Leçon d’économie postmoderne par Andreas Höfert
La théorie peut encore guider les investissements, malgré les questionnements sur son postulat de base, la rationalité…
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Récemment, une note de recherche d’un estimé collègue, brillant chef économiste chez un concurrent américain, m’a fortement interloqué.
Analysant au plus près les différences de point de vue et les frictions supposées des membres du directoire de la Réserve fédérale américaine (Fed), la note se concluait en ces termes: «Une perte de la crédibilité de la Fed ferait grimper le dollar» (sic).
Répondant par courriel à mon collègue pour lui signaler l’erreur, ce dernier me répond: «Non, non, tu as bien lu, moins la Fed est crédible, plus il y aura d’incertitudes sur les marchés et plus le dollar comme valeur refuge devra s’apprécier.» Une banque centrale peu crédible comme gage d’une monnaie forte? Allons donc, cela va évidemment à l’encontre de la théorie économique qui est basée sur la rationalité des investisseurs.
Mais c’est bien cette rationalité qui est de plus en plus questionnée, et ce surtout après la crise financière. La science économique serait-elle en train de faire sa mutation postmoderne comme d’autres sciences sociales avant elle? Rappelons-nous: les philosophes postmodernes comme Jacques Derrida critiquent la «raison» qui définit et rejette en même temps ce qui est «irrationnel».
On peut évidemment débattre des conséquences d’une telle philosophie, où sans «raison» comme point d’ancrage, tout devient possible. Force est cependant de constater qu’elle s’applique particulièrement bien aux marchés, où marottes, fantasmes et autres phénomènes de mode priment bien plus souvent qu’on ne le croit sur une analyse froide et dépassionnée.
Mais si sur les marchés tout est possible, que peut-on en dire? N’est-ce pas l’aveu de la faillite de la science économique?
Non, car même si, comme disait Keynes, «le marché peut rester irrationnel bien plus longtemps que l’investisseur solvable», il n’en demeure pas moins que relever les risques inhérents de l’irrationalité est primordial.
Ainsi, pour ne pas donner raison à l’adage de Keynes, l’investisseur prudent s’abstiendra actuellement de spéculer sur une remontée rapide des taux d’intérêt. Conscient cependant que ces taux d’intérêt sont irrationnellement bas au vu des déficits publics énormes et des planches à billets chauffées à blanc, il s’abstiendra également de verser dans le discours déflationniste à la mode en se ruant sur des obligations gouvernementales irrationnellement chères. Même en habits postmodernes la science économique peut donc nous éviter bien des déboires.
Andréas Hoffert Chef économiste, UBS. sep10
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