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Les agences de notation déconnectées des marchés

 L’état préoccupant des finances de certains pays renchérit déjà leurs dettes. Même s’ils disposent des meilleurs ratings.

La déconnexion des notations par rapport à la réalité des marchés incite également à penser que leur attribution est une question éminemment politique….

PLUS DALEA MORAL ET DE CLIENTELISME EN SUIVANT :

   Les marchés de titres de dette sont en train de remettre en question le gage de qualité des notations «AAA» pour bon nombre de pays. Les conditions de crédit imposées ne correspondent plus au statut qui devrait être le leur selon les agences.

 La Suisse n’offre actuellement qu’un coupon de 2,25% sur ses emprunts à 10 ans. Le plus bas de tous les pays européens. Mais ces titres s’échangent au-dessus de la parité (103,45%). Le coupon pour la dette à échéance identique du Royaume-Uni se monte à 3,75%. Le marché ne s’en contente pas, comme l’indique le cours inférieur à 100% (98,44%).

Naissance de l’inflation et croissance (JP CHEVALLIER) (cliquez sur le lien)

Quel contraste entre deux pays auxquels les trois principales agences de notation Standard & Poor’s (S&P), Moody’s et Fitch attribuent pourtant le même rating, le meilleur, le fameux «AAA»!

Le rendement annualisé attendu des emprunts britanniques à 10 ans de 3,96% est supérieur à celui des italiens (3,95%). Notre voisin du Sud est pourtant seulement noté «A+» par S&P, «Aa2» par Moody’s et «AA-» par Fitch. Cette dernière agence a elle-même conclu à la fin de l’année passée que sur la base d’une analyse du marché des assurances contre la défaillance (CDS) des Etats emprunteurs, le Royaume-Uni se situerait plutôt à «AA», soit trois crans en-dessous de sa notation actuelle. Ce qui signifie qu’il se retrouverait au même niveau que les fameux pays PIIGS (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne). Les prix actuels des CDS le confirment.

Mais les emprunts du Royaume-Uni sont loin d’être les seuls à ne pas mériter leur note dans la perception du marché. L’agence Fitch a sanctionné le Portugal (de «AA» à «AA-») sans appliquer la même mesure à l’Irlande, pour laquelle les CDS dicteraient pourtant un «BBB»!

 A l’inverse, les agences semblent considérer les pays émergents avec un pessimisme excessif. Le marché offre ainsi à la Chine des conditions d’emprunt à 10 ans meilleures que celles du Royaume-Uni. Un coupon de 3,36% lui suffit pour que le titre s’échange presque à la parité. Pourtant, sa note n’est que de «A+», Moody’s étant la seule agence qui lui attribue une perspective «positive». Pendant ce temps, les énormes réserves chinoises en monnaies étrangères ne cessent de s’agrandir, le PIB est toujours en pleine croissance, la balance commerciale penche nettement en faveur des exportations, le taux de chômage officiel n’atteint même pas la moitié de celui des Etats-Unis. Le principal risque invoqué par S & P est celui d’un ralentissement abrupt et prolongé de l’économie provoqué par un secteur bancaire en souffrance. Il reste évidemment aussi le risque politique.

Le gestionnaire du plus grand fonds en obligations mondiales, Bill Gross de Pimco, s’interroge tout de même sur un changement d’optique beaucoup plus radical.

 New Normal : Pimco/Perspectives économiques et conséquences (cliquez sur le lien)

Le Japon, l’Italie, la Grèce, la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Espagne se trouvent selon lui tous dans le même «cercle en feu».

Au sein des marchés développés, la liquidité des CDS s’est renforcée en 2010, reflet d’une incertitude croissante. Leur endettement annuel par rapport à leur capacité de générer de la croissance et leur balance commerciale a pris de telles proportions qu’il constitue un facteur négatif important tant pour la situation conjoncturelle que pour l’investisseur en obligations. Et les marchés n’ont pas attendu les agences de notation pour demander de revoir à la hausse les coûts d’emprunt de ces pays, une tendance renforcée par la masse de nouvelles émissions cette année. Car l’effet positif de coupons plus attrayants a des chances d’être anéanti par des dévaluations durables des devises, qui risquent de provoquer également un retour rapide de l’inflation. Les marchés semblent ainsi anticiper, peut-être de manière un peu moins forte, les principaux effets qu’aurait une baisse de notation pour les pays concernés. 

Les marchés sont également en train de remettre en question la différence considérable entre les notations pour les gouvernements et celles pour les entreprises. Pour les dettes d’entreprises au rating équivalent, le marché demande normalement une prime de risque par rapport aux obligations d’Etat. Autre signe de l’état préoccupant des finances publiques des Etats les plus solvables aux yeux des agences, en un an, cette prime a fortement diminué au sein des catégories non spéculatives et s’est même renversée à la fin de l’été dernier pour la fameuse catégorie «AAA». Les cours des CDS à 5 ans sur Credit Suisse ou même UBS, ces derniers ayant même dépassé 400 en septembre 2008, évoluent désormais à des niveaux inférieurs à plusieurs Etats disposant du meilleur rating. Les entreprises les plus solvables peuvent ainsi emprunter à de meilleures conditions que certains gouvernements notés «AAA».

Les plans de sauvetage des banques au moyen de fonds étatiques, que certains résument par la «socialisation des pertes», a rendu la frontière entre les risques publics et privés plus floue. C’est un autre effet paradoxal de l’aléa moral compris en tant que transfert des risques vers les finances publiques. 

La déconnexion des notations par rapport à la réalité des marchés incite également à penser que leur attribution est une question éminemment politique.

Dans le cas du Royaume-Uni, les agences l’assument même ouvertement, en disant attendre le résultat des élections et les programmes d’assainissement proposés par le nouveau gouvernement avant d’éventuellement revoir la notation. Le marché obligataire ne connaît évidemment pas ces scrupules. Entre sa réalité et celle des ratings, l’investisseur doit plus que jamais faire confiance à sa propre capacité d’analyse. (CA)

 source agefi avril10 Christian Affolter

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Formation Financière : Agences de notation / Les oracles des marchés du crédit (cliquez sur le lien)

7 réponses »

  1. Excellent article mais je m’interroge sur les dévaluations :  » Car l’effet positif de coupons plus attrayants a des chances d’être anéanti par des dévaluations durables des devises, qui risquent de provoquer également un retour rapide de l’inflation. » Car la majorité des pays du cercle en feu auquel il fait référence, relève de l’euro…

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