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Nicolas Baverez :La société de précaution

La société de précaution par Nicolas Baverez

  A défaut de les prévenir, le principe de précaution vient de provoquer trois catastrophes.

La mobilisation générale lancée par l’OMS contre la pandémie liée au virus H1N1 a poussé les Etats à constituer des stocks massifs de vaccins qui se révèlent aujourd’hui inutiles et seront demain obsolètes.

Après avoir recommandé à la population de rester chez elle lors de la tempête Xynthia au prix de 53 morts, l’Etat a décrété au lendemain de l’ouragan, sans évaluation ni concertation préalable, des zones de destruction massive où seront rasées les maisons dont il avait autorisé la construction.

L’éruption du volcan islandais Eyjafjöll a entraîné un blocus du ciel européen qui a réduit 8 millions de passagers à la condition de réfugiés et provoqué des milliards de pertes à l’économie d’un continent où la reprise est en passe d’avorter.

Au nom de ce principe, les OGM ont été interdits, ce qui a porté un coup fatal à la recherche agronomique et contribué au déclassement de l’agriculture française, dont l’excédent commercial est désormais inférieur à celui de l’Allemagne.

 Selon la même logique, gouvernements, banques centrales et régulateurs, qui ignorèrent les signaux d’alerte des bulles spéculatives, rivalisent de taxes et de normes interdisant aux banques et aux assurances de financer l’économie, sans pour autant traiter le risque systémique concentré sur la liquidité bancaire.

A l’origine de cette cascade de désastres, toujours la même séquence : absence d’évaluation et de prévention des risques ; stupeur et improvisation devant l’événement ; amplification de la menace et démesure de la riposte ; désillusion des citoyens et mise en accusation des responsables politiques face à l’absurdité des mesures et à l’inflation des coûts.

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Trop de précaution nuit gravement à la gestion des risques, en substituant à l’action raisonnée l’émotion instantanée.

Rien n’est plus faux que le préjugé selon lequel on n’en fait jamais trop en matière de précaution.

 L’idéologie de la précaution ne prend plus en compte le risque objectif, mais les inquiétudes subjectives, comme le montre la jurisprudence qui ordonne le démontage des antennes de téléphonie, non en raison des dommages pour la santé des riverains, mais en raison de leurs craintes.

La contagion de la peur finit par accroître les risques qu’elle était censée conjurer, à l’image de la suspicion jetée sur la vaccination par la gestion de la grippe aviaire. Des milliards d’euros sont engloutis dans des indemnisations sans cause ni bénéfice pour la collectivité et font tragiquement défaut aux fonctions régaliennes de l’Etat, aux investissements d’avenir ou à la lutte contre les nouveaux fléaux sociaux.

Le doute jeté sur la science sape la recherche, dès lors qu’une découverte suppose la rupture.

Le principe de précaution débouche sur une paralysie générale de l’Etat, de la société et de la pensée.

Ajoutons-y, en France, une bombe judicaire née de la combinaison de son inscription dans la Constitution avec l’exception d’inconstitutionnalité désormais ouverte à chacun.

La précaution et la protection sont les deux idoles d’une religion de la catastrophe qui détruit la citoyenneté.

Loin de la responsabilité prônée par Hans Jonas, le principe de précaution conduit à l’irresponsabilité illimitée des individus et à l’impuissance de l’Etat. La diffusion d’une culture de la victime débouche sur un individualisme radical, qui réduit la citoyenneté à une protection universelle garantie par la puissance publique.

L’Etat est voué au dépérissement, ligoté sur le plan opérationnel, ce qui lui interdit de gérer les risques, condamné à la faillite par les droits de tirage infinis qu’il a reconnus.

 L’illusion du risque zéro menace la liberté du fait de la disparition du choix individuel, qui implique la responsabilité, et de la surexpansion de l’Etat.

Mais la démagogie sécuritaire se retourne également contre la puissance publique, délégitimée par une société fondée sur la défiance et le soupçon. La précaution de tous contre tous n’est rien d’autre que la négation du vouloir vivre ensemble, donc la désintégration de la nation.

La passivité propre au principe de précaution doit céder la place à une gestion active du risque à travers le principe de résilience.

La mondialisation, la société ouverte, les révolutions de l’information et des biotechnologies engendrent des risques universels, industriels, financiers, sanitaires, climatiques, environnementaux, terroristes.

La configuration multipolaire du XXIe siècle est fluide, instable et incertaine. L’effondrement des marchés et du crédit en 2008 comme celui du transport aérien en 2010 soulignent la vulnérabilité des réseaux qui structurent nos sociétés et déterminent la sécurité des hommes comme des nations. Le risque ne peut être supprimé, mais doit évalué, prévenu et géré.

 D’où pour la France la nécessité de retirer le principe de précaution de la Constitution pour le ramener au rang de norme juridique ayant vocation à être combinée avec les autres valeurs de la République.

D’où pour l’Europe, qui a donné une nouvelle et navrante illustration de son inefficacité avec l’absence de toute coordination dans la gestion des espaces aériens nationaux, l’urgence de se doter d’une capacité opérationnelle de gestion des crises.

D’où pour les Etats, le coup d’arrêt à l’extension de protections fictives car non financées au profit de systèmes de responsabilité croisée des individus, des entreprises, des marchés et des opérateurs publics.

D’où la nécessité d’améliorer la résilience des citoyens, des nations et des continents pour retourner rapidement à un fonctionnement normal. Contre les prophètes de l’apocalypse qui ne croient plus à rien sinon à la peur, il faut conserver la foi dans la capacité des hommes à assumer et maîtriser les risques inhérents à leur liberté

  Nicolas Baverez le point avril10

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