La guerre aux méchants spéculateurs déclarée par les vaillants politiciens européens a trouvé une nouvelle apogée de stupidité.
L’introduction par l’Allemagne de mesures dont le seul effet direct est de renforcer le sentiment d’inquiétude prévalant déjà sur les marchés s’accompagne de la volonté d’assumer un rôle de leader que tant les investisseurs que les autres Etats ont transformé en cavalier seul.
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PLUS DE GROSSE BERTHA EN SUIVANT :
Ce passage de la discussion multilatérale à l’action solitaire révèle une absence de coordination surprenante entre les pays européens qui ne fait que renforcer l’insécurité juridique. Comme s’il y avait encore besoin d’accentuer le mouvement des investisseurs cherchant refuge aux Etats-Unis (qui paraissent actuellement nettement plus solide tant du point de vue conjoncturel que juridique).
Consternante Europe par Jean-Pierre Petit (cliquez sur le lien)
La décision allemande est d’autant plus difficile à comprendre que l’interdiction des ventes à découvert d’un certain nombre d’établissements financiers particulièrement menacés par des baisses provoquées par les spéculateurs a déjà prouvé son incapacité de changer le cours des choses.
Gestion de Portefeuille : L’interdiction de la vente à découvert n’a pas atténué la crise, selon Abraham Lioui (cliquez sur le lien)
Ce qui n’a pas empêché ce pays à la réintroduire de manière unilatérale, sans aucune urgence apparente. Et d’y ajouter, en grande première, les obligations gouvernementales de la zone euro et les CDS sur celles-ci. Comme si cela permettait aux dettes étatiques, apparemment massacrées de manière injuste, de miraculeusement retrouver leur vraie valeur. C’est méconnaître l’une des fonctions essentielles de ces instruments: la couverture de risques.
Par conséquent, l’interdiction de positions vendeuses, à découvert ou couvertes par des emprunts du sous-jacent, ne diminue pas les risques, mais elle les augmente.
Et sur le marché obligataire, une hausse de la prime de risque entraîne une baisse de prix sur le marché secondaire.
Cependant, l’Allemagne n’est de loin pas la seule à souscrire à la fausse idée très tendance que la spéculation ne fait qu’exacerber les problèmes de manière non seulement inutile, mais même nuisible aux «vrais» investisseurs. L’adhésion à cette idée fortement liée au rêve de recréer le lien entre les marchés financiers et l’économie réelle, autrement dit de renverser le processus de financiarisation, se trouve en proportion inverse à la présence d’instruments dits «spéculatifs» sur les marchés respectifs.
Cela vaut tant pour la gestion alternative adepte des ventes à découvert que pour les CDS, pour lesquels Londres représente le centre de gestion européen.
Du côté des investisseurs, les institutionnels suisses sont plus présents dans la gestion alternative que ceux de n’importe quel autre pays européen hors Royaume-Uni! Il est évidemment plus facile de céder au populisme si l’on n’a pas grand-chose à perdre sur son propre marché.
CHRISTIAN AFFOLTER L’AGEFI mai10
EN COMPLEMENT :
Plusieurs études académiques mettent en cause l’efficacité de la suspension des ventes à découvert décidée mardi par Berlin et déjà mis en place aux Etats-Unis en 2008
Idées courtes, idées fausses : ce n’est pas parce qu’on vous le dit ou qu’on l’écrit que cela est vrai… (cliquez sur le lien)
La mesure la plus retentissante décidée par les autorités allemandes mardi soir a été la suspension d’un type particulier de paris baissiers visant les emprunts d’Etats européens et les banques allemandes: les «naked short».
Ces opérations sont la version extrême d’une pratique plus courante: les ventes à découvert, qui permettent – via l’emprunt temporaire d’un titre – d’encaisser une plus-value lorsque son cours plonge. Certains fonds spéculatifs mettent en place de tels paris sans s’assurer de pouvoir effectivement emprunter le titre. Alors qualifiées de «naked», ces ventes à découvert leur permettent de spéculer des montants très importants.
Craignant ces dernières semaines que le plongeon de la valeur des emprunts d’Etats – mais aussi des actions bancaires – n’annonce un remake européen de la crise des «subprime», les autorités allemandes ont donc recours à une artillerie lourde déjà utilisée par Washington et Londres durant l’été 2008: une suspension des ventes à découvert, plus particulièrement de leur version «naked».
Le précédent américain
Cette interdiction avait alors duré plusieurs mois et d’autre pays avaient suivi. En France, les ventes à découvert des actions du secteur financier restent toujours bannies. A noter qu’en Suisse, les ventes à découvert – d’actions comme d’obligations – étaient déjà interdites, ce qu’avait tenu à rappeler la Commission fédérale des banques après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008.
Plusieurs études empiriques ont remis en cause l’efficacité de ces mesures. Dès août 2008, Arturo Bris, professeur de finance à l’IMD lausannois publiait une étude concluant qu’elles n’avaient pas atteint leur objectif: au contraire, la valorisation boursière des banques aurait même souffert de ces interventions.
Idées courtes, idées fausses : ce n’est pas parce qu’on vous le dit ou qu’on l’écrit que cela est vrai… (cliquez sur le lien)
«Aucun effet sur les cours»
«Contrairement aux espoirs des régulateurs, ces interdictions n’eurent, au mieux, aucun effet sur les cours; et au pire, contribuèrent à leur déclin», écrivent de leur côté Alessandro Beber et Marco Pagano, dans une étude publiée fin 2009 par le CEPR bruxellois.
Au terme d’un travail empirique présenté en mars 2010, Abraham Lioui, professeur à l’EDHEC de Nice, assurait que la suspension des ventes à découvert aux Etats-Unis n’avait «pas allégé les pressions baissières sur les marchés».
Gestion de Portefeuille : L’interdiction de la vente à découvert n’a pas atténué la crise, selon Abraham Lioui (cliquez sur le lien)
Ces études ne se concentrent cependant pas sur les «naked short» visées par Berlin. Et offrant, selon certains professionnels, de réelles possibilités de manipulation des marchés
La vente à découvert, une technique à forte volatilité (cliquez sur le lien)
Deutsche Börse, opérateur de la Bourse de Francfort, a quant à lui condamné mercredi la décision prise en Allemagne d’interdire certains types de ventes à découvert, particulièrement risquées.
“Une interdiction des ventes à découvert peut dégrader la qualité du marché et accroître le coût des liquidités”, selon un communiqué, qui condamne par ailleurs le manque d’unité en Europe, jugé néfaste pour la place financière allemande.
Les analystes de la banque d’affaires Nomura estiment de leur coté que les mesures prises par l’Allemagne afin d’interdire les ventes à découvert sont difficiles à mettre en application et que leur impact sera limité. Nomura observe un impact négatif de telles mesures, qui entraîneront de fait une délocalisation des actifs hors de la zone Euro. Ainsi, si l’objectif est la protection de la zone euro, de telles mesures pourraient au-contraire lui être préjudiciable, note Nomura.
Dans le même registre, la société de gestion Fival estimait ce matin que sur le plan technique, “il est loin d’être certain que ces mesures soient efficaces”. “Si elles restent limitées à l’Allemagne, elles seront aisément contournables. De surcroît, il y aura des effets induits négatifs : les intermédiaires financiers, qui distribuent les fonds d’Etat, ne pourront plus limiter leurs risques lors des enchères en vendant à découvert des titres avec des caractéristiques semblables pour gérer leur risque. Cela aura pour effet d’augmenter la volatilité des marchés, de réduire la liquidité et de renchérir le coût de la dette publique ce qui est exactement l’inverse du but poursuivi”, notait Fival dans son billet quotidien sur les marchés.
source le temps + agences mai10
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