Jeannette Williner : Le grand retour de l’inflation se prépare progressivement
Ce n’est pas la hausse des taux qui sera responsable d’une hausse des prix mais plutôt un surendettement des Etats.
Le mouvement s’amorce dans les économies les plus jeunes. Et c’est normal.
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Tant que les salaires n’augmentent pas, pas d’inflation. Il n’est pas si sûr que cette affirmation résiste longtemps. Ce n’est certainement pas la hausse des taux qui sera responsable d’une hausse des prix mais plutôt un surendettement des Etats quelques qu’ils soient. Le mouvement s’amorce, et c’est normal, dans les économies les plus jeunes. Singapour réévalue sa devise suite à un taux de croissance jugé excessif au premier trimestre: 13,1%. Le won sud-coréen, le ringgit malais ainsi que dollar taïwanais et roupie indienne ont profité de ce mouvement.
Seul le yuan est resté impassible mais il est lié au dollar américain. La croissance n’est pas terne partout et la globalisation que l’on a toujours tellement voulue situe le centre des événements ailleurs.
En Chine, le principal moteur de la hausse des prix est le marché immobilier. La Chine ne sous-estime pas ce problème et pour éviter un bain de sang sur le marché (2008) tout en jugulant la spéculation, se contente d’augmenter le minimum requis (50%) pour acheter une résidence secondaire et ajuste à la hausse le prix du crédit. Au niveau de la résidence principale, le minimum requis est de 30% si la surface habitable dépasse 90 m2. L’ajustement des taux reste prudent mais pourrait rapidement être plus brutal. L’industrie de la construction est extrêmement fragmentée et la société détenue par l’Etat, China Vanke, ne représente que 2% du marché.
Plus ennuyeuse est la hausse du prix du boeuf sur pied. Certes elle n’était pas de nature à susciter l’intérêt des traders et encore moins des partenaires s’occupant de gestion dynamique. Le boeuf sur pied ne parle pas vraiment aux gens raffinés de la finance. Pourtant ses 16% de gains sont cinq fois plus important que la progression de l’indice global S&P GSCI. Les autres matières premières ont suivi la progression de la demande mais les marchés de la viande ont vu leur prix galoper furieusement au fil de la baisse de l’approvisionnement. Ces marchés carnés sortent d’un tunnel qui a duré plusieurs années: sécheresse, maladies, prix des aliments en forte hausse…Au fil de ce parcours chaotique, les fermiers ont réduit leurs troupeaux.
Et l’inévitable, au bout de trois années de réduction qui amènent les Etats-Unis au plus petit cheptel depuis 1963, se produit: les prix montent. Car la demande, asiatique notamment, se manifeste et comme il faut bien acheter quelque chose aux Etats-Unis, on y achète de la viande. Les Américains n’y sont pas préparés. Premier exportateur de porc, les Etats-Unis ont moins de succès dans cette production. Les Chinois ont faits d’énormes gains de productivité. Malgré tout, les Etats-Unis vont voir la production de viande de porc reculer de 2,9% cette année même si les exportations reprennent.
Comme d’habitude lorsque la demande est là la marchandise n’y est plus: c’est le contexte rêvé pour une hausse de prix ingérable. Seuls quelques spéculateurs avisés y gagneront. Cette hausse est fortement inflationniste. Certes les consommateurs ajustent leurs achats sur leurs revenus et logiquement achètent moins lorsque les prix montent. Mais cette réduction des pays industriels sera compensée par la demande des pays émergents. La viande est un élément coûteux de la consommation alimentaire, La plupart du temps inclus dans «le panier de la ménagère».
A ce niveau se noue le départ de l’évolution des salaires. C’est le phénomène qui a débuté au milieu des années 1970 après la grande hausse des prix du pétrole et qui a donné lieu à un cycle inflationniste sans précédent. Par ailleurs, il est peu probable que l’inflation et son niveau soit insensible à l’évolution du monde protectionniste.
Inévitablement, plus il y a d’accords bilatéraux, plus l’approvisionnement en matières premières sera difficile: les prix en souffriront.
Une raison peu évoquée car elle est gênante contribuera également à la hausse de l’indice des prix: les conflits armés du moment présent. Ils n’ont pas une grande envergure mais entretiennent une course aux armements par des pays qui ne sont pas directement concernés. Il n’y a rien de plus inflationniste que ce genre de dépenses.
Sam Nakagama (décédé en 2006) avait mis en évidence tant l’importance des prix du bétail sur pied que de l’armement sur la hausse des prix à une époque où personne n’avait évoqué ces deux paramètres.
Ce développement ne restera pas sans incidence sur les investisseurs et leurs performances. Les porteurs d’obligations verront le prix de leurs actifs diminuer. Les actions résisteront-elles à la hausse des taux? Si celle-ci est lente, elle peut être absorbée assez facilement. Certains pays ont déjà commencé les ajustements. Ils devraient poursuivre dans cette voie. L’Australie en était le 6 avril dernier à son cinquième réajustement depuis le mois d’octobre 2009. A 4,25% le taux directeur est à son plus haut depuis quatorze mois et ce n’est pas fini. Rester cash dans l’attente de prises de décisions réalistes semble la seule option possible.
JEANNETTE WILLINER Analyste indépendant avril10
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