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Marées noires: stratégies d’hier et d’aujourd’hui

Marées noires: stratégies d’hier et d’aujourd’hui Par Arne Jernelöv

La catastrophe de la plate-forme d’Ixtoc 1, en 1979, présente de nombreuses similitudes avec la récente fuite de la plate-forme de BP, survenue dans des eaux relativement proches. Il avait fallu neuf mois pour colmater le puits. Mais cinq ans plus tard, la faune marine s’était entièrement régénérée….

PLUS/MOINS DE CATASTROPHE ECOLOGIQUE EN SUIVANT :

 L’explosion survenue le 20 avril dans le golfe du Mexique, à Deepwater Horizon, une plate-forme pétrolière du groupe British Petroleum (BP), a provoqué une marée noire – la plus médiatisée que l’on ait connue depuis des décennies. Dans ces mêmes eaux, un peu plus au sud, du côté mexicain du golfe, s’était produite il y a 31 ans une autre fuite, qui avait fini par être parfaitement neutralisée.

Celle-ci avait eu lieu sur la plate-forme d’Ixtoc 1, exploitée par Pemex, une entreprise publique mexicaine. L’accident d’alors et celui d’aujourd’hui, ainsi que les marées noires qui ont suivi, présentent un certain nombre d’analogies, même si, d’un événement à l’autre, on peut constater que de profonds changements sont apparus au cours des trente dernières années.

Auparavant, les pétroliers étaient tenus responsables pour le volume de pétrole qu’ils répandaient. Le nettoyage des cuves pouvait occasionner un grand nombre de petites fuites, et les naufrages de pétroliers comme le Torrey Canyon, l’Exxon Valdez, le Metula et le St. Peter avaient provoqué des fuites énormes et concentrées. Les sinistres n’étaient pas rares, mais ils étaient le plus souvent terrestres, ou alors ils se produisaient en eau peu profonde, et la plupart étaient relativement faciles à contenir.

Le volume de pétrole déversé dans les mers s’est trouvé considérablement réduit par l’interdiction de dégazer, par certains aspects techniques – comme la double coque pour les navires et la partition des cuves – par la création de voies maritimes à sens unique et surtout par l’utilisation du Global Positioning Systems (GPS).

Entre-temps, les techniques utilisées sur les plates-formes de forage et d’exploitation ont considérablement évolué, alors que les défis de la profondeur, du climat et de la structure des sédiments ont grandi du fait que les champs pétrolifères, encore facilement exploitables, se sont taris. Les fuites en eau profonde donnent lieu à des marées des plus incontrôlables, lesquelles ont tendance à s’éterniser, parce qu’il est difficile de les contenir.

Suite aux explosions survenues à Deepwater Horizon et à Ixtoc, du pétrole et du gaz sous haute pression se sont infiltrés dans l’eau jusqu’au niveau des fonds océaniques. Cela a déclenché une émulsion triphasique composée de pétrole, de gaz et d’eau, ainsi que de sable et de particules sales.

Les propriétés de cette émulsion de pétrole sont différentes de celles du pétrole brut. Elle va en partie flotter à la surface, mais elle est également susceptible d’apparaître sous forme de plumes à différentes profondeurs de la masse d’eau. Les techniques d’imagerie aérienne ou satellite, utilisées pour mesurer la quantité de pétrole répandu, ne fonctionnent pas bien.

Dans le cas d’Ixtoc, Pemex (qui cherchait à minimiser le volume des pertes) a recouru à ces méthodes, et évalué qu’il se déversait un peu moins d’un demi-million de tonnes. L’estimation d’un groupe d’experts des Nations unies que je dirigeais était bien plus haute. De même, si BP a déclaré qu’il se déversait 800 tonnes par jour à Deepwater Horizon, les estimations d’experts indépendants sont bien plus élevées.

Pemex avait tenté d’installer un «sombrero» sur la fissure à Ixtoc, pour capter le pétrole à la base, mais ce dispositif avait échoué, parce qu’il ne parvenait pas à se maintenir en place. La présence d’hydrates de méthane avait été détectée, sans qu’on la juge déterminante. Dans le cas de Deepwater Horizon, on a eu la possibilité, malgré une profondeur plus importante, d’installer un énorme dôme, en déployant des véhicules sous-marins téléguidés, des robots et des outils GPS, mais l’accumulation d’hydrates de méthane a obstrué le dispositif et l’a rendu inopérant.

Dans les deux cas, on a tenté de brûler le pétrole qui affleurait à la surface. Mais comme le montrait déjà l’événement du Torrey Canyon en 1967 – ce pétrolier naufragé a été incendié au napalm – le pétrole qui couvre l’eau ne prend pas feu facilement, et le pétrole émulsionné, surnommé «mousse au chocolat», ne s’est pratiquement pas enflammé.

Il se trouve que, depuis que l’on a sérieusement eu à lutter contre les marées noires dans les années soixante, la décision de «désagréger» ou non le pétrole est une question stratégique centrale. La réponse varie selon que la priorité revient à la protection des oiseaux et des plages, ou à d’autres formes de vie marine – poissons, crevettes ou mollusques. Si les oiseaux et les plages emportent la faveur, on désagrège; si c’est la pêche, on ne désagrège pas.

Evidemment, c’est une histoire de relations publiques. Les photos de plages et d’oiseaux englués dans le pétrole font toujours plus d’effet que les poissons morts et les larves de crevettes, à côté desquels les caméras continuent à passer.

Les dégâts causés par la fuite d’Ixtoc étaient considérables. Les plages étaient touchées, notamment au Mexique, mais aux Etats-Unis aussi dans une large mesure, et les oiseaux mouraient en nombre, malgré les opérations de désagrégation. Et c’est précisément à cause de la désagrégation que les crevettes, les calamars et diverses populations de poissons ont été saccagés, et la pêche d’autant plus.

Les organismes amphibies meurent là où se concentre le plus de composants intacts de pétrole. Dans un rayon plus grand, la pollution les rend incomestibles. Sur un rayon plus important encore – et une durée bien plus longue – la marchandise est refusée par les consommateurs.

Sur le moment, après la catastrophe d’Ixtoc, on a pris le coup porté à la pêche mexicaine pour un mal, or c’était un bien, car les réductions drastiques imposées aux pêcheurs ont permis aux populations décimées de récupérer, et cinq ans plus tard, il fallait s’échiner pour trouver une trace de pétrole ou des populations polluées. Les températures chaudes du golfe du Mexique ne sont pas étrangères au rétablissement, qui s’opère toujours beaucoup plus rapidement dans les mers froides.

Il avait fallu neuf mois pour colmater le puits d’Ixtoc. C’est le forage d’un puits de décompression qui avait fini par stopper la fuite. Le pétrole de Deepwater Horizon se répand toujours dans le golfe du Mexique, même si BP a réussi à glisser un pipeline plus étroit dans la principale fissure pour pomper une partie de ce qui se déverse.

Il est beaucoup trop tôt pour évaluer les dégâts écologiques dus à la fuite de Deepwater Horizon, et les pertes économiques que subiront la pêche et le tourisme. Toutefois, on ne risque pas trop d’erreur en prédisant que les populations de crevettes et de calamars vont en pâtir comme à Ixtoc, mais on n’aura pas tort non plus en annonçant un quasi-retour à la normale pour bientôt – quelques années au plus.

source  Project Syndicate. Mai2010

Arne Jernelov, est un expert on environmental catastrophes, is Professor of Environmental Biochemistry, an honorary scholar, and former Director of the International Institute of Applied Systems Analysis in Vienna.

4 réponses »

  1. Un bilan parmi d’autres 20 ans plus tard :

    Un rapport de la Mission sur la marée noire de l’Exxon Valdez, publié en 2009, avait détaillé le bilan environnemental de la catastrophe qui avait frappé en mars 1989 la côte de Prince William Sound.

    Quelque 80 000 litres de pétrole – une petite partie des 41 millions de litres qui se sont déversés sur 1300 kilomètres de côtes vierges – polluent encore les plages de la
    région 21 ans plus tard. Ça n’a pas été nettoyé et personne ne sait si ça le sera un jour. En matière de pêches, ni le hareng ni le saumon par exemple n’ont retrouvé leurs niveaux antérieurs.

    http://www.tdg.ch/actu/monde/maree-noire-21-ans-alaska-panse-plaies-2010-05-04

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Mar%C3%A9e_noire

    Les travaux parus dans la revue Environmental Toxicology & Chemistry confirment les observations déjà réalisées en 1998.

    De nombreuses espèces sont toujours exposés aux résidus pétroliers de la marée noire 21 après l’événement.

    La durée de la présence des résidus pétroliers et de leurs effets n’est pas limitée à quelques années, mais peut perdurer des décennies.

    http://www.biology.sfu.ca/

    Vingt et un ans après l’Alaska n’en a donc pas fini avec le pétrole. En surface, sur les côtes les dégâts sont moindres. Mais sous l’eau, la réalité est toute autre. Les scientifiques, qui dépensent une partie du milliard de dollars versé par Exxon à étudier l’écosystème de la région, attestent qu’il reste du pétrole, toujours actif au fond de l’eau. Au moins cinquante mille litres, bien enfouis dans les anfractuosités, rien que sur l’estran rocheux. Plusieurs espèces ne sont pas encore tirées d’affaire.

    L’Exxon Valdez, l’Amoco Cadiz, l’Erika, le Prestige
    etc ne sont en outre que des “gouttes” dans les flots de pétrole déversés chaque années dans les océans.

    Les pollutions accidentelles et spectaculaires ne représentent que 5% des six millions de tonnes qui se retrouvent chaque année dans l’eau de mer.

    La Méditerranée absorbait encore il y a peu environ un Erika toutes les semaines, pour l’essentiel lié aux dégazages, déballastages et autres rejets qui devraient en principe être effectués au port, dans des installations adaptées.

    A Terre ce n’est pas mieux puisque des millions de tonnes sont déversées par des exploitants de puits peu scrupuleux, pipelines en mauvais état, attentats, mauvaises exploitations et forages etc (voir Delta du Niger….)

    http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/tragedie-des-droits-de-l-homme-au-delta-du-niger_771321.html

    http://m.letemps.ch/Page/Uuid/ff22d87e-733c-11df-aafa-b3b9883b65b0/Les_mar%C3%A9es_oubli%C3%A9es_du_delta_du_Niger

    La Norvège non plus n’est pas à l’abri d’un accident majeur. Une récente enquête de l’Inspection pétrolière norvégienne (PTIL) mettant en garde contre les risques d’accidents en mer du Nord a été rendue publique.

    Réalisée auprès de 231 chefs de plates-formes ou responsables techniques, elle indique qu’un responsable sur dix interrogés considère que le feu vert est donné aux opérations d’exploration ou d’exploitation avant que des mesures de réduction des risques aient été mises en oeuvre. Au demeurant, plus d’un quart d’entre eux disent ne jamais prendre en compte les analyses de risques réalisées par des cabinets d’études extérieurs.

    Pourtant, les signaux d’alarme sont nombreux : durant le premier trimestre, 175 “événements imprévus” se sont produits dans le secteur norvégien, dont huit accidents qualifiés de très graves et 32 qui ont nécessité l’arrêt de la production des plates-formes.

    http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/05/22/la-securite-des-plates-formes-de-mer-du-nord-inquiete_1361496_3244.html

  2. L’Institut français du pétrole (IFP) estime que les zones en mer représentent 20 % des réserves actuelles de pétrole. Plus de 70 % de ces ressources profondes se trouvent au Brésil, en Angola, au Nigeria et aux Etats-Unis. Des recherches sont lancées au Mexique et en Asie du Sud-Est, le potentiel des réserves en mer et eaux profondes est très important :

    http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/06/10/un-encadrement-plus-severe-des-forages-ne-destabiliserait-pas-le-marche_1370679_3244.html

    Carte d’implantation du pétrole au Nigéria où l’on déplore “300 marées noires” chaque année :

    http://vert.courrierinternational.com/article/2010/06/03/les-marees-noires-oubliees-du-delta-du-niger

    La catastrophe du Golfe du Mexique devrait coûter au groupe britannique quelque 37 milliards de dollars selon les dernières estimations de Crédit Suisse. En perdant plus de 50% de sa valeur en quelques semaines, BP est passé en dessous de Chevron ou Total en terme de capitalisation boursière et pourrait faire l’objet d’une opa :

    http://www.20minutes.fr/article/577243/Economie-La-chute-de-BP-ne-fait-pas-que-des-heureux-dans-le-secteur-petrolier.php

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