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Martin Wolf : Les limites de la prudence

Les limites de la prudence, par Martin Wolf  

  Les Américains suivent avec attention la procédure lancée par la Securities and Exchange Commission, le gendarme américain de la Bourse, contre Goldman Sachs. Beaucoup espèrent que ceux qui ont mal agi seront enfin punis. 

Mais la question n’est pas vraiment là. Le problème porte sur ce qui est autorisé, plutôt que sur le fait d’empêcher ce qui ne l’est pas. Car la vraie catastrophe s’est nouée sur les risques pris par des joueurs qui opéraient en toute légalité au sein du système.

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Le rôle des grands établissements financiers est, de toute évidence, problématique : ils sont tout à la fois les casinos, les plus gros joueurs, les agents d’autres joueurs et, si les choses tournent mal, ce sont eux qui tirent avantage de la responsabilité limitée et qui sont les premiers bénéficiaires des plans de sauvetage des gouvernements. C’est là, la garantie assurée de nouvelles catastrophes. A l’époque de l’étalon-or, l’ampleur des mesures de sauvetage était limitée. Dans un système de monnaie « fiat » (fiduciaire), il n’existe aucune limite, jusqu’à ce que la valeur de la devise s’effondre

Alors que faire ?

Une solution évidente serait d’en revenir à un système bancaire oligopolistique étroitement réglementé, à l’image de celui qui prévaut au Canada. Mais c’est un système lourd. Il est également contradictoire avec la mondialisation. L’accès des ressortissants nationaux à la finance mondiale et celui des établissements nationaux aux risques internationaux rendent de tels cartels instables par nature. 

L’alternative consiste à rendre plus sûr le système existant, relativement non régulé. Pour y parvenir, il faudrait renforcer les établissements et les relations qu’ils entretiennent, améliorer la qualité de l’information et inciter les joueurs à plus de prudence. Cela implique sept mesures principales

Et tout d’abord, relever les exigences de fonds propres. Il existe dans le monde beaucoup d’Etats dans lesquels des établissements bancaires présentent des niveaux d’endettement bien trop élevés. Des ratios de 30 pour 1 sont une pure folie ; 3 pour 1 semblent plus raisonnables. 

Deuxièmement, ces sociétés doivent posséder des dettes substantielles susceptibles, en cas de procédure de faillite, d’être converties en fonds propres ou traitées comme si elles étaient des fonds propres

Troisièmement, faire des exigences de fonds propres de puissants outils contracycliques

En quatrième lieu, s’assurer que les banques possèdent un stock important d’actifs que les prêteurs de dernier ressort pourront facilement évaluer.

 Cinquièmement, modifier les dispositifs incitatifs au sein des grandes firmes. Les gestionnaires d’établissements en difficulté devraient recevoir des bonus en actions qu’ils ne pourraient vendre que plusieurs années après avoir quitté l’entreprise. Si cela réduit le nombre de preneurs de risques agressifs, tant mieux. Les procédures de claw-back (réallocation des bonus en cas de pertes) doivent aussi s’appliquer aux autres employés. Sinon, il est trop facile de réaliser d’énormes profits grâce à des stratégies ayant une forte probabilité de capoter. 

Sixièmement, imposer des exigences de fonds propres et de garanties beaucoup plus élevées en cas d’opérations sur les produits dérivés.

 En septième lieu enfin, améliorer radicalement la qualité de l’information disponible. Il serait important de changer le mode de financement des agences de notation. Comme celles-ci assurent un service public, elles devraient être financées par un impôt général. 

Cela rendrait-il le système financier meilleur ? Oui.

 Mais il n’en resterait pas moins une machine infernale. Nous sommes face à trois difficultés.

La première, c’est qu’il n’existe pas de base sûre pour déterminer le montant de fonds propres nécessaire

Deuxièmement, il est profitable de courir des risques lorsque, en cas de réussite, les bénéfices vont dans votre poche et que, en cas d’échec, les coûts sont supportés par d’autres. Plus les régulateurs rendront le système sûr et plus celui-ci permettra de faire preuve d’audace. 

Enfin, il est facile de définir le risque souhaité au travers de l’arbitrage réglementaire. C’est précisément ce qu’a fait le « système bancaire fantôme ». 

Que pourrait-on tenter d’autre ? Réponse : une réforme structurelle.

 Trois propositions sont sur la table

La première, avancée par Paul Volcker – ex-président de la Réserve fédérale américaine et conseiller du président Barack Obama – est d’interdire les transactions pour compte propre aux établissements assurés. Si cela est possible (ce dont je doute), on devrait le faire. 

La deuxième proposition, formulée entre autres par John Kay, économiste et professeur à la London School of Economics, serait de favoriser les « banques étroites », ce qui permettrait de rendre sûrs les établissements de dépôt, tandis que le reste du secteur demeurerait peu réglementé. 

La troisième, faite par Laurence Kotlikoff de l’université de Boston dans son ouvrage Jimmy Stewart Is Dead (Wiley & Sons, 2010), propose de fonder un « système bancaire à objectif limité ». 

Cette idée me plaît. Elle établit que l’on n’a pas le droit de jouer avec l’argent des autres, car, lorsqu’on perd beaucoup, l’Etat doit régler l’addition. Au lieu d’avoir des entités peu capitalisées qui prennent des risques sur leurs prêts tout en promettant de rembourser les obligations à taux fixe, les établissements financiers deviendraient des fonds communs de placement. Le risque serait alors clairement assumé par les ménages, de toute façon détenteurs de tous les actifs. Dans ce monde-là, les intermédiaires financiers ne prétendraient pas pouvoir honorer des obligations que, dans de nombreux Etats, ils ne pourraient tout simplement pas endosser. 

Aucune de ces propositions n’est à même de résoudre entièrement le problème consistant à assurer une plus grande stabilité macroéconomique, mais il ne fait aucun doute qu’un système financier moins instable y contribuerait. Elles ne sont pas plus à même de régler celui de la coordination internationale : dans une économie mondiale ouverte, sans contrôle des changes, la stabilité financière est déjà difficile à assurer dans un seul pays. Ni, enfin, de débrouiller celui, évident, du passage du système actuel à un autre plus sain. 

Ce débat met en relief deux points essentiels. Le premier est que pour parvenir à édifier un système moins fragile, il est nécessaire de procéder à une refonte des règles de fonctionnement. Un renforcement de la surveillance ne sera pas suffisant. Les dispositifs incitatifs doivent donc fondamentalement changer. 

Le second est qu’un monde de la finance où les intermédiaires assument les risques sur leurs propres bilans est par nature instable : il est probable qu’ils commettront ensemble les mêmes erreurs, déclenchant une panique qui menacera tout le système, avec des conséquences économiques dévastatrices. C’est le talon d’Achille des économies de marché. Nous sommes prévenus.

LE MONDE ECONOMIE | 03.05.10 | 

Cette chronique de Martin Wolf, éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le « Financial Times ». (Traduit de l’anglais par Gilles Berton.)

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