Changes et Devises

Dette souveraine, dette souterraine par Jean-Marc Daniel

Dette souveraine, dette souterraine par Jean-Marc Daniel  

  Par Michaelski le 11 mai 2010

  Les Trissotin de l’économie ont trouvé un nouveau barbarisme : les dettes publiques sont devenues des dettes souveraines, comme naguère, tout ce qui était intérieur est devenu domestique. L’étrange dans cette importation abusive et ridicule d’un terme anglais est que cela conduit de façon inconsciente à admettre que les conséquences des dettes publiques doivent être supportées par ceux qui n’en peuvent mais !

PLUS DE DETTES EN SUIVANT :

Soyons précis : la dette publique est la dette de l’Etat.

Cela signifie que ce n’est pas la dette du pays, le pays étant économiquement parlant une zone rendue homogène par l’usage de la même monnaie.  C’est-à-dire une zone ayant une balance des paiements courants retraçant ses échanges avec les autres pays. Quand un pays est en déficit, les acteurs qui opèrent sur son territoire empruntent de la monnaie mondiale pour solder ce déficit. Concrètement, un pays en déficit a besoin de dollars. Or, les Etats ne gèrent pas des dollars, mais ils gèrent leur monnaie nationale : c’est en monnaie nationale que sont payés les impôts, c’est en monnaie nationale que sont effectuées les dépenses. Le gestionnaire des dollars, c’est-à-dire des devises étrangères, c’est le système bancaire, singulièrement la banque centrale, et un pays fait défaut lorsque sur le marché des changes, sa banque centrale se trouve dans l’incapacité de fournir les devises qu’on lui réclame. 

Surtout la dette publique n’est pas la dette du souverain, parce qu’en démocratie, le souverain, c’est le peuple et l’Etat n’est pas le peuple. Il est une entité juridique autonome qui trouve normalement sa raison d’être dans la gestion de services rendus au peuple. Pour rendre ces services, il procède à une facturation forcée qui s’appelle l’impôt. La dette est une façon d’étaler dans le temps cette facturation mais pas de la supprimer. Les modèles économiques qui décrivent l’Etat partent de l’hypothèse que lorsque sa mission s’arrête, c’est-à-dire lorsqu’il disparaît, l’Etat ne doit plus avoir de dette. Comme la mission de l’Etat est éternelle, cette disparition a lieu à l’infini des temps, c’est-à-dire que sa gestion actualisée est équilibrée par les impôts sur un temps infini.

Trois questions se posent alors :

Puisque la dette est un coût ayant vocation à amortissement final par les impôts, quel service rend-elle au souverain, c’est-à-dire au peuple, qui justifie son existence ?

A cette question, la réponse est traditionnellement de dire qu’elle sert à favoriser la croissance. Pourtant, cette affirmation est trop générale et trop grossière pour qu’on la prenne au sérieux.  Ainsi, quand on affirme  qu’il suffit qu’elle finance des investissements pour rendre le service attendu, c’est oublier les investissements publics improductifs, les gaspillages, les erreurs d’analyse. La dette qui finança la relance charbonnière de 1981 au nom de la crise pétrolière est toujours dans les comptes de l’Etat alors que les carreaux des mines sont déserts.

Plus conforme à la réalité économique est le fait que le déficit public sert à amortir les conséquences des cycles. Joan Robinson au moment de la Querelle des 2 Cambridge ou Richard Musgrave dans sa définition des missions de l’Etat expliquèrent que le rôle de l’endettement public n’est pas de préparer un avenir qui comme chacun sait n’est écrit nulle part, mais de compenser les fluctuations de la composante cyclique de la demande, c’est-à-dire les évolutions plus ou moins volatiles de l’investissement privé. En termes de croissance, le service rendu au souverain par la dette est de lisser le cycle. Le déficit est alors conjoncturel  et l’Etat n’a pas à se préoccuper outre mesure de la facturation du service qu’il rend. La gestion des stabilisateurs automatiques y pourvoit et si on les laisse agir, le problème de la dette publique (ou de la dette « souveraine »…) ne se pose pas.

Quand la dette ne rend pas le service attendu, c’est à dire quand la croissance n’est pas au rendez-vous, c’est-à-dire encore en cas de déficit structurel, comment sortir de l’endettement ? Autrement dit, qui doit payer la rigueur ?

Accepter un déficit structurel, c’est accepter ni plus ni moins le principe de la facturation au souverain de quelque chose qu’il n’a pas obtenu. Hors le cadre d’une politique budgétaire en stabilisateurs automatiques, la dette publique est un dol. Elle débouche sur des politiques de rigueur, qui constituent un reniement global de la parole de l’Etat puisque celui-ci, après avoir parlé de relance et de croissance, n’a à présenter au souverain que la dette et la nécessité de la réduire. Ce reniement global se double de reniements spécifiques.

Quand la rigueur se traduit par une augmentation d’impôts, c’est à l’ensemble des contribuables que l’on a menti car au lieu de la croissance promise ils ont la baisse du pouvoir d’achat. Quand on baisse la rémunération des fonctionnaires, on casse le déroulement de leurs carrières de façon contraire à l’esprit du contrat initial passé avec eux.

Quand on monétise la dette, on vole  l’épargnant par le biais de l’inflation et le prive du pouvoir d’achat que son renoncement au présent devait lui garantir.

Quand on fait banqueroute, on trahit sa parole vis-à-vis du banquier ; on concentre la sanction sur une partie de la collecte d’épargne pour éviter que la monétisation ne sanctionne l’ensemble de l’épargne.

Quelles qu’en soient les modalités, les politiques de rigueur sont l’affirmation d’une violence économique arbitraire ; une violence imposée par l’Etat – et non par les marchés – à tout ou partie du souverain qui n’a commis aucune faute, et ce pour corriger les erreurs de l’Etat. En outre, comme cette violence se fait au hasard et dans l’urgence, elle déstabilise le souverain en faisant naître en lui des intérêts contradictoires et donc des dissensions. Pour éviter de faire défaut face aux banques, le gouvernement grec a augmenté de 19 à 23 % la TVA : c’est comme s’il avait décidé de faire défaut vis-à-vis de son peuple en le privant brutalement d’une partie de ses revenus.

Puisque se débarrasser d’un déficit public inefficace relève de la punition alors qu’en pratique, se débarrasser d’une dépense publique devenue inutile relève d’une simple décision discrétionnaire, pourquoi le souverain accepte-t-il que les budgets que votent ses représentants ne respectent pas le principe des stabilisateurs automatiques ? Pourquoi accepte-t-il que l’Etat crée non pas une dette souveraine mais une dette souterraine, une dette qui sape insidieusement les modes de distribution de ses revenus présents et à venir au point de constituer une menace sur sa cohésion ?

Parce que le souverain est comme les enfants du célèbre conte qui, ensorcelés par la musique d’un joueur de flûte, se jetèrent sans rien dire dans la rivière. Simplement, aujourd’hui, le joueur de flûte  est keynésien et à la différence de celui du conte, il refuse de disparaître et de se fondre dans le brouillard…

 Jean Marc Daniel juin2010

BILLET PRECEDENT : Alois Rasin, le Tchèque qui créa une monnaie forte, par Jean-Marc Daniel (cliquez sur le lien)

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