Art de la guerre monétaire et économique

Konrad Hummler : Le talon d’Achille d’une nation de référence

 Pour les citoyens économiquement actifs et/ou fortunés résidant dans des pays fiscalement déjà très exposés, la question de savoir si le maintien du domicile se justifie toujours se pose depuis un certain temps déjà. Et elle va devenir nettement plus pressante encore avec le basculement potentiel de l’Europe à la Monti

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L’Europe occidentale connaît depuis plus de 60 ans une période d’entente pacifique à la fois longue et peu mouvementée. Le gradualisme a été et demeure pour ainsi dire inhérent à la normalité européenne.

Mais le principe de l’unanimité exige bien des tractations en coulisse. Le prix à payer pour cette gouvernance délibérément dotée d’un tel degré d’indécision a été et reste la suprématie des technocrates de Bruxelles. Les vrais motifs d’inquiétude ne résident cependant pas dans ce qui est produit à grand renfort technocratique, mais bien dans ce que l’on esquive, cache, enjolive ou dissimule.

L’euro a été dès le départ un édifice technocratique. Or la solidarité conçue et construite sur la base d’un modèle idéal ne peut tout simplement pas durer. La perception actuelle des choses, sur le marché, hésite entre le «sauvetage inclus pour tous», avec le fardeau que cela suppose pour la collectivité, et le «sauvetage totalement exclu», avec les primes de risque qui en découlent pour les Etats périphériques. Cette situation ne saurait perdurer.

Sous la pression des événements, l’UE pourrait s’écarter de son mode habituel pour passer du gradualisme à l’activisme effréné. On en discerne d’ailleurs déjà les premiers signes: alors qu’en Allemagne, il est question d’un fonds monétaire européen (FME), on évoque en France la nécessité de doter l’UE d’un gouvernement économique. Au lieu de se souvenir de la diversité de l’Europe, de revenir à une perception décentralisée de la responsabilité, tout indique que l’on est en train de passer de l’idylle simulée à une véritable communauté forcée. En clair, on cherche à tout prix à sauver l’euro et l’Union européenne dans leur forme actuelle.

Dans le Financial Times, Mario Monti, commissaire en charge de la politique de la concurrence, vient de dénoncer les difficultés des pays européens qui seraient liées à la concurrence fiscale. Monti y plaide en faveur d’une vaste harmonisation de l’impôt à l’échelle européenne ainsi que pour une politique ne visant pas «seulement» à assécher les paradis fiscaux mais également à mettre un terme à l’optimisation fiscale légale.

Or il faut savoir que ce «sauveur de l’économie de marché» a été depuis mandaté par le président de la CE Barroso pour présenter une proposition visant à relancer le marché unique. Monti va vouloir faire de l’Europe une citadelle de l’Etat social. Etant donné la concomitance entre les sérieux problèmes de financement rencontrés par différents pays européens, la crise de la zone euro et le climat généralement hostile à l’économie et au marché, cette entreprise est confrontée à bien moins d’obstacles que lors de la dernière tentative opérée en 1992. Auparavant les Anglo-Saxons auraient tué dans l’œuf tout effort dans ce sens ou vidé les projets de réforme de leur substance.

 Mais la situation financière dramatique dans laquelle Londres et Dublin se retrouvent jette un doute, d’autant que le grand frère américain a mis sur pied une vaste attaque fiscale néocolonialiste à l’échelle mondiale. Le problème, c’est que l’Europe ne survivra pas à cette transformation. Les structures démocratiques assurant l’équilibre politique, les freins et contrepoids entre pouvoirs, la garantie de l’Etat de droit sont trop faibles pour qu’une telle communauté homogène puisse perdurer. Communauté forcée ou effondrement: telle sera l’alternative.

L’échec est donc programmé, puisque dans l’histoire, les harmonisations n’ont jamais conduit à des allégements de la pression fiscale moyenne. Ce n’est là qu’une chimère technocratique, créée de toutes pièces et sans la moindre référence aux principes des sciences politiques.

 Ce qui aboutit immanquablement à un régime fiscal hostile à la croissance et à une érosion de la compétitivité à l’échelle globale. La prochaine étape est donc déjà écrite: elle mènera au protectionnisme des marchés européens contre un soi-disant dumping des prix venant du reste du monde. Difficile d’imaginer une telle Union européenne sans un fort élément de coercition.

 A ce propos d’ailleurs, le représentant d’un cercle de réflexion évoquait récemment la probabilité que d’ici cinq à dix ans, l’Europe compte un voire deux hommes politiques de la trempe d’un Hugo Chavez. Et il y a déjà des candidats potentiels, sauf erreur de notre part

Pour les citoyens économiquement actifs et/ou fortunés résidant dans des pays fiscalement déjà très exposés, la question de savoir si le maintien du domicile se justifie toujours se pose depuis un certain temps déjà. Et elle va devenir nettement plus pressante encore avec le basculement potentiel de l’Europe à la Monti.

L’épreuve évidente que constitue pour un grand nombre de citoyens européens le fait de devoir vivre à la fois dans une situation normale pas franchement agréable et sous la menace soit d’une rupture structurelle qui débouchera sur une communauté européenne forcée, soit d’un effondrement, pourrait être un motif de réjouissance pour la Suisse. Mais les avantages de notre pays ne sont que relatifs. Ici aussi, on commet des erreurs qu’il est ensuite difficile de rectifier. Ensuite, la bonne santé éclatante quoique relative de la Suisse risque de plus en plus de devenir son talon d’Achille stratégique. Il est fort peu probable en effet que notre pays puisse se soustraire complètement à une vague d’harmonisation européenne.

Bien au contraire: la «Confederatio Helvetica» ferait alors une cible idéale pour une Europe envieuse et frustrée. La bataille livrée autour du secret bancaire suisse n’aurait alors été que le préliminaire d’une manœuvre à bien plus large échelle, visant à éliminer le «benchmark» gênant au cœur d’une Europe qui s’achemine vers une harmonisation fiscale à un niveau sensiblement supérieur.

Il reste en effet un élément essentiel à évoquer: l’absence quasi totale de pouvoir du côté helvétique. Le premier de classe a toutes les qualités, mais il lui manque la force. Quelles possibilités s’offrent alors à ce premier de classe frêle et pâlot?

Notre préférée est celle de l’«imbrication intelligente», une approche qui consiste pour le premier de classe à tenter de mettre sur le tapis ses avantages complémentaires. Elle exige néanmoins un très lourd investissement, car il s’agit de s’assurer en tout temps que l’on concède suffisamment aux uns comme aux autres, sans toutefois leur donner un motif de s’allier entre eux pour exiger davantage. C’est l’option préférée mais ses limites s’arrêteraient malheureusement au «modèle» Monti. Raison pour laquelle la Suisse se doit de suivre en parallèle une stratégie de globalisation résolue.

Par Konrad Hummler banque Wegelin AVRIL10

BILLET PRECEDENT : KONRAD HUMMLER: Commentaire d’investissement no 268 du 18 janvier 2010 (cliquez sur le lien)

EN COMPLEMENTS INDISPENSABLES : Pierre Bessard : L’anticompétitivité de l’Europe ou la «strategy of raising rivals’costs». (cliquez sur le lien)

La Suisse : Dernier village gaulois ? (cliquez sur le lien)

2 réponses »

  1. Pour plus de détails lire les commentaires aux investisseurs de la banque Wegelin, dont cet extrait a été publié dans le temps.

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