Changes et Devises

Un cours d’économie politique par Milton Friedman

Un cours d’économie politique par Milton Friedman 

  

 Monsieur le professeur, avez-vous un message que vous souhaiteriez adresser aux journalistes français qui vous rendent visite ici à Sea Ranch aujourd’hui ?

 « There’s no such thing as a free lunch »

PLUS DE FRIEDMAN EN SUIVANT :

Oui, j’en ai un. Je voudrais leur demander pourquoi leur gouvernement s’entête dans une politique monétaire qu’on ne peut qualifier autrement que de suicidaire. Mais il faut mettre cette remarque dans une perspective historique. La France a connu une remarquable période de croissance de 1945 à 1973. Avant la seconde guerre mondiale, le revenu moyen par tête en Grande-Bretagne était environ le double de celui de la France. A la fin des années soixante, c’est la France dont le revenu par tête était devenu le double de celui de la Grande-Bretagne.

Comment s’explique ce spectaculaire retournement ?

 Par le contraste entre la politique de stricte réglementation étatique suivie par la Grande-Bretagne de ces années d’après-guerre comparée à la situation française où une réglementation tout aussi tatillonne existait sur le papier, mais était largement ignorée dans la pratique quotidienne, ma femme et moi avons pu le constater au cours d’un voyage en 1947. Il n’est pas exagéré de dire que, dans l’après-guerre, le marché noir a sauvé la France de la stagnation économique.

Mais l’étatisme n’a cessé de se développer en France. Au point qu’aujourd’hui les dépenses publiques représentent 55 % du produit national contre 35 % en 1965. C’est un renseignement que je tiens du dernier rapport de l’OCDE sur la France que vous m’avez fait parvenir et que, par ailleurs, j’ai trouvé parfaitement illisible. Devant une telle évolution, il ne faut pas s’étonner que la croissance se soit fortement ralentie.

A cette évolution s’ajoute le fait qui me frappe bien plus encore et que j’ai mentionné en commençant, à savoir l’erreur cardinale que commet la France en persistant à lier sa monnaie au mark allemand. A ce sujet, j’avance devant vous une prévision : il n’y aura pas de monnaie commune en Europe, pas plus en 1997 qu’en 1999 ou encore en 2002 ou même en 2010.

Pourquoi ?

Parce que c’est une idée fausse.

Ce n’est pas une raison suffisante. Les gouvernements n’aiment-ils pas les idées fausses ?

C’est vrai. Mais celle-ci ne suivra pas parce que le gouvernement français ne voudra pas abolir la Banque de France. Pas plus que le gouvernement allemand n’acceptera de voir disparaître la Bundesbank ou le gouvernement italien, la Banque d’Italie. Et Si ces différentes banques centrales ne disparaissent pas, ou toutes sauf une, on en reste au système monétaire européen actuel de taux de change administrés qui n’est que la version européenne de l’ancien système de Bretton Woods, lequel ambitionnait pour sa part d’instituer une fixité mondiale des changes. La version européenne échouera, comme son modèle mondial l’a fait il y a plus de vingt ans aujourd’hui.

Bretton Woods flasque (BLOG JEAN PIERRE CHEVALLIER) (cliquez sur le lien) 

Il existait une monnaie unique en Europe à la fin du XIXe siècle et au début du XXe sous la forme de l’étalon or, et il serait théoriquement possible de revenir à ce système. Mais Si l’étalon or était possible en 1890 lorsque l’État dépensait 10 % du revenu national, il ne l’est plus aujourd’hui avec un Etat absorbant jusqu’à 50 ou 60 % de ce revenu national, avec en plus l’existence d’une banque centrale dans tous les pays. Il existe une différence énorme entre une monnaie unique et un ensemble de monnaies liées les unes aux autres par des taux de change administrativement fixés.

 Les Etats-Unis ont une monnaie unique, Hong Kong et Panama, qui n’ont pas de banque centrale, ont unifié leur monnaie avec celle des Etats-Unis. De son côté, l’accord de Bretton Woods, de 1945 à 1971, prévoyant que les pays, participants s’engageaient à maintenir fixes les taux de change de leur monnaie respectives. Plus exactement, chacune des monnaies devait rester fixe par rapport au dollar qui lui-même serait maintenu au taux de 35 dollars pour une once d’or. C’était le système de l’Étalon dollar-or. En fait, de nombreuses modifications de fait se produisirent durant la durée de ce système, affectant, par exemple, le franc et la livre sterling. Autrement dit, ce ne fut pas le système de changes fixes que les fondateurs avaient cru mettre sur pied.

Autre exemple historique : le système de l’Union Européenne des Paiements organisé dans le cadre du Plan Marshall et qui a, lui aussi, disparu.

Il est impossible de citer un exemple de changes administrés de la sorte et qui ait réussi à se maintenir, et cette série ininterrompue d’échecs s’explique aisément : aucune nation n’est prête en dernière analyse à laisser déterminer sa politique monétaire interne par l’engagement de maintenir fixe le taux de change de sa monnaie. Pourtant, depuis cinq ans, la France s’y essaie avec une passion incroyable. Et avec quel résultat, je vous le demande ! Certes, cet entêtement ne constitue pas la raison principale des il % de chômage que vous enregistrez. Cette raison, il faut la chercher du côté des rigidités salariales et administratives et de l’abus des réglementations qui étouffent l’économie.

Sans oublier la fiscalité ?

Non, bien sûr, mais essayer de maintenir fixe le change du franc par rapport au mark est une politique aberrante. Le moment-clé était constitué par l’unification allemande. Avant cette unification, l’Allemagne de l’Ouest était un pays exportateur de capitaux dont environ 70 % allaient vers les pays du Marché Commun. En fait, l’Allemagne finançait le déficit de la balance des paiements courants de ses partenaires européens. A la suite de l’unification, les capitaux allemands, au lieu d’aller vers l’Europe, ont été dirigés vers l’ancienne RDA et de ce fait l’Allemagne unifiée est devenue un importateur de capitaux. Mais ce changement entraînait une conséquence fondamentale pour les taux de change, dans la mesure où un taux du mark approprié pour un pays exportateur de capitaux ne l’était plus Si ce même pays en devenait importateur. Ou encore, l’Allemagne qui avait jusqu’à l’unification un excédent de paiements courants voyait cet excédent se transformer en déficit à la suite de l’unification. Il fallait donc un renchérissement du prix des marchandises allemandes pour les étrangers et un abaissement du prix des marchandises étrangères pour les Allemands. Une politique d’inflation en Allemagne aurait permis d’atteindre ce résultat, mais les Allemands n’en voulaient pas. Une autre possibilité, celle qui s’imposait, consistait à modifier les taux de change entre les pays européens. De fait, la Grande-Bretagne et l’Italie, après deux ans de déflation, se sont ralliés à cette solution en septembre 1992. La France a commis l’énorme erreur de ne pas suivre leur exemple et persévère dans cette erreur. D’où la question que je me permettais de vous poser en commençant : Comment vous, Français, avez-vous pu vous comporter de façon aussi stupide dans cette affaire ?

J’ai l’habitude de faire référence aux tendances suicidaires des hommes d’affaires dans la mesure où ceux-ci ne manquent jamais de soutenir des politiques économiques qui ont pour résultat ultime d’être contraires à leurs intérêts. De même dans le cas qui nous occupe, je suis conduit à évoquer la tendance suicidaire d’une nation, la vôtre en l’occurrence.

Cette politique monétaire que vous condamnez n’est pas tant le fait du gouvernement que de la banque de France qui est indépendante ?

Une banque centrale n’est jamais vraiment indépendante. Pas plus en France qu’aux Etats-Unis ou en Allemagne. Cette indépendance n’existe que tant que tout se passe bien. Que survienne une crise, et elle disparaît. Mon opinion sur la viabilité du système monétaire européen n’a donc rien à voir avec le statut formel de la Banque de France. Cette opinion est aussi loin d’être nouvelle puisqu’elle s’est exprimée pour la première fois dans un article écrit en 1950 à la suite d’un séjour de trois mois en France au titre du plan Marshall. Interrogé sur les chances de succès de la communauté européenne du charbon et de l’acier, j’avais conclu que cette communauté – ancêtre du Marché Commun – ne pouvait réussir qu’à condition de laisser les monnaies des pays participants libres de flotter les unes par rapport aux autres. C’était la seule façon de pouvoir combiner le maintien inévitable de l’indépendance des politiques économiques de chacun de ces pays avec la libre circulation des biens et des services entre eux. De cette expérience, j’avais tiré un essai intitulé Plaidoyer pour les changes flottants et inclus dans un recueil de textes sur J’économie positive, recueil publié en 1953, il y a donc plus de quarante ans, et qui vient d’être traduit en français avec une introduction de Pascal Salin. Or, cet essai sur les changes flottants a, à mes yeux, gardé toute son actualité. L’expérience depuis cette époque a renforcé les convictions que j’exprimais alors.

Quelle analyse faites-vous de la crise du dollar ?

Il n’y a pas de crise du dollar. Il y a une crise du yen, certainement. Mais pas du dollar. Pourquoi qualifier de crise du dollar le fait que le Japon nous fournit toutes sortes de produits agréables, automobiles, téléviseurs, etc., et accepte en échange une collection de billets verts que nous produisons à très peu de frais, billets que les Japonais échangent ensuite à leur tour contre certains de nos actifs à des prix considérablement surévalués ? Dans les dix dernières années, le Japon a contribué plus que toute autre nation à faire de nombre d’Américains des millionnaires en dollars. Nous avons énormément profité de notre déficit de balance des paiements avec le Japon.

Mais pourquoi dites-vous qu’il y a une crise du yen ?

Oui, l’économie japonaise est vraiment ce que l’on peut appeler en crise. Et cette crise trouve aussi son origine dans une affaire de taux de change. Je fais référence à l’accord du Louvre (de février 1987) qui constitue la date cruciale. Le Groupe des 7 (ministres des Finances des sept pays les plus industrialisés) a décidé que le dollar avait assez baissé et devait être amarré à une nouvelle parité avec le yen et le mark. La banque centrale du Japon se mit donc à acheter des dollars en quantité nécessaire avec des yens pendant quelque six mois. Cette politique monétaire inflationniste aurait dû provoquer une hausse généralisée des prix au Japon. Curieusement, ce n’est pas exactement ce qui s’est produit. L’excès de pouvoir d’achat se dirigea pour l’essentiel vers l’immobilier et la Bourse, provoquant une véritable bulle financière. Après un an ou deux, la Banque centrale du Japon décida de mettre le frein à cette bulle qui, effectivement, explosa. La Bourse de Tokyo perdit plus de la moitié de sa capitalisation. Mais la Banque du Japon a suivi depuis lors une politique particulièrement restrictive et en conséquence l’économie japonaise a bel et bien connu l’équivalent de la dépression américaine de 1929 à 1933. Peu de gens prennent conscience du degré de dépression enregistré par le Japon ces dernières années parce que les autorités du pays en ont dissimulé l’étendue exacte. Par exemple, le niveau de chômage effectif est considérablement sous-estimé en raison des garanties de non licenciement officiel. Mais Si le Japon comptait ses chômeurs comme on le fait aux Etats-Unis ou en France, le niveau actuel serait du même ordre que chez nous ou même que chez vous.

Dans ces circonstances, le yen a monté par rapport au dollar à un niveau insoutenable. Il est facile de le montrer. Au niveau maximum atteint de 80 yens pour un dollar, le revenu moyen par tête au Japon se trouvait estimé au double de celui de l’Américain moyen. Personne ne peut croire que ce rapport reflète la réalité ! Déjà, la valeur du yen a baissé puisque nous en sommes ces jours-ci (novembre 1995) à environ 100 yens pour un dollar. Mais elle baissera encore puisque, pour que le revenu par tête au Japon revienne au même niveau que celui des Etats-Unis, il faudrait un dollar à 140 yens. Donc, il existe une bonne marge de hausse du dollar. Mais Si j’ai confiance dans mon jugement sur la tendance, je suis, en revanche, incapable de vous dire quand celle-ci se manifestera.

Portez-vous le même jugement en ce qui concerne la relation entre le mark et le dollar ?

Pour l’essentiel, oui. Le dollar est également très sous-évalué par rapport à la monnaie allemande et à celles qui lui sont liées. J’imagine qu’il suffit pour vous qui voyagez aux Etats-Unis d’entrer dans un quelconque Drugstore ou supermarché pour vous convaincre du bon marché actuel du dollar par rapport à votre monnaie.

Mais n’établissez-vous pas de rapport entre cette faiblesse du dollar et le déficit budgétaire des Etats-Unis ?

Je ne dirai pas qu’il n’y ait pas de relation, mais elle n’est pas très étroite. De 1981 à 1985, le dollar s’était apprécié de 50 à 60 % ; or, le déficit budgétaire était plus important qu’il ne l’est actuellement en termes de revenu national. De 1985 à 1990, le dollar s’est déprécié et nous avons continué d’avoir un déficit budgétaire. Comment pouvezvous dans ces conditions établir une relation étroite entre ces deux variables?

On prétend que le déficit budgétaire agit sur la balance des paiements par l’intermédiaire de son action sur le taux d’intérêt. Mais le taux d’intérêt est un phénomène mondial et non pas exclusivement américain. Aucune étude sérieuse ne montre de relations étroites entre le déficit budgétaire américain et le taux d’intérêt.

Le déficit budgétaire américain ne vous inquiète donc pas ?

Non. Ce sont les dépenses budgétaires qui m’inquiètent. Pas le déficit. Je préférerais avoir des dépenses étatiques atteignant i 000 milliards avec un déficit de 500 millions que des dépenses de 2000 milliards sans déficit. Car c’est le total de ces dépenses qui constitue la charge que supportent les citoyens américains. Si les dépenses s’élèvent à 2000 milliards et les rentrées fiscales à 1 500 milliards, qui donc paie les 500 milliards de différence, une fée ou le père Noël ? En fait, le déficit de 500 milliards représente une forme dissimulée d’imposition qui s’exprimera ou par l’inflation ou par la réduction de l’investissement privé provoquée par l’accroissement de l’endettement public.

La cause principale du déficit de la balance des paiements courants tient à l’efficacité de l’économie américaine et non pas à son déficit budgétaire. Les étrangers préfèrent investir aux États-Unis plutôt que dans leur propre pays. Et la simple loi authentique de la balance globale de paiements fait que ces étrangers ne peuvent investir chez nous sans que automatiquement la balance des paiements courants américains soit en déficit. Tout cela ne constitue en rien une crise du dollar. Le vrai problème qui m’inquiète pour les Etats-Unis ce n’est pas le taux de change du dollar, c’est le fait que le gouvernement ne remplit plus correctement les fonctions qui devraient être les siennes parce qu’il gaspille son énergie à s’occuper d’activités qu’il devrait laisser à l’initiative privée.

J’ai terminé mes études secondaires en 1928. A l’époque, le niveau de vie, au point de. vue matériel, était bien loin de ce qu’il est aujourd’hui. Les automobiles étaient coûteuses et de qualité médiocre. La télévision n’existait pas et pas davantage la machine à laver, le four à microondes et bien d’autres choses. Mais on pouvait sortir de chez soi sans crainte d’être cambriolé et sans crainte non plus d’être agressé dans la rue. Quand on allait à l’hôpital, la première question que l’on vous posait était de savoir ce qui n’allait pas et non pas quel type d’assurance vous aviez. Les relations interpersonnelles étaient beaucoup plus civilisées qu’aujourd’hui. Or, en 1928, les dépenses publiques représentaient 10 à12 % du revenu national, les dépenses de l’Etat fédéral, pour leur part, ne représentaient, le croirez-vous, que 3 % du revenu national, ce qui couvrait les dépenses de l’armée de terre, de la marine, et des trois branches civiles du gouvernement (Maison-Blanche, Congrès et Justice), quant aux 9 % du revenu national que dépensaient les Etats-Unis et les municipalités, la moitié allait aux routes et aux écoles. Aujourd’hui, le secteur public absorbe plus de la moitié du revenu national ; 43 % en ce qui concerne les dépenses proprement dites auxquelles il faut ajouter le coût des multiples réglementations qui ont le même effet économique qu’une imposition. Or, en ce qui concerne les activités qui relèvent de la responsabilité normale du gouvernement, respect de la loi, éducation primaire et secondaire, la situation s’est dégradée et non pas améliorée. Notre politique a consisté à gaver le secteur improductif et à affirmer le secteur productif. Pour ma part, je serais prêt à abandonner une bonne partie du bien-être matériel actuel afin de vivre dans une société plus civilisée. En fait, Si nous réduisions fortement la part prise par les hommes de l’État dans notre revenu national, nous bénéficierions à la fois d’une prospérité matérielle accrue et d’une amélioration dans les rapports humains. Je ne pense pas que la situation soit différente en France. Elle est pire malheureusement sans doute parce que l’évolution politique actuelle aux Etats-Unis laisse espérer un progrès. Non pas que la majorité Républicaine élue au Congrès en Novembre 1994 ait vraiment fait déjà du bon travail, mais elle cherche au moins à agir dans la bonne direction.

Ne peut-on pas espérer trouver du côté des juges une protection contre les excès engendrés par le marché politique ?

Malheureusement, je n’y crois guère. Au moins aux États-Unis, la Constitution s’est révélée une barrière très facile à franchir. Suivant la formule célèbre,  » les juges prennent bonne note du résultat des élections « . La Constitution telle qu’elle est interprétée aujourd’hui n’est plus celle qui fut rédigée par les pères fondateurs. Elle continue de protéger efficacement certains aspects de notre vie sociale, en particulier la liberté d’expression, parce que le consensus existe sur ce sujet. Mais Si on considère, par exemple, la liberté du commerce, la Constitution stipulait que les pouvoirs du Congrès de protéger cette liberté ne pouvaient s’exercer qu’en ce qui concerne les activités intéressant plusieurs Etats de l’Union et non pas celles dont le domaine d’action se situait à l’intérieur d’un seul Etat. Or, la Cour Suprême a fini par interpréter la clause de  » l’Interstate  » de façon tellement extensive qu’elle peut recouvrir n’importe quelle activité. Si un fermier fait pousser du blé en vue d’une consommation familiale, cette activité a été jugée comme relevant du commerce inter état. Il n’y a aucun doute qu’une interprétation stricte de la Constitution dans l’esprit où elle a été écrite ramènerait les dépenses fédérales à 3 % du revenu national.

Théoriquement, va se poser en 1996, le problème d’une Constitution pour la Communauté Européenne. Et l’exemple américain est un terme de référence évident. Si vous vous référez à la Constitution américaine dans sa forme originelle, elle était excellente. C’est l’interprétation à laquelle s’est livré le pouvoir judiciaire qui cause de sérieuses difficultés. Quant à l’Europe, étant donné la propension de la bureaucratie bruxelloise à soustraire le plus de pouvoir possible aux États Nationaux, j’éprouve beaucoup de doute quant à la probable qualité de la Constitution en question.

Pouvez-vous vraiment compter sur les différents pouvoirs judiciaires pour améliorer cette Constitution par la jurisprudence ?

En vérité, je crois que le projet d’un Marché Commun en tant que zone de libre-échange est une idée excellente mais que le mirage d’un possible gouvernement européen est une illusion redoutable. J’ai récemment rédigé une critique du livre de James Goldsmith, le piège, dans laquelle je ne l’approuvais que sur un seul point : sa condamnation de l’entreprise européenne telle qu’elle est actuellement conduite.

Revenons aux États-Unis. Que pensez-vous de l’élimination de la progressivité de l’impôt sur le revenu ? Il paraît que vous en aviez l’idée il y a plus de trente ans.

Oui en 1962 dans le livre Capitalisme et Liberté.

Capitalisme et Liberté : en librairie et en français depuis le 09 mars (cliquez sur le lien)

C’était un impôt proportionnel sur le revenu. Je précise parce qu’il existe plusieurs versions de cette idée et, à mes yeux, elles ne sont pas toutes acceptables. Je vous l’ai dit la question centrale est de réduire les dépenses publiques. Et il n’existe qu’une façon d’aboutir à ce résultat, c’est de diminuer les impôts. Depuis des années je prêche donc pour la diminution des impôts sous quelque forme que ce soit et pour quelque raison que ce soit. Car les gouvernements dépenseront toujours la totalité des entrées fiscales plus un certain supplément. A cet égard, vous avez en France un impôt particulièrement dangereux : la TVA. Sur le plan économique, cet impôt est très bien conçu : simple à administrer et d’un fort rendement. Mais politiquement c’est un désastre parce qu’il est trop indolore. Les pays qui ont adopté la TVA ont un plus haut niveau de dépenses gouvernementales que les pays qui n’ont pas cette forme d’imposition. Aussi la façon la plus efficace pour vous de maîtriser les dépenses publiques serait de réduire la TVA.

Savez-vous que, bien au contraire, nous venons de l’augmenter ?

Ce n’est pas étonnant et cela ne peut que renforcer mon opposition à cette forme d’impôt proportionnel. De même, je ne crois pas possible une taxe uniforme sur les ventes, autre forme sous laquelle on présente souvent l’impôt en question. Cet impôt serait supposé remplacer tous les autres. Il faudrait donc qu’il s’élève à environ 30 ou 35 % des prix hors taxe. Vous imaginez le marché noir que ce taux d’imposition provoquerait ! C’est pourquoi je suis en faveur d’un impôt proportionnel sur le revenu de 17 ou 18 % en éliminant toutes les déductions actuellement autorisées sauf les frais professionnels au sens strict. C’est la proposition soumise par le député Dick Armey, chef de la majorité républicaine à la chambre des Représentants.

Dans un autre domaine, que pensez-vous du mouvement intellectuel en faveur de la liberté bancaire et l’élimination du monopole d’émission des banques centrales?

Je suis en faveur de la liberté bancaire, mais je ne crois pas que, dans les circonstances actuelles, les monnaies privées aient la possibilité de s’imposer. A mon avis, seule une situation d’hyperinflation, du type de celle de l’Allemagne dans les années 1920, pourrait détruire le réflexe monétaire profondément ancré de nos populations. Une des choses auxquelles nous sommes très habitués est la monnaie que nous utilisons. La monnaie n a de valeur que parce que chacun d’entre nous accepte, comme allant de soi, qu’elle possède cette valeur. C’est son acceptation générale qui en fait un utile instrument d’échange et de mesure des valeurs.

Ce qui signifie que la monnaie unique en Europe ne pourra pas s’imposer car les populations rejetteront cette innovation.

Je le crois, en effet.

Mais vous êtes favorable à la suppression du pouvoir libératoire accordé exclusivement à la monnaie étatique.

Tout à fait. Je crois toutefois que le public restera attaché à ce qu’il connaît, à savoir cette monnaie étatique.

Sinon le public en général, du moins les hommes d’affaires, peuvent être intéressés par des choix de monnaies ?

Ils ont déjà ce choix. Aucune réglementation n’empêche un homme d’affaires américain de conserver ses actifs dans la monnaie qu’il souhaite. Et, naturellement, il existe des marchés à terme extrêmement actifs qui permettent de se protéger contre les fluctuations de valeur des monnaies les unes par rapport aux autres.Mais peut-être ce type de marchés à terme n’existe-t-il pas en France ?

Mais Si, il existe.

Un vrai marché à terme ou un marché à terme étatisé ?

Au risque de vous surprendre, et nous en sommes peut-être surpris nous-mêmes, c’est un vrai marché à terme. Mais revenons une fois encore aux Etats-Unis. Quel jugement portez-vous sur la Federal Reserve Board et sa politique de Soft Landing (atterrissage en douceur)?

D’abord, je regrette ce type de langage concernant le soft landing dont vous parlez. Mais je dirai, sans hésiter, que Si la rhétorique de la Fed n’est pas satisfaisante, sa politique est, elle, très bonne depuis l’arrivée d’Alan Greenspan. Un graphique des variations de la qualité de monnaie (M2) sur une base mensuelle ou trimestrielle depuis 1950 ou 1960 jusqu’à aujourd’hui montre que l’ère Greenspan a vu une notable réduction des fluctuations de cette quantité de monnaie. Il n’y a aucun rapport entre ce que les membres de la Fed disent et ce qu’ils font. Lorsque je regarde à la télévision les auditions de Greenspan devant les commissions du Congrès et que j’entends les questions ineptes qui lui sont posées, je comprends mieux pourquoi il se réfugie dans un brouillard de mots. Mais la politique monétaire, elle-même, est satisfaisante. Continuera-t-elle de l’être ? je ne sais. L’Histoire de cette institution depuis qu’elle existe ne plaide pas en faveur de cette hypothèse optimiste.

Vous avez dit que l’inflation japonaise s’était exprimée sous la forme d’une bulle financière. Ne pourrait-on pas en dire autant actuellement des Etats-Unis avec le niveau record des actions à la bourse de New York ?

Je ne crois vraiment pas qu’il s’agisse d’une bulle financière. Pour la raison que la croissance de la masse monétaire a été très modérée. Dans les cinq derniers mois, M2 a augmenté très vite mais cela ne durera pas. En ce qui concerne plus précisément le stock échange, Si vous considérez les profits ou la valeur des actifs des sociétés cotées, il n’apparaît pas que les cours soient notablement surévalués. Au moment de la bulle financière japonaise, j’avais calculé que la valeur totale des actions cotées à Tokyo représentait, aux taux de change de l’époque, une somme supérieure à l’addition des capitalisations de New York plus Londres plus Paris. J’avais dit à l’occasion d’un entretien avec un journaliste italien que cela ne pouvait pas durer et, de fait, peu de temps après, la bourse de Tokyo s’effondrait. Si on faisait le même calcul aujourd’hui en comparant la capitalisation de New York avec le total des autres places des pays industrialisés, je ne crois pas qu’on trouverait un excès semblable à celui du Japon il y a quelques années.

La raison de l’envolée de la bourse de New York paraît traduire une confiance des investisseurs dans la capacité cette fois-ci des Républicains de mettre en oeuvre le programme de maîtrise des dépenses budgétaires pour lesquels ils ont été élus en 1994. Beaucoup va dépendre de l’élection présidentielle de 1996. Mais, en tout état de cause, le climat d’opinion à l’égard du rôle de l’État dans l’économie a changé. Il y a vingt ou trente ans, le public faisait confiance à l’action gouvernementale. Très peu de gens éprouvent ce genre de sentiment aujourd’hui.

Aux États-Unis sans doute. Mais dans un pays comme la France c’est loin d’être aussi évident. L’opinion continue d’être sensible comme disait Bastiat, à ce qui se voit et a ignorer ce qui ne se voit pas, c’est-à-dire le coût réel des générosités gouvernementales. En 1914, un auteur anglais, A.V. Dicey dans un livre intitulé The Relation Between Law and Public Opinion, un des meilleurs ouvrages de l’histoire de la pensée, remarquait que le seul obstacle décisif que pouvait rencontrer la marche continue vers le socialisme était l’excès d’imposition et la révolte que cet excès ne manquerait pas de provoquer un jour. Toutefois, en ce qui concerne les Etats-Unis, la réaction n’a pas été due tant à la hausse des impôts, qui, bien sûr, a joué un rôle, qu’à l’omniprésence des réglementations étatiques combinée à l’échec patent des hommes de l’État dans des domaines aussi fondamentaux que l’éducation et la sécurité publique.

Comment expliquez-vous le bas niveau d’épargne aux Etats-Unis ?

D’abord, je ne suis pas sûr que ce niveau soit bas. Ce que je sais c’est qu’une bonne partie de cette épargne est utilisée à financer le gouvernement. En outre, les statistiques sur l’épargne n’incluent pas les plus-values en capital. En particulier, l’accroissement de valeur des biens immobiliers des particuliers. Quoi qu’il en soit, je ne sais pas ce que serait le niveau approprié d’épargne américaine. La façon de penser qui consiste à se donner un objectif national d’épargne m’est étrangère.

Vous ne considérez donc pas que la croissance doive être un objectif national ?

Non, bien sûr.

Pourtant, vous terminiez un article du Wall Street Journal, le 16 août dernier, en déclarant que les Etats-Unis s’étaient fixé un objectif de croissance bien trop modeste.

Je plaide coupable sur cette phrase. Mais je maintiens le reste de l’article qui voulait attirer l’attention sur l’effet déletère des abus de réglementation sur la croissance. Le bon taux de croissance est celui qui serait atteint Si toutes les personnes pouvaient séparément distribuer leur revenu entre consommation et épargne dans un marché non affecté par des distorsions d’origine gouvernementale ou autre. La référence historique suggère que lorsque ces conditions existaient approximativement au XIXe siècle, le taux de croissance était de l’ordre de 4 % par an. Mais c’est un résultat constaté après coup et non un objectif national. Le Fed ne devrait s’occuper que d’une seule chose : la maîtrise des prix.

Pensez-vous qu’il y ait un problème de la dette publique au niveau mondial ?

C’est, en effet, un problème sérieux pour nombre de pays. Pas pour les États-Unis, mais pour d’autres comme la France à en croire ce diable de rapport de l’OCDE. Le danger provient de la relation entre le taux de croissance de l’économie et le niveau du taux d’intérêt. Si la dette atteint un certain niveau, elle obligera le gouvernement à payer un taux d’intérêt supérieur au taux de croissance de l’économie et, à partir de ce moment, on se trouve embarqué dans un processus cumulatif qui, dans les cas extrêmes, pourrait conduire à une situation d’hyperinflation.

Pourquoi êtes-vous sévère pour ce rapport de l’OCDE sur la France ?

Parce que ce sont les errements keynesiens habituels. Il y a deux façons d’appréhender l’économie globale : soit en remontant des éléments constituants, consommation, investissement, jusqu’au revenu national, soit en faisant la démarche inverse : partir de la richesse ou du revenu national et se demander ce qui  » détermine la répartition  » de ce revenu entre les différentes allocations possibles. On ne peut obtenir une réponse satisfaisante à la question de l’allocation des ressources en utilisant la première méthode, celle de C + I, qui est utilisée par l’OCDE. D’une façon ou d’une autre, il faut s’appuyer sur un élément qui fixe une limite à l’agrégat national, celui-ci étant ensuite fractionné entre les différentes utilisations possibles. Les analyses sectorielles de ce rapport de l’OCDE sont, de toute évidence, faites avec beaucoup de compétence mais elles ne permettent pas une saisie exacte de l’ensemble examiné, en l’occurrence l’économie française et les déterminants clés de son évolution actuelle.

Mis sur intenet par l’ami du laissez-faire.

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Milton Friedman : L’improbable passage à la monnaie unique (cliquez sur le lien)

ON LIRA AVEC GRAND INTERET : http://www.contrepoints.org/Critique-de-Capitalisme-et-liberte.html (SITE CONTREPOINT) (cliquez sur lle lien)

http://libertylovers.blogspot.com/2010/05/capitalisme-et-liberte.html (BLOG LES AMOUREUX DE LA LIBERTE) (cliquez sur le lien)

http://friedmancentenaire.blogspot.com/ (BLOG MILTON FRIEDMAN 2012) (cliquez sur le lien) 

EN COMPLEMENT : De l’avis des ré­dac­teurs de l’Écho et d’éco­no­mistes ac­tuels, John May­nard Keynes est l’éco­no­miste le plus in­fluent de l’his­toire. Ra­me­né au de­vant de la scène par la ré­cente crise éco­no­mique, le père de la ma­croé­co­no­mie de­vance Adam Smith et Mil­ton Fried­man dans notre clas­se­ment.

) – 1. John May­nard Keynes (1883-1946) est le plus grand éco­no­miste aux yeux de la ré­dac­tion de L’Echo et des éco­no­mistes contac­tés par nos soins. Quant aux in­ter­nautes, ils citent juste avant lui Lud­wig von Mises.

« La crise ac­tuelle remet au goût du jour les ana­lyses de Keynes« , es­time Fred­dy Van den Spie­gel, éco­no­miste en chef de BNP Pa­ri­bas For­tis. « Peu d’éco­no­mistes ont au­tant mar­qué le 20e siècle de leur em­preinte« , pour­suit Peter Van­den Houte d’ING Bel­gium.

Paul De Grauwe, pro­fes­seur d’éco­no­mie à la KU­Leu­ven, ex­plique ce suc­cès re­trou­vé: « Keynes est ar­ri­vé à la conclu­sion qu’un libre mar­ché pou­vait don­ner lieu à une grande in­sta­bi­li­té et que l’État avait es­sen­tiel­le­ment pour mis­sion de sta­bi­li­ser les mar­chés. »

Mais Keynes, c’était bien plus que ça. Avec « The Ge­ne­ral Theo­ry », il a ré­vo­lu­tion­né la pen­sée mi­croé­co­no­mique clas­sique re­la­tive à la for­ma­tion des prix sur les mar­chés in­di­vi­duels et a jeté les bases de la ma­croé­co­no­mie, l’étude de la pros­pé­ri­té au ni­veau in­ter­na­tio­nal.

Cer­tains es­timent que Keynes a sauvé le ca­pi­ta­lisme grâce à cette nou­velle science.

2. Adam Smith (1723-1790) doit sa deuxième place à sa mé­ta­phore sur la main in­vi­sible: « l’in­di­vi­du est di­ri­gé par une main in­vi­sible dont le but dif­fère de l’in­ten­tion ini­tiale dudit in­di­vi­du« . Au­tre­ment dit: lorsque les in­di­vi­dus se dé­brouillent seuls et sou­haitent ac­croître leur pa­tri­moine, ils contri­buent plei­ne­ment mais de ma­nière in­cons­ciente à la pros­pé­ri­té gé­né­rale. C’est le fon­de­ment du libre mar­ché et du ca­pi­ta­lisme.

Mais son « Wealth of Na­tions » al­lait bien plus loin aussi… Smith y van­tait les mé­rites de la spé­cia­li­sa­tion en l’illus­trant par le fa­meux exemple de l’usine à épingles: « Un ou­vrier non formé spé­ci­fi­que­ment peut fa­bri­quer une épingle par jour« , écri­vait-il. « Mais si dix ou­vriers se spé­cia­lisent cha­cun dans une tâche, ils pour­ront fa­bri­quer en­semble 2.500 épingles. »

3. Mil­ton Fried­man (1912-2006). Ar­dent dé­fen­seur de la li­ber­té éco­no­mique, Mil­ton Fried­man bou­le­ver­sa à lui seul la pen­sée éco­no­mique do­mi­née alors par les dis­ciples de Keynes et conseilla aux banques cen­trales une mé­thode de ges­tion de po­li­tique mo­né­taire dans les an­nées 70 et 80.

Ses avis étaient pour le moins tran­chés… La Courbe de Phil­lips, cen­sée dé­mon­trer que le chô­mage pou­vait être ré­duit par l’effet d’un ac­crois­se­ment de l’in­fla­tion? « Stu­pide! » La fonc­tion de consom­ma­tion key­né­sienne, qui af­firme que les dé­penses des par­ti­cu­liers sont fonc­tion de leurs re­ve­nus? « Fou­taises! Seule l’es­pé­rance de re­ve­nus sur le très long terme in­fluence la consom­ma­tion. » L’in­ter­ven­tion de l’État? « Ri­di­cule! Lorsque l’État sou­haite ré­soudre un pro­blème, la so­lu­tion est sou­vent aussi pro­blé­ma­tique que le pro­blème lui-même! ». Fried­man ne fut pas le pre­mier à l’af­fir­mer et ne sera pro­ba­ble­ment pas le der­nier.

Même s’il n’a pas in­ven­té la for­mule  « There’s no such thing as a free lunch », il ré­di­gea un ou­vrage por­tant ce titre, qui fi­gure dans notre top 100 des sa­gesses bour­sières, l’ou­vrage que vous re­ce­vrez la se­maine pro­chaine avec l’Echo.

4. David Ri­car­do (1772-1823)

Ri­car­do était un géant de l’éco­no­mie, éton­nam­ment cité par un seul blo­gueur sur 130 in­ter­ro­gés. Clas­sé troi­sième chez les éco­no­mistes, il dé­croche la qua­trième place côté ré­dac­teurs.

Fort de son ap­proche dé­duc­tive ty­pique des ques­tions éco­no­miques, il est consi­dé­ré comme le père de l’éco­no­mie théo­rique.

Edwin De Boeck, l’éco­no­miste en chef de KBC, note éga­le­ment l’im­por­tance de l’équi­va­lence ri­car­dienne.

Ri­car­do a noté en effet que la dette pu­blique doit tôt ou tard être ho­no­rée et consti­tue à ce titre une forme d’impôt dif­fé­ré. Les mé­nages épargnent da­van­tage lorsque l’État ac­tive des me­sures de re­lance.

Mais si Ri­car­do fi­gure dans ce top10, c’est grâce à son fa­meux « avan­tage com­pa­ra­tif ». De­puis Ri­car­do, la tran­sac­tion n’est plus par dé­fi­ni­tion avan­ta­geuse pour une par­tie et désa­van­ta­geuse pour l’autre. Au contraire: les deux par­ties sont ga­gnantes à condi­tion de se spé­cia­li­ser dans l’ac­ti­vi­té dans la­quelle elles sont les plus douées.

5. Karl Marx (1818-1883)

L’in­fluence de Karl Marx sur l’éco­no­mie est énorme. Nombre de ses ana­lyses sont en­core d’ac­tua­li­té, même si Marx s’op­po­sait fer­me­ment au concept de libre mar­ché et à la main in­vi­sible d’Adam Smith. Ce mar­ché libre contri­bue, selon lui, à la concen­tra­tion de pou­voirs et de ca­pi­taux, ce qui peut don­ner lieu au sou­lè­ve­ment du peuple, par­tant à la des­truc­tion du ca­pi­ta­lisme.

« À condi­tion de va­li­der la théo­rie selon la­quelle la Bible a plu­sieurs au­teurs, seul Mo­ham­med peut ri­va­li­ser avec Marx en termes de dis­ciples convain­cus par un au­teur isolé », écri­vait Gal­braith, le plus grand éco­no­miste du 20e siècle.

« Et en­core! Le nombre de dis­ciples de Marx est bien su­pé­rieur à celui du pro­phète. »

6. Jo­seph Schum­pe­ter (1883-1950)

Cet éco­no­miste au­tri­chien est l’au­teur d’un concept ma­jeur: la crois­sance éco­no­mique re­pose sur la « des­truc­tion créa­tive » de tech­niques dé­faillantes à l’avan­tage de nou­veaux sec­teurs.

Schum­pe­ter fut l’un des pre­miers à sou­li­gner l’im­por­tance du rôle des chefs d’en­tre­prises, dont l’es­prit d’ini­tia­tive mène à l’in­no­va­tion, puis à l’imi­ta­tion et enfin à l’in­ves­tis­se­ment. L’imi­ta­tion rend les bé­né­fices des en­tre­prises tem­po­raires, hor­mis lorsque ceux-ci peuvent se ré­in­ven­ter.

Schum­pe­ter était un brillant in­tel­lec­tuel mais dans les an­nées 30’, il vécut dans l’ombre de Keynes. C’est ainsi que son ou­vrage « Bu­si­ness Cycles », paru en 1939, reçut un ac­cueil très dis­cret.

7. Frie­drich von Hayek (1899-1992)

Hayek est l’un des prin­ci­paux re­pré­sen­tants de l’École au­tri­chienne. Il fut un fervent par­ti­san de la théo­rie du mar­ché libre de Smith et donc âpre op­po­sant du so­cia­lisme et de la col­lec­ti­vi­té selon Marx.

Tout comme Schum­pe­ter, le jeune Hayek dut s’in­cli­ner de­vant la toute-puis­sance de Keynes. En 1944, il écri­vit pour­tant le pam­phlet « The Road to Serf­dom », où il dé­cri­vit les avan­tages de la to­tale li­ber­té de mar­ché et les dan­gers in­hé­rents à l’éco­no­mie pla­ni­fiée. Keynes lui-même fut im­pres­sion­né par son ap­proche.

Si dans les an­nées soixante, le key­né­sia­nisme fut remis au goût du jour, les théo­ries de Hayek lui vo­lèrent fi­na­le­ment la ve­dette deux dé­cen­nies plus tard, grâce au suc­cès de ses par­ti­sans de l’époque, Rea­gan et That­cher.

8. Al­fred Mar­shall (1842-1924)

Ce géant de l’his­toire de l’éco­no­mie est tombé dans l’oubli à me­sure que Keynes, dont il était pour­tant le men­tor, ga­gnait en re­nom­mée. « Son ma­nuel ‘Prin­ciples of Eco­no­mics’, paru en 1890, mar­qua la per­cée de l’éco­no­mie néo­clas­sique et de la théo­rie mo­derne des prix », af­firme André Van Poeck, pro­fes­seur d’éco­no­mie à l’Uni­ver­si­té d’An­vers.

Mar­shall se dis­tin­guait des éco­no­mistes clas­siques car il sou­te­nait que le prix des mar­chan­dises ne dé­pen­dait pas uni­que­ment de fac­teurs de pro­duc­tion. On peut donc af­fir­mer qu’il est le père de la loi de l’offre et de la de­mande. On lui doit aussi les concepts d’élas­ti­ci­té de la de­mande et d’uti­li­té mar­gi­nale. Ajou­tons que si Keynes est le père de la ma­croé­co­no­mie, Mar­shall est celui de la mi­croé­co­no­mie.

9. Paul Sa­muel­son (1915-2009)

Selon Peter Van­den Houte d’ING Bel­gique, « Sa­muel­son a ac­com­pli un tra­vail dé­ter­mi­nant dans les do­maines de la ma­croé­co­no­mie, de l’éco­no­mie in­ter­na­tio­nale, de la théo­rie des consom­ma­teurs, de l’éco­no­mie de pros­pé­ri­té, de l’éco­no­mie fi­nan­cière et de la mé­tho­do­lo­gie d’ana­lyse éco­no­mique. » C’est aussi lui qui signe le ma­nuel éco­no­mique le plus po­pu­laire du 20e siècle, « Eco­no­mics: an In­tro­duc­to­ry Ana­ly­sis ».

Sa­muel­son est éga­le­ment l’au­teur de sa­gesses bour­sières. Convain­cu que la Bourse n’an­ti­cipe pas l’éco­no­mie réelle, il dé­cla­ra: « Wall Street a prévu neuf des cinq der­nières ré­ces­sions. »

10. Ir­ving Fi­sher (1867-1947)

« Time is money »: un grand clas­sique éco­no­mique s’il en est. Cha­cun sait dé­sor­mais que la va­leur de l’ar­gent peut fluc­tuer sen­si­ble­ment avec le temps. Mais com­bien vaut exac­te­ment une consom­ma­tion ou un in­ves­tis­se­ment dif­fé­ré? Ré­ponse dans « The Theo­ry of In­ter­est », ou­vrage dé­ter­mi­nant d’Ir­ving Fi­sher. C’est grâce à lui que nous tra­vaillons tous au­jourd’hui sur la base des va­leurs ac­tuelles de pro­jets et de pré­vi­sions de flux de ca­pi­taux fu­turs. Sa théo­rie de quan­ti­té MV = PT vi­sait à dé­mon­trer que l’ac­crois­se­ment de la quan­ti­té de ca­pi­taux mène à la re­cru­des­cence de l’in­fla­tion.

Quelques jours avant le krach bour­sier de 1929, le New York Times re­laya son opi­nion par rap­port aux ac­tions, qu’il es­ti­mait alors bon mar­ché. C’est sans doute la dé­cla­ra­tion la plus mal­en­con­treuse de l’his­toire fi­nan­cière.

Hors clas­se­ment

De nom­breuses poin­tures ne fi­gurent pas dans le top 10. William Sharpe, l’homme à l’ori­gine de l’élé­gant mo­dèle de va­lo­ri­sa­tion des ac­tions CAPM, ter­mine en on­zième place, ta­lon­né par l’Au­tri­chien Lud­wig von Mises, pour­tant grand fa­vo­ri de nos in­ter­nautes.

Dans le top20, on re­trouve aussi des noms pres­ti­gieux tels que John Ken­neth Gal­braith, Paul Krug­man ou en­core James Tobin, mais aussi Rag­hu­ram Rajan, Hyman Mins­ky, Amar­tya Sen, An­drew Lo et John Forbes Nash.

3 réponses »

  1. Bien sûr, pas un mot sur les économistes français : Turgot, JB Say, Frédéric Bastiat et Maurice Allais.
    Nul n’est prophète en son pays !

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