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Bruno Bertez : La correction était très prévisible

Bruno Bertez : La correction était très prévisible

LE SEUL POUVOIR DES GOUVERNANTS ET DES RÉGULATEURS EST DE REPORTER DANS LE TEMPS L’INÉVITABLE

  La priorité n’est plus de regonfler les assets et les portefeuilles. Elle est de réussir le refinancement des Etats et de leurs budgets.

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Nous commencerons par une remise en perspective du comportement des marchés. Optimismeuno Bertez et complaisance étaient au plus haut à la mi-avril. La volatilité, mesure du risque était dans les plus bas historiques. La simple logique, le bon sens le plus primaire, sans compter l’expérience, plaidaient en faveur d’un coup d’arrêt et d’une correction. Correction d’autant plus sévère qu’elle a été longtemps différée. D’autant plus forte que les bears, les Cassandre, ont, avec la hausse continue, été peu à peu réduits au silence. Les marchés étaient en quelque sorte à sens unique, sans réelle confrontation.

Le phénomène avait atteint une telle ampleur que les chaînes de TV financières, Buble TV, n’arrivaient plus au cours de ces dernières semaines, à trouver un baissier, un pessimiste pour leur apporter la contradiction.

Donc, premier élément et il est essentiel, la correction était prévisible, normale, voire souhaitable.

Elle était plutôt bienvenue en terme de régulation. Vous avez remarqué l’absence sur la scène médiatique depuis quelques semaines des grands régulateurs monétaires, c’est à dire les banquiers centraux. Ce n’est évidemment pas le fait du hasard. La priorité alors que la machine économique est plus ou moins relancée, la priorité n’est plus de regonfler les assets et les portefeuilles, elle est de réussir le refinancement des Etats et de leurs budgets. La priorité, c’est la collecte, le grand drainage pour financer les déficits. Et rien de tel qu’un climat de fuite devant le risque pour réussir cette collecte. Attention, nous ne prétendons pas que tout cela est conscient et que les régulateurs sont intelligents au point d’élaborer des stratégies aussi sophistiquées. C’est le système qui est intelligent, les hommes qui croient en être les acteurs n’en sont que les courroies de transmission.

La correction des marchés d’actions, les inquiétudes sur les refinancements souverains, la déstabilisation de l’euro, tout cela va dans le même sens: le dollar est fort, les valeurs du Trésor américain sont recherchées, les taux du 10 ans sont à 3,2%. les capitaux affluent. Les capitaux fuient la périphérie, ou les centres concurrents pour se réfugier sous le parapluie du grand Centre.

Nous vous rappelons que les régulateurs et les gouverneurs vont de recherche d’optimum instantané en recherche d’optimum instantané. Ils ne font jamais de synthèse. Chaque chose en son temps. Un temps pour le positif, un temps pour le négatif, jamais la somme des deux. Et là, c’est le temps de franchir le cap difficile de la couverture des gros besoins de refinancements publics. C’est le temps de laisser se développer une ambiance, une atmosphère déflationniste. C’est d’autant plus facile que le réel lui est franchement déflationniste, comme en témoignent les indices de prix à la consommation, la rechute du prix des maisons, le recul des revenus réels hors transferts, etc.

Ainsi, sans exagérer, on peut dire, premièrement, que la correction était due et qu’elle devait être forte;  deuxièmement, qu’elle n’est pas malvenue en terme de gestion du système. Après l’euphorie du grand rally, après la complaisance imprudente de la mi-avril, nous insistons pour dire que ce qui se passe ces joursci est dans l’ordre des choses. Et à ce titre, c’est moins effrayant.

Nous maintenons notre opinion: il ne faut pas se laisser prendre par la panique. Tout est conforme. Il n’existe pas de vraie correction d’un rally haussier sans montée de la peur, sans inquiétude.

La facture des années 2008 et 2009 est venue à échéance et elle est lourde. Et ce sont les Etats qui doivent la payer, du moins pour le moment. Il faut donc leur faire de la place. Dans un monde fini où les ressources, tout en étant inflatées, sont en fait rares, il faut que le secteur privé et le secteur financier laissent les gouvernements faire ce qu’ils ont à faire, collecter les fonds pour payer l’addition.

Cette addition, ce n’est pas seulement une grosse, une gigantesque addition financière; c’est aussi une grosse, une lourde addition politique et sociale. Les gouvernements ont choisi de sauver la finance et les financiers au détriment des contribuables et des citoyens en général, ils sont maintenant obligés de rééquilibrer.

Voici le temps de faire souffrir les banques, de les stigmatiser, de jeter l’anathème sur les marchés et bien sûr sur les riches. Rien de tel pour légitimer ce que l’on a fait avant, rien de tel pour faire passer la pilule amère des futures hausses d’impôts. Pour un gouvernement, un coup à droite, un coup à gauche, et je m’en sors indemne.

Vous voyez que les grandes attaques contre les banques ne sont pas tombées du ciel et vous avez certainement remarqué comme nous que la cassure des marchés à la mi-avril est intervenue juste la veille de la mise en cause de Goldman Sachs par la SEC…

Présenté autrement, nous dirions que nous venons de terminer la grande phase I de pseudo-solutions à la crise. Cette phase I, dans le cadre analytique présent, se caractérise et se définit comme phase de déni du caractère fondamental et historique de la crise; refus de voir les véritables causes à savoir l’excès de crédit permis par l’absence de système monétaire  disciplinant; volonté de continuer comme avant; refus du vrai changement; transfert des problèmes du secteur financier privé sur le secteur public et in fine, sur les contribuables; recherche de boucs-émissaires pour faire mieux passer vraie crise et faux remèdes auprès des citoyens. Cette phase I touche à sa fin.

C’est grâce à la démarche pratiquée par tous les gouvernants, tronçonnage, traitement au jour le jour des problèmes, absence de prise en compte par anticipation des unintended consequences, que le système survit et se prolonge.

Nous l’avons dit à plusieurs reprises, le seul pouvoir des gouvernants et des régulateurs, c’est de reporter dans le temps l’inévitable, c’est de reculer les échéances.

Et ils réussissent par cette technique de recherche d’optimum instantanés successifs. Ce que l’on appelle fine tuning, n’est rien d’autre que cette technique de gestion des contradictions et des antagonismes.

La phase II commence; c’est à dire que l’on doit traiter les conséquences, les coûts du grand transfert qui a été opéré. Cette phase est délicate à gérer. Les ressources sont surabondantes en apparence, mais en réalité, elles sont rares. Pourquoi?

Parce qu’elles sont fragiles, peureuses, on dit quelquefois qu’elles sont spéculatives. Les ressources de financement dans le monde actuel sont un peu comme du mercure. On croit les tenir et elles sont déjà ailleurs. On ne finance le long qu’avec du court; même quand on fait semblant d’investir dans des actifs longs, c’est avec l’idée qu’il faudra en sortir très vite avant les autres. Faute de soutien fondamental, la valeur de rien, d’aucun asset n’est assurée!

Il n’y a dans la planète financière globale que du hot money.

WSJ : Les valeurs refuges existent-elles encore? (cliquez sur le lien)

C’est ce qui donne cette impression d’inconséquence, de volatilité, d’irrationalité, de spéculation généralisée. A force de détruire les valeurs fondamentales, il n’y a plus de place que pour le momentum.

Le momentum et ses moutons.

L’existence de limites aux ressources de financement et le caractère volatile et fuyant des capitaux posent la question de savoir s’il y en aura pour tout le monde. Et bien non, il n’y en aura pas pour tout le monde. Certains en seront privés, ce seront les plus faibles et les moins adaptés au système. En revanche, d’autres en seront submergés.

La phase II, c’est la phase de la lutte post-crise financière, la lutte des loups qui se mangent entre eux. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si les Européens ont utilisé cette expression pour caractériser la spéculation dont ils étaient victimes. Il s’agit de répartir les dégâts, de partager les coûts. Il s’agit de savoir qui va s’en sortir, qui va garder son rang, qui va maintenir son pouvoir de prélèvement sur la richesse mondiale.

Et c’est vrai en termes géopolitiques comme en termes sociaux.

D’où les meutes, les wolfpack au service des plus forts, ils attaquent les plus faibles. la sélection naturelle des marchés. D’où les difficultés des ensembles hétéroclites, divergents, sans vrai chef et sans leadership de blocs comme le bloc européen. D’où les tensions politiques, sociales, le tout aggravé par les jeux politiciens et la démagogie.

La carte de la répartition des sacrifices n’est pas dessinée. Elle se joue en ce moment. La valeur d’une monnaie, c’est en quelque sorte son pouvoir de prélèvement sur les richesses mondiales; c’est une part de richesse pour consommer ou investir. Présenté ainsi, on mesure l’incroyable nonsens de ceux qui veulent perpétuellement avilir l’euro. La cartede la répartition des sacrifices se joue maintenant. Et l’Europe avec ses faiblesses fondamentales, originelles, est en première ligne, face à la grande offensive.

Les généraux européens n’ont pas vu venir le coup; on dit pourtant que gouverner, c’est prévoir. Ils ne sont pas très bons, car le champ de bataille ne leur est pas favorable: c’est le Marché. Or, le Marché il ne connaissent pas et ils ne connaissent pas parce qu’ils ne l’aiment pas. Et puis, ils sont victimes de leur situation de division; il y a beaucoup de contradictions et de conflits non résolus à l’intérieur de l’Europe. Les généraux viennent de perdre une bataille et on les sent penauds, sur une ligne défensive molle, laquelle prépare déjà les retraites futures.

Il faut démanteler pour attirer

L’enjeu, outre la répartition des sacrifices et le partage des richesses futures, c’est le Système. C’est l’Ordre, le grand Ordre. Expliquons nous. L’Europe s’est faite sur le refus du mode anglo-saxon marqué par la pré-éminence du marché. L’Europe veut maintenir son exception de dirigisme, de constructivisme, son exception sociale, et même une sorte de politique implicite de répartition des revenus. Elle veut maintenir ses valeurs, ses principes, rester dans la ligne de son histoire.

Or, tout cela, valeurs, principes, spécificités, tout cela est battu en brèche par la rareté. Il n’y a plus de grain à moudre et il faut faire des choix. Pour attirer, il faut plaire. Pour plaire, il faut accepter de se rallier aux critères de beauté dominants.

Il faut donner des gages. Il faut démanteler, dépecer, assouplir, flexibiliser. Bref, il faut se mettre en position de pouvoir se rallier. Il faut accepter le principe de « deficit spending « cher aux Anglosaxons, accepter le « quantitative easing «, c’est à dire la monétisation des dettes. Il faut accepter un peu de destruction des avantages acquis, etc. Visiblement, cela fait beaucoup et il n’est pas sûr que les têtes politiques européennes en aient conscience; il est encore moins sûr que les corps sociaux puissent les accepter.

Nous avons dit en son temps que l’enjeu de la crise, c’était cela: le grand remodelage. Mais il ne faut pas se tromper, ce n’est pas entre la Chine, les émergents et les Etats-Unis, c’est entre l’Europe et les Etats-Unis. Parce que le concurrent du dollar, son rival, c’est l’euro. C’est l’euro qui conteste son droit de seigneuriage. L’euro, cette alternative artificielle que l’Europe va peut-être s’épuiser à tenter de préserver.  Conformément aux voeux géopolitiques des Anglo-Saxons qui ne voient pas cet affaiblissement d’un mauvais oeil, un peu comme ils l’ont fait avec les Russes au plan militaire.

Philippe Simonnot : L’effondrement programmé de l’Europe (cliquez sur le lien)

Ceux qui sortiront vainqueurs de la grande confrontation en cours pour le partage des sacrifices et des atouts de l’avenir seront ceux qui auront le système social le plus stable, mais aussi le plus souple. Le système le mieux structuré. Ce seront ceux qui auront les principes, les lois, les institutions les plus solides. Et peut-être la Police la plus efficace. Et l’Europe, sous ces aspects, il faut bien le reconnaître est loin d’être bien placée.

Dans le grand remodelage, l’Allemagne seule a des atouts. Elle peut très bien tirer son épingle du jeu. Mais à une condition, une condition de taille: qu’elle n’ait pas, aux pieds, le boulet de ceux qui systémiquement sont les plus faibles. (BBz)

BRUNO BERTEZ agefi mai10

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