquez sur le lien), interviewé ce dimanche par la Neue Zürcher Zeitung.(cliquez sur le lien)

 «Elle souffre encore des mêmes défauts que lors de son introduction, en 1999», dit-il, «construite sur des bases instables».

La crise de l’euro ne le surprend donc pas, puisqu’il n’existe aucune règle dans l’Union précisant si un pays en gros déficit budgétaire doit être sauvé par la Banque centrale européenne (cliquez sur le lien)  ou s’il doit être exclu de la zone euro.

Pour lui, le bon élève que représente l’Allemagne en champion des exportations est certes une belle réalité, mais que se passerait-il si tous les pays européens se comportaient comme elles?

Il n’y aurait plus personne pour acheter des biens!

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