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L’Espagne à nouveau face à la fatalité de l’Age d’or par Andreas Höfert

L’Espagne à nouveau face à la fatalité de l’Age d’or par Andreas Höfert

  Le «mal espagnol» indique qu’une politique budgétaire saine est une condition nécessaire mais pas suffisante pour une union monétaire…

On a souvent accusé l’économie d’être une science déprimante. Cette réputation n’est pas injustifiée: elle doit souvent expliquer pourquoi une aubaine financière peut devenir une malédiction. Par exemple, les richesses amassées par l’Espagne lors de l’Age d’or (XVIIe siècle) ont fini par provoquer sa ruine. L’histoire se répète-t-elle?

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L’histoire regorge de pays submergés par un afflux d’argent facile.

Le «mal hollandais» en est l’exemple moderne typique. Au début des années 1960, les Pays-Bas se sont réjouis de la découverte de gisements de pétrole et de gaz en mer du Nord. L’euphorie est toutefois retombée lorsque les exportations ont fait grimper le cours du florin ainsi que le coût du travail dans le pays, acculant exportateurs et industriels à la faillite.

L’histoire de l’Espagne pendant le Siècle d’or (de 1550 à 1700 environ) demeure une illustration parfaite de la malédiction d’un enrichissement rapide. Si les conquistadores Hernán Cortés et Francisco Pizarro n’ont trouvé ni le légendaire El Dorado ni les cités d’or dans le Nouveau Monde, leurs conquêtes ont empli jusqu’à plus soif les coffres espagnols avec l’argent des mines de Zacatecas (Mexique) et de Potosi (Bolivie). Cette dernière a fourni à elle seule 45 000 tonnes d’argent au Trésor espagnol jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Au cours actuel de l’argent, cette quantité équivaudrait à 30 milliards de dollars US, alors que le produit intérieur brut (PIB) espagnol moyen sur cette période est estimé à moins de 7 milliards de dollars.

L’afflux de richesses aurait dû enrichir prodigieusement la Couronne espagnole et ses sujets. Pourtant, même si l’Espagne devint la première puissance européenne au XVIe et au début du XVIIe siècle, d’autres pays ont su en tirer un meilleur profit. D’après les estimations de l’économiste Angus Maddison, décédé le mois dernier, le PIB espagnol par habitant a progressé d’environ 30% entre 1500 et 1700, contre 75% et même 180% respectivement au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, les deux principaux rivaux de
l’Espagne.

En réalité, désinhibée par l’argent facile en provenance de ses colonies, l’Espagne s’est mise à vivre largement au-dessus de ses moyens. En guerre permanente contre les Anglais, les Français, les Ottomans et les pirates berbères, harcelée par les mouvements indépendantistes des provinces néerlandaises et portugaises, défendant bec et ongles la foi catholique contre la Réforme tout en bâtissant de somptueux monuments comme le palais de l’Escurial à Madrid (207 sur 161 mètres), l’Espagne de l’Age d’or n’avait pas les moyens de son impérialisme.

Malgré leur richesse, les rois d’Espagne ont fait défaut six fois en moins d’un siècle: en 1557, 1575, 1596, 1607, 1627 et 1647. De plus, de nombreux contemporains déploraient l’ampleur des importations étrangères en Espagne, suggérant que l’Espagne de l’Age d’or affichait un double déficit. L’Etat ainsi que le pays tout entier vivaient au-dessus de leurs moyens.

Pour finir, les richesses américaines ont fait bondir l’inflation en Espagne et dans l’Europe entière: les prix ont en effet été multipliés par six en 150 ans. Le tarissement de la manne des colonies a signé la fin du Siècle d’or espagnol; la Grande-Bretagne, la France et les Pays-Bas devinrent les nouvelles grandes puissances européennes.

Sans être aussi dramatique que cet épisode du passé, le sort de l’Espagne depuis son entrée dans la zone euro rappelle les faiblesses de l’Age d’or.

Certes, le gouvernement actuel a fait preuve de frugalité jusqu’à ce que le déficit explose sous l’effet de la crise financière. Cependant, le pays entier a été pris d’une frénésie financière alimentée non pas par l’afflux de métaux précieux, mais par la planche à billets de la Banque centrale européenne. Les taux d’intérêt réels espagnols avoisinaient 5,5% pendant la décennie avant l’adoption de l’euro. Dans les dix années suivantes, ils sont tombés en moyenne à 1,5%.

L’argent facile coulait à flots. L’inflation est restée sous contrôle, mais cet argent facile et le faible coût de l’endettement ont alimenté une bulle immobilière, dont l’explosion a été encore plus dévastatrice qu’aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.

 Pendant la période de vaches grasses, le coût unitaire de main-d’œuvre a progressé beaucoup plus rapidement en Espagne que chez ses concurrents, notamment l’Allemagne. Parallèlement, le déficit de la balance courante espagnole est passé d’environ 1,5% du PIB dans les années 1990 à 6% en moyenne dans les années 2000.

Ce «mal espagnol» indique qu’une politique budgétaire saine est une condition nécessaire mais pas suffisante pour une union monétaire.

Autre condition, non moins urgente mais bien plus délicate: une fois qu’un pays a rejoint l’union, il ne doit pas se mettre à vivre sans retenue au-dessus de ses moyens, même si la masse monétaire augmente et que le coût du crédit baisse. Cette inévitable tentation est ce qui rend la réalisation d’une union monétaire optimale si difficile, et elle n’augure rien de bon pour l’avenir de l’euro.

 Andreas Höfert UBS mai10

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