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Bruno Bertez : Blessure d’euro n’est pas mortelle

Bruno Bertez :  Blessure d’euro n’est pas mortelle

  L’attrait et la valeur des monnaies et des assets monétaires ne sont que relatifs dans le monde global. C’est un point que les Cassandre de l’euro oublient.

IL Y A LA CONTAGION MÉCANIQUE. MAIS LA CONTAGION LA PLUS REDOUTABLE, C’EST LA CONTAGION PAR LES IDÉES. 

Nous avons, dans notre dernière chronique, développé deux idées.

Bruno Bertez : La correction était très prévisible (cliquez sur le lien)

La première est que la baisse des marchés d’actions était prévisible et qu’elle était dans l’ordre des choses.

Ces marchés ont monté sans discontinuer pendant un an; la correction était due. Comme toute correction, elle intervient dans un climat de doute, puis depeur. La crainte succède à l’envie; le pessimisme à l’euphorie.

La seconde idée est que dans un monde de concurrence où les ressources sont affectées, allouées par les marchés, la lutte pour le financement est sans pitié.

Malheur à ceux qui sont dans le besoin et qui sont faibles. Perdant leur accès aux marchés, ils sont conduits au sacrifice, c’est à dire, en terme économique,à la régression.

Nous concluions, conclusion d’étape, conclusion partielle, que «ceux qui sortiront vainqueurs de la grande confrontation… seront ceux qui auront le système social le plus stable, mais aussi le plus souple».

Nous reprendrons ces deux fils conducteurs.

PLUS DE BERTEZ EN SUIVANT :

En ce début de semaine, et alors que nous écrivons, la correction boursière est toujours en cours. Et si c’est une correction, l’essentiel est fait. Le S & P500 a perdu 12 à 13% sur ces sommets du grand rally. Techniquement, les marchés sont survendus. Par ailleurs, on est revenu sur des soutiens majeurs comme la moyenne mobile des 12 mois par exemple. Une certaine défense s’organise. Ainsi, la semaine dernière, on a réussi à clôturer quasi étal malgré un flux de nouvelles encore défavorables. En particulier, en provenance d’Espagne.

La résistance est-elle artificielle ou naturelle?

Il est difficile de répondre; tout au plus, peut-on observer que le schéma de stabilisation est répétitif. Ces derniers jours, sur le marché global, les baisses initiales, souvent fortes, ont été corrigées en cours de séance. Nous nous interrogeons, mais nous avons un biais, et nous penchons plutôt pour l’idée que les marchés ne sont pas laissés à l’abandon. Peut-être pas directement, mais indirectement. On remarque que les effets de boules de neige géographiques, d’un bloc à l’autre, Asie, Europe, Amérique, sont, à ce stade, bien enrayés. Les marchés d’actions ne sont pas leaders.

Les vrais marchés qui donnent le sens, l’impulsion, sont les marchés de la dette souveraine, les marchés des changes, les marchés de protection du risque, et bien sûr les spreads. Ce sont ces marchés qui donnent le «la» de ce qu’il est convenu d’appeler la préférence ou le refus du risque.

Ceci nous ramène à notre second fil conducteur, les tensions sur le marché du financement souverain.

Les médias dramatisent et simplifient en désignant ce phénomène sous le nom de crise de l’euro. Mais n’oubliez jamais que les médias dominants en matièreéconomique et financière sont les médias anglo-saxons.

A ce propos, digression, les Européens sont en train de s’acharner sur les agences de rating qui feraient la pluie et le beau temps en matière de notations;ils feraient bien de s’intéresser un peu à ce qui fait vraiment l’opinion mondiale en matière économique et financière, à savoir le monopole médiatique anglosaxon.Fin de digression.

Les économistes sont un peu plus clairvoyants et ils parlent eux un peu moins de crise de l’euro et un peu plus de GSC: Global SovereignCrisis. GSC en analogie justifiée avec la première crise, la GFC,  Global Finance Crisis.

Il est évident que toute crise a un point de départ. Il y a toujours un événement déclenchant. Dans le cas de la GFC, ce qui a fait trébucher le système, c’est le scandale, le scandalon, la petite pierre pour les Grecs, des subprimes. Dans le cas de la GSC, ce qui a fait trébucher le système, c’est une pierregrecque également, c’est la Grèce elle-même en tant que pays. Notez que l’on aurait pu trébucher sur Dubaï, mais le temps n’était pas encore venu.

Au moment où la reprise économique paraissait assurée, au moment où la question du retrait des stimuli monétaires financiers et fiscaux commençait à se poser, les marchés ont pris les devants. Car là, c’était le bon moment. Ils ont anticipé le reflux, ils ont donné à voir, ils ont montré, ils ont révélé qui se baignait nu. Et ce que l’on a vu en premier, c’était les Grecs.

Ainsi, est née la crise de l’euro, maintenant, de proche en proche, crise de la finance souveraine. Elle se propage avec ses indicateurs de fièvre quotidiens que l’on lit sur la feuille de température des spreads, des CDS, etc. La GSC est en marche. Avec la mise en branle de la redoutable transitivité entre la Sphère Financière et la Sphère Réelle. La GSC est récessionniste par le biais de la pression sur la dépense publique, par la ponction sur le pouvoir d’achat disponible des consommateurs et, bien sûr, par la dégradation du moral de tous les agents économiques; mais en retour, le ralentissement économique induit, renforce la GSC par le biais de la baisse des recettes fiscales. L’infernale transitivité menace.

Il faut écarter l’argument de ceux qui croient que le problème est contenu. De ceux qui affirment, de bonne ou de mauvaise foi, qu’il y a des refuges. Il n’y a pas de refuge quand la mécanique est enclenchée.

WSJ : Les valeurs refuges existent-elles encore? (cliquez sur le lien)

Les refuges sont des pièges qui n’apparaissent comme refuges qu’en début de crise, dans la période où elle est circonscrite. Dans la période où on croit qu’elle est contenue, comme Bernanke le faisait en 2008 avec les subprimes, ou Barroso le faisait en février 2010 avec la Grèce.

Dans le système global, tout communique.

Tous les grands pays sont endettés et surendettés et à la merci de leurs créanciers; toutes les grandes banques sont interconnectées et vulnérables à des «runs» sur le marché de gros du refinancement. Tous les marchés sont alimentés par le même pool de finance spéculative, unifié par le leverage et le carry, soitdisant protégé, hedgé par les dérivés.

La Grèce a été «the canari in the gold mine» en Europe; mais l’Europe est «the canari in the gold mine» du marché global. Si la liquiditése retire, que ce soit par peur du risque ou que ce soit par maladresse des régulateurs (car il faut aussi compter avec cette maladresse) beaucoup de canaris vont être sacrifiés. Quel serait le taux de rendement des Treasuries américains sans recours au leverage et en cas de dislocation du marché des dérivés et de généralisation des doutes sur les contre-parties?

A ceux qui croient au containment et à la dé-corrélation, nous disons simplement souvenez vous de ce qui s’est passé dans les CDO adossés au logement américain. Là aussi on croyait à la dé-corrélation. On avait oublié qu’il y avait un même sous-jacent: le prix des maisons. Dans la finance aussi, à partir d’un certain point, il n’y a plus décorrélation. A partir d’un certain point, le champ s’unifie. Tout est papier. Tout est promesse assise sur une même illusion qui est celle de la reprise de la croissance, qui est celle de la solvabilité à l’infini des Etats. Avec en prime le paradigme suprême: celui de l’impossibilité de la défaillance américaine car les Etats-Unis sont endettés dans la monnaie dont ils contrôlent l’émission.

Paradigme simpliste et de mauvaise foi qui se garde bien de s’interroger sur ce qui va se passer quand la demande pour la dette américaine chutera et que l’on envisagera les alternatives au défaut pur et dur, c’est à dire lorsqu’on parlera de conversions forcées, de rééchelonnements, de moratoires, de contrôles des mouvements de capitaux et bien sûr du grand défaut qui ne dit pas son nom, «l’inflation tax».

A partir de problèmes limités, il faut rappeler que les subprimes ne faisaient qu’un trillion, la  Grèce 300 billions, les pigs un trillion, tout se met à dysfonctionner dans le monde global. La Grèce ne fait que 0,5% du GDP mondial, mais tout le monde est obligé de se mobiliser y compris le FMI et la Fed. Cela parce que la contagion est rapide, parce que les effets sont multiplicateurs et parce qu’à partir d’un certain stade, lorsqu’elle s’enclenche, elle devient irrésistible.

Il y a la contagion mécanique, par les chiffres, par les flux, par les bilans, mais la contagion la plus redoutable, c’est la contagion par les idées.

Plusieurs idées refoulées pendant deux ans sont en train de remonter à la surface et à la conscience.

La première: et si finalement, on n’avait fait que gagner du temps?

La seconde: est-ce que l’on peut résoudre une crise de la dette en empilant de nouvelles dettes?

 La troisième: les déficits keynésiens ont évité la dépression, sont-ils adaptés pour relancer la croissance quand le potentiel fondamental des économies est obéré?

Ces questions sont en train d’être posées par les plus grands noms, par les plus respectés des observateurs.

Bruno Bertez juin 10 agefi

EN COMPLEMENT . La différence conceptuelle allemande par Bruno Bertez

La crise grecque a dégénéré en crise de l’euro. Pour beaucoup d’autres raisons que les déséquilibres concernés. Parmi ces raisons,il y a la maladresse de Papandréou, la démagogie du personnel politique de certains pays, les rodomontades des leaders d’autres pays, l’incompétence de la Commission Européenne, les imperfections et les lacunes du système européen.

Mais il y en a une qui n’est pas évoquée, qui est occultée et qui nous paraît centrale: c’est la divergence culturelle entre l’Allemagne (le bloc allemand) et ses partenaires. Divergence qui  en recouvre une autre encore plus profonde entre les Allemands et la culture des marchés anglosaxons.

Fondamentalement, viscéralement, au plus profond d’eux-mêmes, les Allemands ne croient pas aux mesures de traitement de la crise qui ont été prises et qui seront encore prises sous le leadership anglo-saxon. Ils ne croient pas à l’efficacité durable des stimuli keynésiens. Ils ne croient pas au free lunch du quantitative easing. Ils ne croient que l’on puisse sortir des dettes par le laxisme. Ils ne croient pas que l’on puisse sortir de la récession par la dépense et le crédit. Ils ne croient pas à la fausse re-régulation cosmétique qui est en cours.

Les élites allemandes pensent que la crise est devant nous et que, pour l’affronter, il faudra du sang et des larmes. C’est ce qu’ils défendentau niveau européen, c’est en ce sens qu’ils pèsent sur la BCE.

C’est ce qu’ils veulent imposer à l’avenir à l’Europe lorsqu’ils disent, ce que Barroso a été obligé de reprendre, qu’il faut s’aligner sur les meilleurs.

Les Allemands considèrent la dépréciation de l’euro comme nonsignificative: au pire c’est une bonne aubaine temporaire pour leurs exportateurs. Sur le long terme, l’euro, l’euro-DM, celui qu’ils veulent remettre en selle à la faveur des réformes, sera recherché, apprécié. Les économistes allemands sont persuadés que dès que les Américains et les Britanniques seront obligés de reprendre leur descente aux enfers et de refaire un round de stimulation monétaire, les choses se décanteront en faveur de l’euro. Il ne faut pas oublier que les stimulations dans le contexte actuel ne peuvent être que monétaires puisque la fiscalité est sous haute surveillance.

Notre hypothèse de travail est que, bien sûr les plans de redressement fiscaux européens sont insuffisants, mais qu’ils vont dans la bonne direction. En terme decommunication, ils sont déplorables, mais n’oubliez pas que c’était la même chose s’agissant des plans de sauvetage américains dans la période d’octobre 2008 à février 2009. Souvenez-vous de la grande farce du TARP. Mais ce qui compte, c’est le réel. La comparaison entre la situation de l’euro et celle du dollar deviendra plus favorable avec le temps, avec le tassement conjoncturel qui interviendra ces prochains mois quand le pic de l’effet des stimulus sera passé et quand les effets de la revalorisation du dollar se feront sentir. Dans le monde global, l’attrait et la valeur des monnaies et des assets monétaires ne sont que relatifs. C’est un point déterminant que les Cassandre de l’euro oublient. L’euro est blessé, mais sa blessure n’est pas mortelle. Pour nous, c’est en grande partie une blessure d’amour propre. (BBz)

 
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