Art de la guerre monétaire et économique

Charles Gave : « A partir de maintenant et pour au moins dix ans, les actions vont faire beaucoup mieux que les obligations »

Charles Gave  J’aime bien les économistes (après tout, j’en suis un, même si je ne suis pas considéré comme très sérieux par la plupart d’entre eux).

 Ils utilisent en effet en général des termes compliqués pour décrire des réalités toutes simples. «Marchant d’un grave pas et d’un grave souci», comme le disait du Bellay des cardinaux à Rome, ils nous expliquent que ce dont l’Europe et les Etats Unis ont besoin, c’est d’un changement des termes de l’échange avec l’Asie en général, et avec la Chine en particulier.

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Ils ont, bien sûr, parfaitement raison, mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire pour le commun des mortels ?

Je vais donc m’employer à expliquer ce néologisme quelque peu barbare, et pour ceux d’entre les lecteurs du JDF qui auraient du mal à suivre l’explication, il leur suffit de retenir une chose et une seule.

Ce qu’ils veulent dire (les économistes), c’est simplement ce que les Européens et les Américains doivent faire, c’est travailler plus et consommer moins, tandis que les Chinois doivent consommer plus et travailler moins.

Voila un programme électoral sur lequel il va être difficile d’être élu, ou réélu, mais, hélas, c’est ce qui nous attend !

Remarquons au passage que c’est ce que Mme Lagarde a dit aux Allemands, dans la mesure où les Allemands font subir à l’Europe ce que les Chinois font subir aux USA, mais aussi au Vieux Continent (cf. mon article de l’été 2008, L’Allemagne telle une ancre au cou de l’Europe, qui m’avait valu de me faire engueuler par de nombreux lecteurs, et où je ne disais rien d’autre que ce que notre ministre des Finances dit deux ans plus tard. Mieux vaut tard que jamais…).

Si, en effet, un pays a des excédents extérieurs très importants, c»est sans doute qu’il est « trop » compétitif.

En bonne logique de marché, cela doit vouloir dire que sa monnaie est trop basse et doit être réévaluée pour, en quelque sorte, rendre les autres pays compétitifs.

La hausse de la monnaie pénalise automatiquement les exportateurs locaux et favorise la consommation intérieure. La hausse de la consommation intérieure déclenche une hausse des importations et (peut-être) une baisse des exportations. Le niveau de vie moyen monte, tandis que la balance commerciale revient graduellement à l’équilibre.

Or, depuis des années, le gouvernement chinois, suivant une politique bassement mercantiliste, maintient sa monnaie sous-évaluée et empêche sa hausse pour continuer à dégager des excédents commerciaux mois après mois, année après année.

Mais, comme l’a fort bien dit Milton Friedman, un Etat peut contrôler ou son taux de change ou son taux d’intérêt directeur ou, enfin, sa masse monétaire, cependant il ne peut en contrôler deux sur trois, ou trois sur trois. Il faut choisir.

Le choix d’un taux de change sous-évalué par le gouvernement chinois veut donc dire que les taux d’intérêt sont trop bas et que la masse monétaire locale explose à la hausse. La Chine entre de ce fait dans une période inflationniste et les autorités chinoises le savent fort bien.

Or, et il faut le savoir, les émeutes en Chine ne se passent jamais historiquement lorsque le chômage monte mais bien lorsque l’inflation accélère (dernier exemple, les émeutes de la place Tian’anmen).

Le gouvernement de l’empire du Milieu n’a plus donc d’autre choix que de réévaluer pour reprendre le contrôle de sa masse monétaire et faire baisser les pressions inflationnistes là-bas…

Qui vont être les gagnants de cette inéluctable réévaluation ?

Nos chers exportateurs européens ou américains. Que le lecteur songe à une des grandes marques vendant le luxe français en Asie. Il est hors de question que le prix de leurs produits baisse. Ils vont rester au même prix (en monnaie chinoise), et toute la réévaluation se retrouvera dans une marge plus forte et donc des profits plus élevés pour notre exportateur.

Pensons encore à ceux qui sont en concurrence avec des sociétés asiatiques (voitures, par exemple). Si l’euro baisse un bon coup contre le yen ou le won coréen, voilà qui ne sera pas pour déplaire à Peugeot ou à BMW.

Bref, les « termes de l’échange » auront changé – en faveur du producteur européen, au détriment du consommateur européen, et en faveur du consommateur asiatique et contre le producteur de la même région.

Pour le dire plus brutalement, les rentiers européens qui paient en euros (fonctionnaires, détenteurs d’obligations) vont voir leur niveau de vie baisser, tandis que le niveau de vie des entrepreneurs européens (sociétés exportatrices ou soumises à la concurrence internationale, actionnaires) va monter, le contraire se passant en Asie.

Il s’agit là d’une bonne, d’une très bonne nouvelle pour l’Europe.

Enfin, la prise de risque va être récompensée et la recherche de la rente pénalisée. Il faut savoir que, depuis 1998-1999, un portefeuille obligataire en obligations longues de l’Etat français a fait deux fois mieux que l’indice des actions en France. Ceux qui ont fait confiance à l’Etat ont gagné de l’argent, ceux qui ont fait confiance aux entreprises en ont perdu.

Eh bien, je peux assurer le lecteur du JDF d’une chose : cette période est finie. A partir de maintenant et pour au moins dix ans, les actions vont faire beaucoup mieux que les obligations.

Encore une fois, le lecteur doit vendre toutes ses obligations des Etats européens, à l’exception des obligations allemandes, et se reporter sur les actions, toutes affaires cessantes.

Un mot pour conclure sur le déséquilibre créé par le mercantilisme allemand.

Il n’existe pas d’outil de marché (réévaluation du DM, qui n’existe plus, hélas !) pour régler ce problème.

Le mercantilisme allemand va donc amener à une crise institutionnelle gravissime entre pays européens, ce qui ne va pas faire monter l’euro.

Ça a commencé avec la Grèce.

Mais Dieu que l’euro aura fait du mal à l’Europe et à l’idée européenne !

* charlesgave@gmail.com

 JDF HEBDO | 10.04.2010

La sous-évaluation du yuan par rapport au dollar américain dope les exportations de l'empire du Milieu.

La sous-évaluation du yuan par rapport au dollar américain dope les exportations de l’empire

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9 réponses »

    • Je te recommande chaudement la lecture de son dernier ouvrage « liberal mais non coupable », c’est vraiment un excellent ouvrage d’économie de marché très concret à vertu pédagogique…La crise européenne actuelle y est entres autres décrite dans le menu détail…

      bien à toi

  1. Très bel article qui présente les flux monétaires avenir avec une rare pertinence; j’ignorais notamment que les soucis intérieurs (gros soucis) de l’empire du milieu débutent avec l’inflation et non le chômage.
    La seule chose qui me dérange est l’affirmation que les obligations (allemandes exceptées) seront perdantes pour les 10 ans à venir. C’est non seulement présomptueux mais aussi un lieu commun. La première chose qu’on apprend quand on s’intéresse à placer son argent est « qu’à long terme les actions sont toujours le meilleur placement ». La décennie qui s’est achevée a montré que l’horizon « long terme » pouvait largement dépasser à la décennie…Cela peut faire un peu longuet sur 40 à 45 ans de vie active surtout si on a généralement pas encore de fonds propres à l’age de 20 ans.
    Personnellement, je recommande plutôt la vision de M. Weinstein qui ne sait pas quand un marché sera haussier ou baissier, surévalué ou non mais qui sait reconnaître les changements de phase, rester dans le marché durant les consolidations et sortir lors de retournements.

    • C’est un peu le coeur du débat Shiller/Siegel…. avec pour arbitre MR Momentum…

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