Art de la guerre monétaire et économique

Nicolas Baverez : Refondation

L a sortie de crise confronte les pays développés à des dilemmes de politique économique sans précédent. La décennie 2010 sera placée sous le signe d’une croissance plafonnant à 1 %, d’un chômage de masse et d’une dette publique supérieure à 120 % du produit intérieur brut (PIB) en 2015.

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Mais, en même temps que l’autorégulation des marchés, la crise a ruiné les quatre principes qui fondaient la politique économique depuis trois décennies.

Primo, la dévolution du pilotage macroéconomique aux seules banques centrales avec pour objectif la lutte contre l’inflation.

Secundo, le soutien de la demande par les baisses d’impôts et la déréglementation.

Tertio, l’absence de coordination entre les nations – avec pour effet le déclin du multilatéralisme et des institutions internationales – Fonds monétaire international (FMI), Organisation mondiale du commerce (OMC)…- et l’anarchie sur les marchés de change.

Quarto, la réassurance des chocs (1987, 1997, 2001) par les seuls Etats-Unis.

Tout cela est caduc, obligeant à repenser les priorités, les fondements et les instruments de la politique économique.

Selon sept axes.

1. L’arbitrage entre croissance et désendettement. Deux impératifs se contredisent : d’un côté le renforcement d’une reprise fragile et la prévention de tout retour de la déflation ; de l’autre la reprise du contrôle des finances publiques sur fond d’une crise des risques souverains qui n’est pas l’apanage des petits pays ou de l’Europe méditerranéenne.

Compte tenu de la diminution de 3 % de la croissance potentielle provoquée par la crise, le désendettement progressif des Etats devra associer des hausses d’impôts et des baisses de dépenses privilégiant le désamorçage des bombes financières de moyen terme, notamment les retraites dont les engagements culminent à 434 % du PIB de l’Union européenne.

2. L’inflation au coeur du « policy mix » (dosage entre politiques monétaire et budgétaire). Les banques centrales ont une responsabilité majeure dans la crise, y compris en Europe, du fait de l’indifférence face aux bulles, de la négligence vis-à-vis des risques de liquidité, de l’aveuglement devant le développement des marchés et des opérateurs non régulés.

 Un policy mix plus équilibré doit être fondé sur une politique budgétaire rigoureuse de désendettement, associée à une politique monétaire plus accommodante vis-à-vis de l’inflation sur les prix et les salaires, mais plus stricte vis-à-vis de l’inflation par les actifs.

3. La lutte contre le chômage permanent et la constitution d’une classe d’exclus.

La flexibilité du marché du travail ne peut constituer la seule réponse. L’amélioration de la formation initiale et continue, la lutte contre la segmentation par statut, les discriminations et les ghettos, les aides à l’emploi marchand pour les plus vulnérables et les jeunes, sont indispensables.

4. La réindustrialisation.

 Le renouveau de la production, de l’investissement et de l’innovation constitue la clé d’une reprise durable. Ceci implique de réorienter les talents et les capitaux vers l’industrie, qui joue un rôle déterminant dans les gains de productivité, la recherche et l’exportation, notamment en Europe.

Un renforcement des normes prudentielles et une taxation raisonnable du secteur financier doivent limiter les risques systémiques et lui faire supporter le coût de leur réassurance.

5. Le système monétaire et le protectionnisme.

Le capitalisme universel et la configuration multipolaire du XXIe siècle iront de pair avec la coexistence de plusieurs monnaies de réserve (dollar, yuan, euro), ce qui générera une forte instabilité.

Le libre-échange est incompatible à terme avec une monnaie inconvertible et un Etat de droit lacunaire en Chine, deuxième économie et premier exportateur mondial. L’organisation du système monétaire et des marchés de matières premières doit être débattue au sein du G20, sauf à risquer le recours au protectionnisme.

6. La coordination des politiques économiques nationales.

 Les plans de relance et de sauvetage des banques ont été accompagnés d’un repli sur les nations, qui tend à s’exacerber comme le montrent l’échec du sommet de Copenhague en décembre 2009, les tensions commerciales et monétaires entre les Etats-Unis et la Chine, les divergences autour de la régulation financière ou l’implosion de la zone euro face à la crise grecque. Tant la pérennité de la relance que la réduction des déséquilibres du capitalisme mondialisé imposent une coopération renforcée au sein du G20, un renouveau du FMI et de l’OMC, enfin un gouvernement économique de la zone euro.

7. La soutenabilité politique, sociale et environnementale.

 La crise pèsera longtemps sur les pays développés, dont les citoyens sont mal préparés, ce qui crée des risques importants d’embardées extrémistes, populistes et protectionnistes. D’où l’importance de l’équité, dont la réforme de la santé du président américain, Barack Obama, offre un exemple. Et la redécouverte de politiques économiques complexes mobilisant l’ensemble des instruments à l’intérieur des nations et recherchant la coordination de ces dernières.

Nicolas Baverez LE MONDE ECONOMIE | 29.03.10 

Article paru dans l’édition du 30.03.10

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2 réponses »

  1. Bravo Nicolas pour cette vision globale.
    Quelle progression depuis l’Avenue Foch!
    juste un bémol : Le plan de santé Obama engage à terme des dépenses équivalentes à plusieurs fois le PIB des USA

    amicalement

    jef

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