Commentaire de Marché

L’Europe à quitte ou double, par Martin Wolf

]L’Europe à quitte ou double, par Martin Wolf

  Le dispositif financier annoncé le 9 mai par les gouvernements européens est spectaculaire. La question est de savoir s’il apportera une réponse autre que temporaire. La réponse est non. Telle qu’elle a été conçue à l’origine, la zone euro a échoué. Elle ne réussira que si elle est profondément réformée.

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Certes, les mesures prises rendent beaucoup plus coûteux le fait de parier contre la dette des gouvernements faibles, et les marchés l’ont d’ailleurs reconnu. La dette publique de la zone euro est, par rapport au produit intérieur brut (PIB), légèrement inférieure à celle des Etats-Unis. Si les gouvernements solvables décident de soutenir les moins solvables, ils peuvent le faire. En tout cas pour l’instant.

Mais pourquoi a-t-il été nécessaire de procéder à une intervention aussi radicale ? Parce que l’on est très loin, en définitive, de ce que les architectes de la zone euro avaient en tête au départ. Le projet d’union monétaire reposait en effet sur trois idées essentielles :

 la première, que des limites définies par traité contiendraient les déficits budgétaires des différents membres ;

 la deuxième, que si cela échouait, les déficits seraient contenus par la clause interdisant les sauvetages ;

et la troisième, que les économies des membres de la zone finiraient par converger au fil du temps. Aucun de ces points, hélas, ne s’est avéré.

Tout d’abord, les limites sur les déficits fixées par les traités se sont révélées à la fois inefficaces et mal ciblées. Elles ont été inefficaces parce qu’elles ont été ignorées. Cela a été spectaculairement vrai de la Grèce, qui a trafiqué ses chiffres. Elles se sont révélées mal ciblées, car certains pays aujourd’hui en déficit, notamment l’Espagne, ont respecté sans difficulté les critères budgétaires aussi longtemps que leur économie de bulle a été en expansion : l’Espagne a enregistré un excédent budgétaire en 2005, 2006 et 2007.

En deuxième lieu, pendant longtemps, les marchés n’ont pas prêté attention à l’apparition de la fragilité budgétaire, notant de façon identique toutes les obligations de la zone euro. Comme le souligne Paul De Grauwe de l’université de Louvain (Belgique) dans une note mordante rédigée pour le Centre for European Policy Studies : « La source de la crise de la dette gouvernementale est la prodigalité dont ont fait preuve dans le passé de larges segments du secteur privé, et en particulier du secteur financier. » Les marchés financiers ont financé l’orgie et, aujourd’hui, pris de panique, ils refusent de financer le travail de nettoyage que cela nécessite. A chaque étape, ils ont agi de façon procyclique.

Troisièmement, l’histoire de l’économie de la zone euro a par conséquent été une histoire de divergence, et non de convergence. La balance extérieure globale masquait le fait que certains pays, notamment l’Allemagne, présentaient d’énormes excédents des comptes courants et des exportations de capitaux correspondantes, alors que d’autres pays, notamment l’Espagne, se trouvaient dans une situation inverse. Dans les pays ayant une demande intérieure faible et un bas niveau d’inflation, les taux d’intérêt réels étaient élevés ; dans les pays avec une forte demande intérieure et une inflation plus forte, les taux étaient faibles.

Il en a résulté non seulement d’énormes déficits budgétaires, maintenant que les dépenses du secteur privé se sont effondrées, mais aussi la nécessité de retrouver la compétitivité perdue. Or, à l’intérieur de la zone euro, cela n’est possible qu’au travers d’une baisse des salaires ou d’une augmentation de la productivité plus forte qu’en Allemagne (et donc un chômage qui explose), ou des deux à la fois.

A présent les gouvernements sont aux prises avec les conséquences. Mais en insistant sur le fait qu’il n’y aura pas de défaut, ils protègent le secteur financier contre sa propre stupidité. On attend en réalité des populations des pays endettés qu’elles paient. Cela s’avérera-t-il une solution acceptable en l’absence d’un retour à la croissance dans les pays en difficulté ? Certainement pas.

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Alors que faire à présent ? Nous devons commencer par reconnaître que tout ce que nous avons fait, c’est gagner un peu de temps. Dans cette première véritable crise de la zone euro, les gouvernements, devant le tarissement des ressources financières, ont été conduits à prendre des mesures désespérées pour éviter les défauts.

A présent ils sont confrontés à de grands choix.

Le premier, et le plus fondamental, c’est de savoir s’il faut aller vers une plus grande intégration ou vers la désintégration.

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 La réponse doit évidemment être l’intégration. Bien entendu, il est possible d’imaginer un retour aux monnaies nationales, mais cela entraînerait l’implosion du système financier, car les corrélations entre actifs et passifs, aujourd’hui en euros, seraient frappées d’incertitude. On assisterait à une fuite massive de capitaux vers les banques des pays jugés sûrs.

Le deuxième choix, c’est de gérer la divergence. La zone euro ne peut compter uniquement sur les marchés. Elle devra organiser la divergence dans les périodes fastes et amortir l’ajustement dans les passes difficiles. C’est pour cela qu’un fonds monétaire est essentiel. Cette organisation de la divergence doit influencer les politiques des économies déficientes en demande comme de celles qui sont excédentaires. Et les premières doivent désormais comprendre ceci : pourquoi, en définitive, accumuler des actifs étrangers sans valeur ?

Le troisième choix concerne la façon d’améliorer la compétitivité. Cela implique une réforme du marché du travail, et pourrait également signifier l’ajustement des salaires nominaux.

Quatrième choix : comment renforcer la solidarité ? Une idée intéressante, formulée par le club de réflexion bruxellois Bruegel, consisterait à ce que les pays de la zone euro mettent en commun jusqu’à l’équivalent de 60 % du PIB de leurs dettes nationales, ce qui donnerait naissance à l’un des deux plus grands marchés de dette publique du monde.

Le dernier choix, enfin, est de déterminer la façon de restructurer l’excédent de dette. Une telle restructuration doit être autorisée, car son interdiction génère un risque subjectif majeur, non pas chez les politiciens comme on le craint, mais chez les financiers.

Comme l’a bien montré mon collègue Wolfgang Münchau, c’est aujourd’hui un moment de vérité, en particulier pour Berlin.

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 La survie de la zone euro est de toute évidence dans l’intérêt à long terme de l’Allemagne, non seulement parce qu’elle apporte la touche finale à la politique d’intégration européenne d’après-guerre, mais aussi parce que l’union monétaire a protégé la compétitivité de l’industrie allemande et ainsi permis à l’économie de l’Allemagne de croître en dépit de la stagnation de la demande intérieure.

Les Allemands sont enclins à penser que tout irait bien si l’on parvenait à imposer une discipline plus stricte aux pays déficitaires. Ils se trompent. La vraie réponse est de créer un système qui reconnaisse et réagisse à la réalité. Ce système doit être modifié afin de contenir la divergence, faciliter la restructuration de la dette et promouvoir l’ajustement économique. Ou bien ce sera l’échec.

Cette chronique de Martin Wolf, éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le « Financial Times ». (Traduit de l’anglais par Gilles Berton )LE MONDE ECONOMIE | 17.05.10

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3 réponses »

  1. Lundi 17 mai 2010 :

    L’opinion allemande se montre quant à elle majoritairement opposée au plan d’aide à la Grèce ou à tout autre pays de la zone euro lourdement endetté. Selon un sondage de l’institut Allensbach publié par le quotidien Bild, près de la moitié des personnes interrogées souhaitent un retour au Deutsche Mark.

    http://www.lepoint.fr/actualites-economie/2010-05-17/berlin-prepare-un-plan-pour-controler-la-dette-de-la-zone-euro/916/0/455888

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