Commentaire de Marché

De l’utilité des stress tests bancaires en Europe (3+4/4) par Jean Pierre Petit

De l’utilité des stress tests bancaires en Europe (3+4/4) par Jean Pierre Petit

Jean-Pierre Petit  Incomparable gain de transparence entre établissements. Grâce à des hypothèses et une base de comparaison communes.

CELA DEVRAIT CONTRIBUER À DÉCRISPER LE MARCHÉ INTERBANCAIRE ET LIMITER LE RISQUE DE VOIR SE REPRODUIRE UNE CRISE DE LIQUIDITÉ A COURT TERME.

D’abord, les stress sur les dettes souveraines européennes rendaient le processus nécessaire, étant donné le manque de transparence concernant les expositions des banques aux risques souverains.

Ensuite, n’oublions pas que les banques européennes ressortent toujours comme celles ayant le moins extériorisé leurs pertes avec encore 350 milliards de dollars de pertes non extériorisées sur 1 120 à fin 2009 selon le FMI (estimation d’avril 2010), soit près de 30% du total estimé contre 205 milliards de dollars aux Etats-Unis sur près de 900, soit 23% du total estimé.

Enfin, cet exercice devait illustrer la résilience du système bancaire lors d’un scenario macro de «double- dip», qui est une crainte du marché depuis mars 2010.

Pourquoi est-ce arrivé si tard et de façon désordonnée?

PLUS DE PETIT EN SUIVANT :

Il aura fallu la pression combinée des marchés (crise de la dette souveraine), et de tiers incluant les États-Unis et le Fonds monétaire international, pour que la décision de publier les résultats soit finalement prise le mois dernier. L’initiative est probablement venue des grandes banques espagnoles parce qu’elles ont eu des difficultés à se refinancer sur le marché interbancaire. Du même coup, les autorités n’ont eu que moins de deux mois pour élaborer un dispositif d’ensemble avec des difficultés évidentes de coordination avec 27 autorités différentes. Aux Etats-Unis, 4 mois s’étaient écoulés entre l’annonce et la publication des stress tests.

La communication (en particulier sur la méthodologie) a été assez défaillante avant la publication finale, le lobby des superviseurs nationaux ayant sans doute pesé.

Au-delà, les stress tests offrent plusieurs avantages de moyen terme.

D’abord un incomparable gain de transparence entre les établissements, grâce à des hypothèses et une base de comparaison communes.

Ils doivent déboucher sur une meilleure discrimination des risques entre établissements, ce qui est favorable aux investisseurs: il n’y a pas de raisons que l’ensemble du système bancaire souffre d’une prime négative qui n’est réellement justifiée que pour certains.

C’est enfin un levier aux restructurations et aux cessions d’actifs (voire aux opérations dedebt-equity swaps).

A court terme, cela devrait contribuer à décrisper le marché interbancaire et limiter le risque de voir se reproduire une crise de liquidité.

Pousser les banques les plus faibles à se recapitaliser/restructurer devrait aussi aboutir à diminuer leur aversion à prêter et à financer de nouveaux projets.

Au-delà, il est clair qu’un système bancaire souffreteux, pollué par des banques zombies, constitueun obstacle majeur au dynamisme économique. Le fait de toujours remettre à plus tard l’«opération-vérité» augmente au final le coût final pour le contribuable. L’expérience japonaise l’a prouvé. L’expérience suédoise nous a montré, au contraire, les bénéfices qu’il y a à accélérer et à faciliter le nettoyage du système bancaire.

A un moment où ils se soucient de rendre leur solvabilité crédible, il est aussi utile pour les Etats de réduire le risque qu’ils soient remis à contribution dans l’urgence d’une crise bancaire future.

Enfin, la réalisation et la publication de ces stress tests illustrent un progrès dans la coordination de la surveillance prudentielle en Europe.

Le travail a finalement été coordonné par le CESB (Comitéeuropéen des contrôleurs bancaires), en lien avec la Commission Européenne et la Banque Centrale Européenne (qui a fourni les hypothèses macro des scénarios et la taille des haircuts de dette souveraine).

De plus, les publications, notamment leur niveau de détail concernant le scénario comme les résultats, ont été très satisfaisantes.

Insuffisances des stress tests bancaires en Europe (4/4)

Le dispositif n’a pu annoncer de contrainte de recapitalisation. Ni un outil d’accès au capital public commun.

La principale limite de l’exercice européen de stress test est qu’il se concentre sur le niveau de capital (ratio Tier One), mais n’aborde pas sa composition (ratio Core Tier One). Si cela peut paraitre technique, cela revêt en fait une grande importance. L’exercice teste uniquement si en cas de défaut d’une banque, les créanciers (détenteur d’obligations, de certificats de dépôts, déposants et contreparties de marché) subiraient des pertes ou si ces dernières pourraient être absorbées par les capitaux (dont les capitaux hybrides, qui absorbent les pertes uniquement en cas de défaut). Seul le capital «dur» permet à une banque d’absorber des pertes tout en continuant son activité. Notons cependant que selon notre analyse, les 30 principales banques européennes cotées satisferaient à la limite de 4% sur le ratio Core Tier One stressé.

Une autre faiblesse du stress test concerne la couverture des banques allemandes, alors qu’elles constituaient l’une des principales incertitudes du marché avec les banques espagnoles depuis le début de la crise de dette souveraine. Les banques prises en compte ne couvrent que 60% du système bancaire allemand (excluant certaines banques parmi les plus fragiles), contre 100% pour l’Espagne. De plus, les Landesbanken n’ont pas publié leurs expositions au risque des différents Etats européens. L’Allemagne est le seul pays dans ce cas, et cela illustre les difficultés de trouver un accord à 27 régulateurs nationaux.

Enfin, le dispositif européen n’a pu annoncer de contrainte en terme de recapitalisation, ni mettre en place un outil d’accès au capital public commun, ces dispositifs restant du ressort des régulateurs nationaux. Cela a nui à la crédibilité du stress test européen, alors qu’à plus long terme, cela pourrait s’avérer nécessaire si un futur test aboutissait à des besoins de recapitalisation plus importants.

C’est peu probable. Nous ne sommes plus dans une situation de déficit de confiance généralisé comme encore au printemps 2009. L’économie mondiale est aujourd’hui en expansion, il n’y a pas de crise de liquidité bancaire généralisée (elle est très localisée aux banques grecques, espagnoles, irlandaises), les tensions sur le marché du crédit et sur le marché monétaire sont moindres, de même que la volatilité des marchés. La crise de dette souveraine a été pour l’instant confinée à l’Europe et les données sont moins opaques sur les expositions bancaires.

De plus, le choc positif des stress tests américains s’était expliqué non seulement par des besoins en capital finalement assez modestes par rapport aux craintes du marché (75 milliards de dollars), mais aussi par des structures publiques d’accueil en cas de besoin de fonds (TARP et PPIF).

A plus long terme, le problème de solvabilité de certains Etats européens (Grèce, Irlande, …) ne se règlera pas rapidement. Le risque souverain pèsera donc durablement sur les banques européennes. La situation est bien différente de celle des banques américaines début 2009, qui souffraient uniquement d’un problème de liquidité lié à l’opacité des expositions aux dérivés de crédit.

Quelles suites?

Il appartiendra (comme on l’a vu) aux autorités nationales de supervision de prendre des initiatives concernant la recapitalisation des banques recalées. Dans le cas présent, cela ne devrait pas poser de problème étant donné la faiblesse du capital à lever (3,5 milliards d’euros).

Cette opération sera sans doute suivie par d’autres opérations similaires (nécessaire pour gérer à moyen et long terme le risque lié aux problèmes de solvabilité de certains Etats).

Pour le reste, ce sont les marchés monétaires, de crédit et actions qui jugeront du crédit apporté par ces stress tests. A court terme, il y a peu de potentiel à «espérer» dans la mesure où ces résultats arrivent tardivement et qu’ils n’ont pas apporté de surprises significatives.

Au-delà, les stress tests ne constituent évidemment pas la clé de la stabilité financière en Europe. La BCE jouera un rôle plus décisif dans le pilotage de la politique monétaire; maintien des taux courts à un très bas niveau et assouplissement quantitatif lors de tensions excessives sur les obligations souveraines paraissent deux conditions nécessaires à un redressement durable du système financier européen dans les prochaines années.

Au total, il y probablement eu un sentiment d’inachevé chez de nombreux observateurs compte tenu du manque supposé de sévérité des hypothèses. De même n’a-t-on pas de garantie de la cohérence complète du dispositif dans tous les pays.

Cela étant, cet exercice est dans l’ensemble positif. Il a permis de montrer des progrès dans la cohésion européenne (il s’agit de la première opération importante de supervision globale) et dans la transparence (fournir les informations nécessaires aux experts privés pour effectuer des stress-tests correspondant aux scénarios de leur choix, notamment concernant les expositions souveraines).

On dira au total que cette opération constitue une étape, un progrès, sans doutes non décisif mais important dans la résolution progressive des nombreux soubresauts du choc Lehman en Europe.

Le seul point vraiment décevant à nos yeux est le choix du ratio Tier One pour identifier les banques fragiles. S’il permet d’estimer les pertes en cas de défaut d’une banque, cela n’assure pas, au contraire du ratio de fonds propres durs (ou Core Tier One), que les banques ont la capacité de ne pas faire défaut et donc a poursuivre leur activité de crédit. Notons cependant que les principales grandes banques européennes auraient également satisfait à un test imposant un ratio Core Tier One supérieur à 4%.

JEAN-PIERRE PETIT économiste et  Stratégiste de marché aout 10

BILLETS  PRECEDENTS :  La crédibilité des stress tests bancaires en Europe (2/4) par Jean Pierre Petit

Jean Pierre Petit /Les stress tests en Europe (1/4)

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