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Ce que l’or nous dit de l’état du monde

Ce que l’or nous dit de l’état du monde

La ruée sur le métal jaune ne reflète pas seulement les craintes d’une crise majeure en Occident

1355 dollars par once d’ici à douze mois, comme le prévoit Goldman Sachs? 1300 dollars au début 2011, selon Barclays Capital? Et pourquoi pas 52 831 dollars, comme le suggère le Gold Anti-Trust Action Committee, association convaincue que le prix de l’or est manipulé et qui prétend avoir calculé sa «vraie» valeur.

Au sortir d’une crise financière sans précédent depuis un demi-siècle, l’appréciation du plus vieux moyen d’épargne apparaît comme un miroir reflétant les craintes de l’époque. Parier sur l’or revient implicitement à se prémunir contre le retour de l’inflation, la faillite d’un Etat européen, ou l’affaissement des Etats-Unis – et donc du dollar – sous le poids de leur dette.

Cet engouement a conduit le prix de l’once d’or à quasiment doubler depuis le début de la crise, pour toucher le 21 juin dernier un pic de 1265,30 dollars.

L’or dans un cycle haussier qui peut durer 17 ans! (cliquez sur le lien)

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La fin de l’empire américain

Ces maux sont précisément ceux que les nostalgiques du système de l’étalon or dénoncent depuis des années. A leurs yeux, le rythme effréné auquel les grandes banques centrales font tourner leurs planches à billets annonce une inexorable perte de crédibilité des emprunts et de monnaies des vieilles puissances. La fin de la version actuelle de «l’exorbitant privilège» américain dénoncé en son temps par de Gaulle. Au profit de l’or.

«En 1980, le marché avait entraîné le cours du métal jaune à un niveau tel [ndlr: environ 2400 dollars actuels] que les réserves d’or des Etats-Unis couvraient plus de 100% de leur base monétaire; pour atteindre ce niveau aujourd’hui, il faudrait que l’once dépasse les 7000 dollars», calcule la maison genevoise Uram.

Ces craintes ont gagné nombre d’investisseurs. En 2009, les ventes de pièces d’or aux Etats-Unis se sont envolées de 80%. A ces achats se mêle une spéculation frénétique: l’ensemble des ETF – produits financiers permettant d’éviter aux investisseurs de devoir détenir des lingots – règnent sur 2068 tonnes de métal; davantage que les réserves officielles helvétiques.

La peur retombe, l’or aussi

Depuis le début de l’été, la belle mécanique du pire sur laquelle prospère le métal jaune s’est pourtant interrompue. La Grèce n’a pas arrêté de rembourser ses emprunts, l’euro ne s’est pas effondré. En un mois, l’or a reperdu 8% de sa valeur, pour revenir à 1157 dollars l’once mercredi. Cet apaisement des craintes pourrait «forcer l’or à décliner jusqu’à 850 dollars», admet Stefano Rodella, responsable du bureau de recherche genevois AtonRâ. «A nos guichets, la tendance est plutôt de voir les clients vendre leurs pièces pour profiter de la hausse», ajoute Jean-Noël Duc, directeur général de la Banque Cantonale de Neuchâtel.

Pour Stefano Rodella, ce répit n’aura qu’un temps. A ses yeux, la volonté intacte des Etats-Unis de soutenir leur économie – en imprimant toujours plus de monnaie – annoncera tôt ou tard une remise en cause du rôle de refuge joué par le dollar. «A moins d’une reprise économique extrêmement forte aux Etats-Unis, les investisseurs américains vont se retrouver – comme leurs homologues européens il y a neuf mois – confronté au risque d’écroulement d’une montagne de dettes et de déficits publics». A ses yeux, «la prochaine remontée de l’or – violente – sera nourrie par les achats américains». Et si les banques centrales continuent en parallèle d’accumuler des réserves de métal – ce qu’elles ont commencé à faire en 2009, pour la première fois depuis vingt ans – l’or pourrait revenir «vers 2400-2500 dollars, ce qui correspond – actualisé – aux records touchés en 1980», prévient AtonRâ.

Le paysan indien arbitre

Bien loin de ces débats sur l’implosion du système monétaire international, un autre phénomène, plus prosaïque, est à l’œuvre dans cette inflation aurifère: les achats par des millions de ménages et de jeunes couples de bijoux 24 carats en Inde, en Asie du Sud-Est, en Chine, afin de préserver leur modeste patrimoine. En dépit du regain d’intérêt des sphères financières pour la relique barbare, «la demande joaillière continue de représenter la majeure partie de l’utilisation finale du métal», rappelle Barclays Capital. Et apparaît donc comme le véritable régulateur de la valeur de l’or.

Pour l’instant les prix ont atteint des niveaux tels qu’ils font hésiter les épargnants du Nouveau Monde: les importations indiennes pourraient décliner d’un tiers sur l’année en cours, à en croire les pronostics de l’Indian Bullion Market Association. «Mais, on l’a vu au début 2009, quand les prix repassent sous 1100 dollars, ces acheteurs reviennent», pointe Barclays Capital.

Ces explications dessinent une autre réalité de la planète or, celle d’un métal presque comme un autre, dont le prix évolue en fonction des besoins des pays émergents et des quantités limitées sortant des mines. Pour l’instant, cette situation dessine un avenir haussier pour l’or. Mais plus modéré. «Ces achats des pays émergents ont été le moteur de la hausse de l’or au cours de la première moitié de la dernière décennie, mais ces trois dernières années, ce sont vraiment les Européens et les Américains, craignant que leur économie ne vacille qui ont nourri la hausse», rétorque Dominique Casaï, le responsable d’Uram.

Le quadruplement du prix du métal jaune depuis 2001 donne l’impression d’une ruée vers ce placement refuge. En réalité cette hausse reste modeste au regard de celle connue entre 1970 et 1979, qui avait vu son cours multiplié par seize. Si la faillite de l’empire américain apparaît à ce point imminente on peut se demander pourquoi la valeur de l’or n’a pas explosé dans des proportions plus importantes encore.

EN COMPLEMENTS : Toronto parie de nouveau sur les chercheurs d’or

Les petites sociétés en quête de filons décollent en bourse depuis un an.

L’extraction aurifère a connu un pic en 2001. Depuis, l’industrie minière peine à accroître la production mondiale. La hausse de 6% des quantités de métal sorties du sol en 2009 – 144 tonnes additionnelles, surtout grâce à la mine indonésienne de Grasberg – masque l’absence de découverte majeure. «Le coût total de mise en production de nouvelles réserves frise 850 à 900 dollars [par once] et au prix de vente actuel, cela ne fournit pas une incitation suffisante aux groupes miniers», pointent les analystes de BlackRock.

Certes, près du tiers de l’or consommé provient de la refonte de métal existant. Un gisement inépuisable: 158 000 tonnes auraient été extraites du sol au fil de l’histoire. L’envolée des cours de l’or n’en conduit pas moins les investisseurs à s’intéresser de nouveau aux centaines de petites sociétés se focalisant sur un ou deux dépôts aurifères.

La Chine chasse les «juniors»

Finançant leur quête en bourse – de préférence celle de Toronto où sont cotées plus de 1700 de ces firmes «juniors» –, nombre de ces aventuriers ont été emportés par la crise. Depuis un an, les investisseurs reviennent: les sociétés formant l’indice TSX Venture ont vu, en moyenne, leur valeur remonter de près de 80% en 2009. Celle-ci reste cependant inférieure de moitié aux sommets d’avril 2007.

Trouver un filon ne suffit pas. Encore faut-il être capable de revendre ensuite au prix fort le projet aux conglomérats miniers. En clair, qu’il apparaisse assez rentable pour justifier les centaines de millions de dollars que coûtera l’équipement d’une mine.

Cela dépend du prix de vente du métal à l’avenir. Mais également de la stratégie des grands groupes miniers. L’an dernier, la récession les a forcés à sabrer de 40% leurs budgets d’exploration, selon le Metal Economics Group. Cela pourrait les conduire à chasser les projets présentés par les «juniors». D’autant qu’ils font face à la concurrence des groupes chinois: en avril, ces derniers finalisaient le rachat de compagnies minières totalisant 9,3 milliards de dollars, rappelait il y a peu le China South Morning Post.

Roulette boursière

Miser de l’argent sur un projet monté par un ancien cadre d’un groupe minier? Le placement reste réservé à un public averti. Tous les investisseurs gardent en tête un exemple de société assurant avoir identifié un gisement prometteur; mais dont l’exploitation, abandonnée, aurait nécessité des infrastructures astronomiques. Et personne n’a oublié le scandale Bre-X, cette société canadienne qui, en 1993, s’était targuée d’avoir mis au jour un énorme dépôt à Bornéo. L’euphorie avait porté sa valeur à plusieurs milliards de dollars. Quatre ans plus tard, les échantillons de métal découverts apparaissaient faux.

Surtout, il faut être convaincu que le métal jaune va briller. Très fluctuantes, les actions de ces sociétés battent en effet au rythme des pulsations de l’or. Depuis avril, elles ont ainsi de nouveau décliné de 16% à Toronto.

Quand la fonte des glaciers fait apparaître l’or de Seabridge

La société canadienne explore un énorme dépôt en Colombie-Britannique

Lorsqu’en 1999 Rudi Fronk passe en revue près de 200 projets aurifères abandonnés par des géants miniers comme Newmont, Noranda ou Placer Dome, l’or vaut quatre fois moins qu’aujourd’hui. En pleine bulle internet, le secteur minier semble rimer avec XIXe siècle.

Ancien de la toute-puissante maison de négoce Phibro, le patron de Seabridge Gold s’entête pourtant. En 2002, son attention se focalise sur une vallée glaciaire à plus de douze heures de route au nord de Vancouver.

365 tonnes d’or prouvées

Dépensant 50 millions de dollars pour forer cette zone baptisée KSM, les géologues de Seabridge mettent au jour en 2006 ce que leur patron considère comme la «plus importante découverte jamais réalisée au Canada»: des ressources de 1218 tonnes d’or et 4,5 millions de tonnes de cuivre. Prometteur, mais pas suffisant: rien ne dit que ce métal ne sera jamais extractible à un coût raisonnable.

Surtout, comment les dizaines d’ingénieurs de Placer Dome – l’ancien propriétaire des lieux – sont-ils passés à côté d’un tel filon? Peut-être parce que c’était avant l’accélération du réchauffement climatique. «Il y a vingt ans, le glacier recouvrait une bonne partie de la vallée, rendant ces forages impossibles», rappelle Rudi Fronk.

En mars dernier, la société parvient enfin à faire le point sur les réserves prouvées de KSM, c’est-à-dire les quantités que l’on peut espérer sortir du sol sans perdre d’argent, au prix de vente actuel des métaux: 365 tonnes d’or, 1700 tonnes d’argent et un peu moins de un million de tonnes de cuivre. Sans compter les ressources de zones adjacentes.

Objectif: céder le projet

«C’est plus gros que la mine australienne de Boddington que Newmont a acquise pour près de 4 milliards de dollars», s’enthousiasme Rudi Fronk. A en croire ce dernier, 3,4 milliards de dollars seraient nécessaires pour construire une mine à ciel ouvert capable de sortir 867000 once d’or par an – durant trente-sept ans – à un coût d’extraction «cash» de 150 dollars par once. Un coût très bas qui intègre cependant les revenus de la vente du cuivre.

Le but des initiateurs du projet reste de le céder à un grand groupe minier, «en échange d’actions au sein de son capital». Ils espèrent bien tirer parti de la guerre des gisements pour faire monter les enchères. «Il y a six mois, l’immixtion du chinois Zhaojin dans le combat pour le projet chilien d’El Morro a montré que les géants comme Barrick et GoldCorp ou Newmont ne se partagent plus le monde aussi facilement.» Les actions de cette société pesant 1 milliard de dollars en bourse continuent pour l’instant de fluctuer en fonction des espoirs de revente et… du prix de l’or: après avoir gagné 170% depuis début 2009, elles ont rebaissé de 25% en juillet.

 Par Pierre-Alexandre Sallier le temps aout10

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