Art de la guerre monétaire et économique

Marc Touati /Crise européenne : Les dieux sont tombés sur la dette…

Marc Touati /Crise européenne : Les dieux sont tombés sur la dette…

 Marc Touati   Face à la débandade que subit aujourd’hui la zone euro, deux questions s’imposent : comment en est-on arrivé là ? Et comment va-t-on en sortir ? Dans les deux cas, la réponse est malheureusement simple : tout est lié à l’incompétence ou non des dirigeants de la zone euro. Ainsi, au-delà du cas grec, la crise actuelle n’est que la conséquence des multiples et répétitives erreurs de gouvernance de la zone euro.

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 D’ailleurs, avant même la création de l’Union Economique et Monétaire (UEM) le 1er janvier 1999, le ver était déjà dans le fruit. En effet, il était d’ores et déjà clair que la zone euro ne pourrait fonctionner qu’en devenant une zone monétaire optimale (ZMO), c’est-à-dire une zone parfaitement intégrée entre des pays économiquement très proches. Autrement dit, une zone trop large était inévitablement vouée à l’échec. C’est pourtant cette option qui a été choisie. Conscients de l’aspect bancal de l’UEM, les dirigeants européens ont néanmoins imposé certains critères pour faire partie du club : un déficit public inférieur à 3 % du PIB, une dette publique sous les 60 % du PIB, une inflation limitée, des taux longs contenus et une appartenance d’au moins deux ans au Système Monétaire Européen.

Mais là aussi, nouvelle erreur : les critères de convergence sont uniquement des variables nominales et ne reflètent que très peu l’économie réelle des pays concernés (par exemple le PIB par habitant, le taux de chômage…). De plus, bien loin d’être strict dans la lecture des critères, de nombreux pays ont été intégrés dans la zone euro, alors qu’ils ne respectaient pas certaines règles, et notamment celle de la dette publique. Ainsi, en 1998, au moment du choix des pays destinés à entrer dans le premier wagon de la zone euro, seuls le Luxembourg, l’Irlande, la France, le Portugal et l’Allemagne affichaient un ratio dette publique/PIB inférieur ou égal à 60 %. Les autres en étaient bien loin : 115 % en Italie, 117 % en Belgique ou encore 64 % en Espagne. Avec un niveau de 94,5 %, la Grèce n’a certes pas intégré la zone en euro en 1999, mais y est tout de même entrée deux ans plus tard, avec un ratio de… 103 %. Autrement dit, de nombreux pays ont pris le train de l’euro, alors qu’ils auraient dû rester sur le quai pendant encore quelque temps, histoire de faire leurs preuves. 

Balayant de la main cet argument irréfutable de la nécessité d’une zone monétaire optimale, les dirigeants européens ont alors inventé un nouveau subterfuge : le pacte de stabilité et de croissance. Ce dernier était censé imposer aux pays de l’UEM de respecter les critères de finances publiques, sous peine de représailles financières. Mais, une fois encore, la règle ne sera jamais appliquée, si bien que de plus en plus de pays de la zone vont prolonger voire accélérer leur laxisme budgétaire. Ils auraient d’ailleurs eu tort de s’en priver : ils bénéficiaient de taux d’intérêt obligataires bas grâce à leur appartenance à la zone euro et ce, sans faire de réformes, notamment en matière d’efficacité de leurs dépenses publiques

Mais si, de tels dérapages peuvent encore passer inaperçus en phase de croissance, même molle, ils deviennent insupportables en période de crise.

Avec la récession de 2008-2009, la prophétie de Milton Friedman selon laquelle, en l’absence de ZMO, la zone euro ne survivrait pas à sa première grave crise est donc logiquement revenue sur le devant de la scène.

Milton Friedman : L’improbable passage à la monnaie unique (cliquez sur le lien)

Et, une fois encore, alors qu’il aurait été possible d’éviter le pire, les dirigeants de la zone euro vont provoquer l’irréparable. Ainsi, dès la fin 2007 et surtout en 2008, ces derniers se sont félicités de la force de l’euro/dollar et l’ont même l’alimentée. Alors que la récession s’installe dès le deuxième trimestre 2008, la BCE augmente son taux refi début juillet, envoyant l’euro vers un sommet historique de 1,60 dollar, et, par voie de conséquence, le baril de pétrole à 150 dollars. Dès lors, la récession a empiré, dépassant largement celle des Etats-Unis. 

Prolongeant le massacre et alors que la crise mondiale bat son plein, la BCE a encore refusé de baisser son taux refi au niveau des taux de la majorité des banques centrales occidentales, relançant de nouveau l’euro à la hausse et empêchant la croissance eurolandaise de redémarrer rapidement et fortement. En d’autres termes, rééditant les erreurs accumulées depuis 2002, la BCE a continué de sacrifier la croissance sur l’autel de l’inflation. Bien entendu, elle n’est pas la seule coupable de tous les maux de la zone euro. Ainsi, si les dirigeants eurolandais avaient indiqué aux marchés que l’euro était trop fort, ils auraient pu stopper l’hémorragie. Si, plutôt que de passer leur temps à chercher des boucs émissaires à la crise lors des G20, ils avaient essayé d’orienter ces derniers vers une coopération internationale sur le niveau des devises et notamment de l’euro/dollar, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Car, arrêtons d’être dupes : une monnaie forte n’est pas un gage de croissance soutenue, elle ne peut être que la résultante d’une économique forte. En refusant d’admettre cette évidence, les dirigeants politiques et monétaires eurolandais ont donc alimenté la croissance molle, puis aggravé la récession et enfin empêché une reprise rapide. 

Mais, comme si toutes ces erreurs ne suffisaient pas, ils ont ajouté la « cerise grecque » sur le gâteau. En effet, au lieu de faire front commun et de montrer au monde le caractère indéfectible de la solidarité eurolandaise, ils ont laissé la Grèce s’enliser dans la crise et la suspicion, attendant quatre mois pour enfin réagir. Si bien qu’aujourd’hui, la viabilité même de la zone euro est remise en question.

 Nouriel Roubini : “Une implosion de l’euro ne peut pas être exclue” (cliquez sur le lien)

Dans ce cadre, la seule solution à cette crise réside dans l’inversion de toutes ces erreurs. Pour ce faire, les dirigeants eurolandais doivent monter au créneau de façon concertée en déclarant au monde que la zone euro est inaliénable. Ils doivent également s’engager à restaurer la croissance et à utiliser tous les moyens possibles pour y parvenir. La politique budgétaire doit donc réduire ses nombreuses poches d’inefficacité, notamment en diminuant les dépenses de fonctionnement. La BCE doit aussi arrêter de jouer contre l’activité économique, en consacrant un taux refi adapté à la croissance, ce qui imposerait par exemple aujourd’hui que ce dernier soit descendu à 0,5 %. Enfin, la baisse de l’euro, qui a déjà commencé, doit se prolonger jusqu’à 1,20 dollar pour un euro, ce qui permettra de relancer la croissance vers les 2,5 % d’ici le début 2011. 

Dès lors, la Grèce et l’ensemble de ses partenaires eurolandais pourront sortir par le haut de cette crise et la zone euro sera sauvée. Du moins temporairement. Car, n’oublions pas que le vrai problème de la dette publique réside dans la faiblesse de la croissance économique. Si cette dernière est favorisée et dépasse largement la charge d’intérêts de la dette, alors la crise actuelle aura été un mal pour un bien. A l’inverse, si nos vieux démons démagogiques et dogmatiques reprennent le dessus, la croissance repartira très vite à la baisse et la crise actuelle ne sera que la genèse d’une catastrophe encore plus grave qui mettra fin à la zone euro dans les prochaines années. Espérons donc qu’une fois n’est pas coutume, nos dirigeants politiques et monétaires sauront être à la hauteur. 

Marc Touati ACDEFI – 06 mai 2010

EN COMPLEMENT : Crise européenne : Who’s next ? 

Tout un symbole ! Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, qui n’a cessé de vanter les mérites de la zone euro et de sa soi-disant supériorité sur l’économie américaine, vient de réaliser un virage à 180° en déclarant que la fin de l’euro était devenue possible. Une telle perspective, qui paraissait inimaginable au plus grand nombre il y a encore quelques semaines, est donc bien en train de s’installer. 

La raison en est malheureusement simple : en laissant la zone euro s’enliser dans la récession dès 2008, puis en l’empêchant de redémarrer fortement fin 2009 et enfin en laissant la crise grecque dégénérer, les autorités eurolandaises ont atteint un point de non-retour. Et, de la même façon que l’annonce du plan de sauvetage de la Grèce il y a presque un mois n’avait pas été prise au sérieux, sa concrétisation il y a deux jours est loin d’avoir convaincu les marchés. Pis, ces derniers en ont déduit que non seulement la crise grecque était loin d’être finie, mais surtout qu’elle pourrait bientôt entraîner des dérapages similaires dans d’autres pays de la zone euro. 

Pourquoi tant de haine ? Pourrait-on penser. En fait, il ne s’agit pas de haine mais plutôt de bon sens. En effet, plus les mois passent, plus la Grèce ressemble à l’Argentine des années 1998-2002. A l’époque, au lendemain de la crise asiatique, l’Argentine plonge dans la récession, notamment parce qu’elle est bloquée par un taux de change surévalué de 1 peso pour 1 dollar. En 2000, elle demande et obtient l’aide du FMI, mais en échange d’un plan de rigueur sans précédent. La récession empire si bien que, dès le début 2002, l’Argentine est contrainte de dire « non » aux injonctions du FMI. Elle supprime donc son plan de rigueur, puis laisse sa devise se déprécier fortement et enfin renégocie un moratoire de sa dette. Autrement dit, il n’a servi à rien de vouloir éviter l’inévitable : dès le début de la crise, la seule sortie de secours de l’Argentine résidait dans la dévaluation de sa devise. Avoir voulu refuser l’évidence s’est finalement traduit par une crise sociale catastrophique qui a finalement imposé dans la douleur la solution qui aurait pu être pratiquée dans la douceur quatre ans plus tôt. 

La situation grecque est malheureusement très proche : en engageant un plan de rigueur de 30 milliards d’euros, soit 12,6 % de son PIB, la Grèce s’est condamnée à une récession insurmontable, sachant qu’elle est déjà au bord de la crise sociale. De plus, en augmentant son taux de TVA de 21 % à 23 %, elle va certainement accroître son économie parallèle, qui est pourtant son fléau numéro un. 

Autrement dit, comme d’habitude et en dépit des erreurs du passé, les dirigeants du FMI et de la zone euro ont encore agi par dogmatisme, faisant fi des réalités économiques. Car s’il était important de permettre à la Grèce de financer sa dette sans faire appel aux marchés, il était encore plus déterminant de restaurer la croissance de la Grèce et plus globalement, celle de la zone euro. 

Car ne l’oublions pas, le problème central de la dette publique des pays eurolandais réside dans le fait que la charge d’intérêts que doivent payer chaque année ces derniers sur leur dette publique est supérieure à leur croissance économique

Dès lors, tant qu’une croissance forte et durable ne sera pas assurée, la crise de la dette eurolandaise se prolongera. Avec une question simple : Who’s Next ? Portugal, Espagne, Italie, France, tous ces pays sont concernés. Car, ne nous leurrons pas, avec des dépenses publiques qui excèdent les 50 % du PIB (55,6 % pour la France), des déficits publics qui oscillent autour des 8 %, une charge d’intérêt de la dette de plus de 3,2 % du PIB et une croissance économique d’au mieux 1,5 % cette année, nous sommes tous un peu grecs… 

Il faut donc agir vite, par exemple, avec une baisse du taux refi de la BCE à 0,5 %. L’euro, qui a déjà bien baissé, ira alors rapidement vers les 1,20 dollar. La zone euro pourra alors profiter à plein de la reprise de la croissance mondiale, tout en limitant ses importations, rendues plus chères par la dépréciation de sa devise. Quant au cours du pétrole, pas d’inquiétude, puisque plus le dollar montera, plus la hausse des prix pétroliers sera limitée. Enfin, pour sauver définitivement la zone euro, elle devra forcément devenir une zone monétaire optimale. « Rêve pieux » diront certains. Peut-être, mais si nous n’y arrivons pas, il faudra se faire à l’idée de la disparition de l’euro dans les prochaines années. 

Marc Touati  ACDEFI – 04 mai 2010

BILLET PRECEDENT : Marc Touati : Zone euro : la fin d’un rêve ? (cliquez sur le lien)

5 réponses »

  1. Il est écrit : « le vrai problème de la dette publique réside dans la faiblesse de la croissance économique »

    C’est plutôt l’inverse. Le vrai problème de la faiblesse de la croissance économique, c’est la dette publique.
    La dette est la cause ; la faiblesse de la croissance est la conséquence.

  2. La très grande majorité des commentateurs européens considère comme un début de catastrophe le fait que l’euro se soit déprécié par rapport au dollar. Regardons-y de plus près.

    L’euro qui valait 1$45 en début d’année ne vaut plus que 1$28 aujourd’hui. Un américain pourra avec 1$28 aujourd’hui acheter une marchandise européenne valant un euro, il ne le pouvait pas en début d’année. Un Européen ne pourra plus acheter comme il le faisait en début d’année une marchandise américaine valant 1$45. Le commerce extérieur de l’Europe ne peut que s’en trouver raffermit et, de ce point de vue, la perte de valeur de l’euro par rapport au dollar est tout à fait bénéfique.
    Certaines considérations peuvent toutefois tempérer ce premier constat, par exemple la considération que les entreprises européennes sont plus faciles à acheter pour les fonds de pension américain. Cette considération ne paraît toutefois pas de nature à emporter la conviction tant il apparaît que l’euro est depuis longtemps surévaluer par rapport au dollar.

    Les inquiétudes quant à la baisse de l’euro peuvent s’expliquer de trois façons :

    -Une ignorance du mécanisme fondamental des échanges internationaux
    -Voir la spéculation internationale attaquer l’euro, monnaie extrêmement forte, non pas seulement des pays comme l’Allemagne qui pour des raisons historiques ont une tradition socio-économique de monnaie forte. Mais aussi monnaie de pays qui comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne, voir la France sont des pays de monnaies faciles ou la chute du cours de la monnaie était souvent la solution donnée à des contradictions internes, sociales ou économiques. La chute de la monnaie n’étant plus possible quand leur monnaie est devenue l’euro, les contradictions doivent trouver les solutions ailleurs et par exemple, dans le cas de la Grèce, dans un déficit des finances publiques incontrôlé. La crainte est alors que la spéculation n’attaque une construction monétaire plaquée sur des types de fonctionnement sociaux et économiques extrêmement différents.
    -Qu’une pratique continue de monnaie fondante et facile n’entraîne une dissolution des liens sociaux comme dans l’Allemagne de l’après 1ere guerre mondiale ou certains observateurs voient dans l’hyper-inflation un des éléments qui ont permis l’avènement du nazisme.

    La réflexion sur l’euro doit prendre en considération ces éléments sous peine de voir se creuser le fossé entre une construction monétaire rigide et sans articulations et la réalité économique très contrastée des pays qui composent l’Europe monétaire d’aujourd’hui.
    Plus précisément l’affaiblissement de la valeur de l’euro dans une situation de crise est de risque de spéculation, est un facteur qui permet de mieux résister à cette spéculation et à cette crise.

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