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Implications de la contagion grecque à l’échelle européenne

Implications de la contagion grecque à l’échelle européenne

La crise d’endettement contamine le Portugal et l’Espagne. Quatre stratégistes suisses décryptent le phénomène.

PLUS/MOINS DE CONTAGION EN SUIVANT :

SERGE LEDERMANN. Responsable des investissements chez Héritage

Quelles seront les prochaines étapes de la contamination?

Les pays européens restent les premiers concernés: la contamination devrait se limiter à ce continent.

Le Japon et les Etats-Unis ont des problèmes d’une nature très différente. Les déficits nippons sont financés par des investisseurs domestiques, et ceux des Etats-Unis par des pays alliés. En Europe, les agences de notationsont encore en retard sur le marché.

On ne peut donc pas exclure d’autres downgrading sur la dette souveraine des pays du Sud de l’Europe.

La reprise des marchés est-elle menacée par cette situation?

C’est un vent contraire auquel les opérateurs pouvaient toutefois s’attendre. La dette privée s’est transformée en dette publique via les plans de sauvetage. Il faudra bien réduire le levier et payer la facture. Or, la reprise économique est encore fragile, marquée par des taux de chômage élevés et une phase de réglementation du secteur bancaire. Les marchés ont fait preuve d’une certaine complaisance vis-à-vis de cette situation.

La Grèce ne joue que le rôle de déclencheur dans une correction attendue et bienvenue. La tendance haussière n’est toutefois pas compromise.

La correction devrait se limiter à une baisse de 6 à 8%.

L’euro survivra-t-il à cette crise?

Bonne question! La réponse rationnelle est connue: après tant d’efforts politiques pour consolider la zone euro, on voit mal ces acquis être dilapidés par une seule génération. Aucun gouvernement n’envisage aujourd’hui de tout abandonner. La réponse philosophique est en revanche plus déstabilisante: les experts rappellent que la construction de la zone euro répondait d’abord à des impératifs politiques, sans reposer sur une logique économique et financière.

Elle est maintenant rattrapée par ces impératifs. La nécessité d’élaborer des critères de Maastricht 2 va s’imposer: il faut des conditions cadres plus complètes et une vraie politique économique.

La variable d’ajustement des taux d’intérêt ne suffit pas. Cependant, je reste convaincu qu’il serait dommageable d’abandonner l’euro. Cela fragiliserait le continent._

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FERNANDO MARTINS DA SILVA.Chef stratégiste à la BCV

Quelles seront les prochaines étapes de la contamination?

Je ne suis pas du tout convaincu que la contamination va se poursuivre.

Elle s’est déjà largement concrétisée, avec des spreads qui se sont creusés dans les pays du Sud de l’Europe. Les besoins urgents de liquidités seront rapidement réglés avec un plan de sauvetage.

Mais le problème de fond demeure: les spreads ne vont pas se resserrer de si tôt. La BCE pourrait être contrainte de prendre des mesures pour aider d’autres pays, qui ont aussi du mal à se refinancer sur les marchés. Des gestes symboliques seront nécessaires, par exemple sur les swaps.

La reprise des marchés est-elle menacée par cette situation?

Je ne le pense pas. Le trend haussier est seulement freiné temporairement. Les bonnes nouvelles ne vont pas disparaître d’un coup: l’inflation contenue, la reprise de la consommation et une série de bons chiffres macroéconomiques aux Etats-Unis ont prouvé la solidité de la reprise.

Forcément, ces bonnes nouvelles ont aussi augmenté les attentes, et donc le risque de déception.

La Grèce apparaît comme un prétexte à des prises de bénéfices.

Les actions avaient atteint des niveaux de valorisation moins attractifs; la correction était nécessaire. Cette situation va se conclure par un découplage: la contre-performance des marchés actions de la zone euro va se prolonger face aux Etats-Unis et aux marchés émergents.

L’euro survivra-t-il à cette crise?

L’existence de la monnaie unique sera menacée si on ne prend pas des mesures supplémentaires.

L’harmonisation des politiques budgétaires est devenue nécessaire.

Il faut une meilleure concertation, voire même la création d’un fonds de soutien pour venir en aide aux régions en difficulté.

En parallèle, les pays endettés doivent se réformer, couper les dépenses publiques et adopter des plans de rigueur. Cette phase d’austérité passera inévitablement par des pertes de pouvoir d’achat pour regagner en compétitivité.

Tout se jouera dans ces réformes: si rien n’est fait, l’avenir de l’euro sera hypothéqué._

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FRANÇOIS SAVARY. Directeur des investissements chez Reyl & Cie.

Quelles seront les prochaines étapes de la contamination?

A l’évidence, le Portugal est le prochain pays concerné. Mais la crise pourrait aussi rapidement s’étendre à l’Espagne, voire à l’Irlande.

Le processus sera le même qu’en Grèce: tension sur les taux, réduction progressive de la marge de manoeuvre des Etats emprunteurs, difficulté croissante à faire appel au marché pour se refinancer, puis des downgrading des agences de notation.

Pour stopper cette contamination, il n’y a pas beaucoup d’alternatives. Il faudra un programme rapide de sauvetage de la Grèce. Et surtout, ce plan devra paraître crédible; j’entends par là qu’il devra être clair, limpide, sans la moindre équivoque. Madame Merkel doit maintenant fermer sa bouche et cesser de dire «oui, mais».

La reprise des marchés est-elle menacée par cette situation?

Elle pourrait l’être, si l’on n’arrive pas à sortir rapidement de cette dynamique négative. Le récent décrochage des marchés souligne l’incertitude ambiante.

Si un plan de sauvetage crédible est adopté, il s’agira seulement d’un blip. Mais en cas de défaut de la Grèce, je n’exclus pas une chute des marchés de l’ordre de 25%. Car la Grèce met en évidence une problématique plus large, qui dépasse le cas d’un seul pays. Le risque de défaut sur la dette souveraine, qui restera une problématique majeure ces prochaines années, est encore sous-estimé par les opérateurs.

Sa prise en compte pourrait se traduire par une sévère correction.

L’euro survivra-t-il à cette crise?

Dans sa forme actuelle, la monnaie unique pourrait disparaître, mais ce scénario ne se concrétisera pas tout de suite. L’euro a toutes les chances de survivre aux événements des prochains jours.

En revanche, la crise grecque signale l’ouverture d’une période de grand doute sur la dette souveraine.

Dans les deux à trois prochaines années, je n’écarte pas la possibilité que la Grèce finisse par sortir de la zone euro. Et d’autres pays pourraient l’imiter._

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THOMAS HÄRTER. Responsable stratégie de placement de Swisscanto

Quelles seront les prochaines étapes de la contamination?

Le sentiment de contamination a déjà commencé à faire effet. Et il risque fort de se poursuivre, car l’Union européenne aura beaucoup de mal à trouver un consensus.

Il y a trop d’agendas divergents, ouverts ou cachés, entre les pays membres. Le problème le plus important se trouve en Allemagne: tant que les élections du 9 mai ne sont pas passées, aucun parti ne souhaitera soutenir un plan de sauvetage que rejettent les électeurs allemands. Un programme finira bien par être adopté, mais à quelle échéance?

 La situation a toutes les chances de pourrir, alors que le marché attend des solutions rapides.

Nous sommes aujourd’hui face à un grave problème de timing.

La reprise des marchés est-elle menacée par cette situation?

Je ne crains pas de crash à court terme. Les marchés vont continuer à décrocher, mais ils finiront par repartir à la hausse. Je reste bullish à moyen terme, car la croissance des bénéfices va se poursuivre dans les entreprises. Ces derniers mois, elles ont tellement réduit leurs coûts, leurs investissements et leurs effectifs que la moindre reprise de la croissance aura des effets importants. Au plan stratégique, il devient même intéressant de se positionner sur les marchés d’Europe du Sud (Portugal, Grèce, Italie, Espagne), dont les actions sont survendues.

L’euro survivra-t-il à cette crise?

Sa fin n’est pas encore proche. Peut-être nous trouvons nous au début d’un lent processus de désintégration, mais il est trop tôt pour le savoir. Certes, la zone euro a été créée pour des raisons politiques et sur des bases instables.

Mais les gouvernements européens ne laisseront pas cette devise s’effondrer. Elle va continuer à perdre de la valeur par rapport au dollar et, dans une moindre mesure, au franc suisse. Elle restera ensuite dévaluée encore quelques mois. Cependant, je ne crois pas au scénario d’une disparition rapide de l’euro.

source agefi avril10

EN COMPLEMENT :

Frédéric Buzaré /Dexia ‘Le marché anticipe un scénario catastrophe’

  Les valeurs financières et surtout les assurances seraient les premières concernées par un défaut de paiement ou une restructuration de la dette de la Grèce.

Selon Frédéric Buzaré, ” le manque de détails fait exagérer le marché. Les investisseurs anticipent un scénario catastrophe et un effet domino “.

Les banques et les assureurs européens sont littéralement matraqués sur les places boursières européennes, ceci depuis que la crise de confiance qui affecte la zone euro et notamment la Grèce a pris mardi un nouveau tournant. Les dettes souveraines de la Grèce et du Portugal ont été dégradées par l’agence de notation Standard and Poor’s, et les investisseurs craignent que l’aide promise à la Grèce par l’Union européenne et le FMI ne soit pas libérée assez vite pour éviter une défaillance grecque ou une restructuration de sa dette. 

Scénario catastrophe 

les banques et les assureurs européens sont particulièrement exposés au marché obligataire grec. ” Les banques sont au cœur du dispositif financier. Elles détiennent actuellement beaucoup d’obligations souveraines, émises en masse ces dix-huit derniers mois. Or, quand le marché devient anxiogène par rapport à la capacité de remboursement d’un pays, les investisseurs se défont de leurs positions en financières “, explique Frédéric Buzaré, responsable de la gestion actions chez Dexia Asset Management.  

 ” Les assureurs détiennent plus d’obligations que d’actions. Les nouvelles normes comptables ont favorisé pour eux l’achat d’obligations. Et les banques centrales soutiennent davantage les banques “, explique Frédéric Buzaré

Pour rappel en Belgique , le bancassureur KBC détient des emprunts grecs à hauteur de 1,2 milliard d’euros environ. L’exposition de l’assureur Fortis aux dettes souveraines grecques et portugaises s’élevait à 7,2 milliards d’euros à la fin de l’année dernière. BNP Paribas Fortis détient quant à elle 1,5 milliard d’euros de dette grecque dans son portefeuille. 

 De fait, même avant un éventuel défaut de paiement ou restructuration de la dette grecque, les banques et les assureurs sont d’ores et déjà  pénalisés par le fait que les obligations grecques sont désormais qualifiées de “spéculatives” par Standard and Poor’s. En langage boursier il s’agit d’obligations “pourries” (“junk”), soit des mots qui rappellent de douloureux souvenirs aux marchés et poussent les investisseurs à se délester de leurs titres financiers. 

Cependant, ” le scénario d’une défaillance grecque n’est pas envisageable. Les conséquences sur le secteur financier, qu’il faudrait sauver à nouveau, et sur les autres dettes souveraines, auraient l’ampleur d’un Lehman Brothers II “. 

Une baisse de 10% d’ici trois mois 

Même avant la panique boursière observée depuis deux jours,  le stratégiste estimait que les marchés auraient perdu 10% dans les trois prochains mois, même s’il s’attendait à des reculs moins brutaux. ” Le marché était suracheté, c’est normal qu’il corrige. On a pratiquement perdu 7% en deux jours. Mais ce n’est pas choquant, ce n’est pas la fin du monde. Les indices devraient seulement avoir retrouvé leur point bas de fin février à la fin du premier semestre.

Ensuite, si le marché casse ces points bas, alors peut-être que les investisseurs entreront dans une logique de nouvelle crise systémique. Le risque, ce sont les anticipations autoréalisatrices du marché. Quand le marché panique, il ne se focalise que sur les mauvaises nouvelles “. De fait, Frédéric Buzaré avait déjà prévenu que le premier semestre serait plus difficile que le second. La fin de l’année devrait en effet bénéficier de plus de visibilité.

 source l’echo avril10

5 réponses »

  1. Le soi-disant « plan d’aide » prévoit que les Etats européens prêteront 30 milliards d’euros à la Grèce à un taux de 5 %.

    Mais … les Etats européens sont eux-mêmes surendettés !

    Alors on nous explique que les Etats européens vont emprunter sur les marchés internationaux, et qu’ensuite ils vont prêter ces sommes à la Grèce !

    Mais … les Etats européens vont se surendetter encore plus !

    1- Exemple : l’Irlande.

    Le taux d’intérêt des obligations de l’Irlande à 10 ans est en ce moment même de 5,297 %.

    http://www.romandie.com/infos/news/201004291105040AWP.asp

    L’Irlande va donc emprunter à un taux de 5,297 %, pour pouvoir ensuite prêter à la Grèce à un taux de 5 % !

    En clair : l’Irlande va se surendetter encore plus, et elle va perdre de l’argent encore plus !

    2- Autre exemple : le Portugal.

    Le taux d’intérêt des obligations du Portugal à 10 ans est de 5,809 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/cbuilder?ticker1=GSPT10YR%3AIND

    Le Portugal va donc emprunter à un taux de 5,809 %, pour pouvoir ensuite prêter à la Grèce à un taux de 5 % !

    En clair : le Portugal va se surendetter encore plus, et il va perdre de l’argent encore plus !

    Etc.

    Dernier problème : même si les Etats européens réussissaient quand même à prêter 30 milliards d’euros à la Grèce, ce serait à fonds perdus car la malheureuse Grèce est incapable de rembourser quoi que ce soit.

    Ce soi-disant « plan d’aide » est complètement pipeau ; il ne sert qu’à essayer de rassurer les marchés internationaux.

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