Art de la guerre monétaire et économique

1898: l’Europe renfloue la Grèce…

On peut raconter la fin du XIXe siècle grec comme le début du XXIe, les scènes se ressemblent: faillite économique, peuple en colère, étudiants dans les rues, gouvernement aux abois et puissances extérieures penchées sur le malade pour le guérir et le punir en même temps.

PLUS DE DETAILS EN SUIVANT :

En 1893, la Grèce est en faillite. Elle n’a que 60 ans depuis sa naissance comme Etat sous l’autorité d’un roi et d’un gouvernement bavarois. Les premiers ministères de Charilaos Tricoupis (1875 et 1880) ont assaini l’administration, l’armée et la police, de grands travaux ont été lancés, mais la politique financière n’a pas suivi.

De nouveaux impôts, lourds pour les classes populaires, n’ont pas comblé la dette, alourdie par la charge d’emprunts intérieurs et extérieurs pompant 40 à 50% des revenus de l’Etat. Les capitaux étrangers, surtout anglais, sont entrés en masse. Ils ne servent pas à améliorer les conditions de croissance mais à payer les intérêts de la dette. Les banquiers grecs et étrangers, dont dépend entièrement le gouvernement, ont demandé la création d’une banque d’Etat qui percevrait tous les revenus publics à même d’assurer les charges financières. En vain. En 1893, pour échapper aux remboursements, Tricoupis déclare banqueroute. Le pays entier, étudiants en tête, se dresse contre lui. Scène connue. Il perdra les élections.

Il est encore aux commandes en 1894 lorsque arrive le budget des premiers Jeux olympiques modernes prévus à Athènes: trois fois plus élevé que prévu. Tricoupis se désengage de son financement. La banqueroute nationale peut décourager un premier ministre mais pas un peuple enfiévré par son passé: le prince héritier crée le premier comité national olympique de l’histoire pour collecter des dons. Pour les Jeux, l’argent existe. La diaspora envoie 330 000 drachmes. Des timbres émis en 1896 en rapportent 400 000. La vente des places pour les compétitions, 200 000. La famille royale y va de sa poche, de même qu’un homme d’affaires, Georges Averoff, qui finance la reconstruction du stade panathénaïque: 920 000 drachmes. Les Jeux s’ouvrent le 5 avril 1896. Pierre de Coubertin prononce l’éloge de l’idéal olympique dans la ville de naissance de la démocratie. Le culte du corps et le culte du peuple de la Grèce antique sont célébrés dans une Grèce moderne entièrement pénétrée des mœurs moins idéales de ses siècles byzantins et ottomans. C’est le paradoxe grec: son message antique compense, chez les élites occidentales nourries par lui, les trivialités du pays présent.

En 1897, la flamme olympique éteinte, l’économie par terre, une autre flamme se rallume, celle de la «grande idée»: le rattachement à la Grèce de tous les territoires peuplés de Grecs. Un soulèvement anti-turc en Crête puis des échauffourées aux frontières orientales du continent précipitent le pays dans une guerre avec l’Empire ottoman, qui tourne au désastre historique. Les puissances limitent les pertes territoriales de la Grèce mais lui imposent de payer une lourde indemnité à la Turquie.

Pour financer cette nouvelle dette, en plus des précédentes, les puissances instaurent une Commission financière internationale qui prend le contrôle des affaires grecques. Le FMI de l’époque, à quelques différences près. L’inspiration est anglaise. La Banque d’Angleterre souscrit l’émission d’un grand emprunt garanti par la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Russie et l’Italie, les six pays qui comptent. Contrairement aux ressources que le FMI alloue aujourd’hui aux Etats en faillite, celles que reçoit la Grèce en 1898 sont inconditionnelles. Elles sont couvertes par la captation des revenus des douanes du Pirée et de quatre autres ports, des monopoles d’Etat du kérosène, du sel, des allumettes, des jeux de cartes, du papier à cigarette et de l’émeri de Naxos ainsi que des taxes sur les timbres et la consommation de tabac.

La Commission financière internationale collecte tous ces revenus par l’intermédiaire d’une société grecque ad hoc. Elle a un droit de regard sur l’administration des finances publiques et des douanes. Son but final est d’assurer le remboursement des coupons semestriels aux créanciers.
Si elle est utile comme instrument de recapitalisation – elle assurera le lancement de nouveaux emprunts jusqu’en 1931 – la commission n’est pas aimée. Aux yeux des Grecs, elle représente à la fois l’incompétence économique et l’humiliation militaire; elle matérialise l’intervention étrangère directe dans la gestion du pays, justifiée par le manque de confiance qu’il inspire sur les marchés financiers. L’influence anglaise, surtout, devient primordiale, économiquement et politiquement.

Pourtant, aussi controversée qu’elle soit, la commission est un amarrage solide de la Grèce à l’Europe, cette Europe qui regarde son propre passé à travers les vestiges de l’Acropole. Que ne fera pas Churchill pour enlever la Grèce à Staline après la Seconde Guerre mondiale. Et Valéry Giscard d’Estaing pour la faire entrer dans la Communauté européenne en 1974. Et le Conseil européen pour avaliser ses comptes et l’accueillir dans la zone euro, en 2001. Pourtant, le «berceau de la démocratie» a truqué ses chiffres de la façon la plus typiquement byzantine. Angela Merkel est affreusement déçue.

Par Joëlle Kuntz le temps mars10

Laisser un commentaire