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Des colonels grecs à la junte de Wall Street par Bruno Colmant

Des colonels grecs à la junte de Wall Street par Bruno Colmant

 Tout a commencé en avril. Le 21 de ce mois, en 1967, dans le silence du matin, les chars des cadets de l’Ecole des blindés se sont lourdement mis en branle pour encercler les bâtiments publics. Déjà casernés à l’intérieur des villes, les troupes ont rapidement pris position. Le bâtiment de la radio, le parlement et l’aéroport d’Ellinikon sont cernés. En quelques minutes, le palais royal est sous contrôle. Des centaines de personnalités politiques sont immédiatement arrêtées et déportées vers les îles. C’est un pronunciamiento insurrectionnel. L’armée prend le pouvoir à Athènes, sous la direction d’un triumvirat dirigé par le colonel Geórgios Papadópoulos.

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L’homme du putsch est un excellent officier. Sous-lieutenant au début de la Seconde Guerre mondiale, Papadópoulos combat contre l’armée italienne et la Wehrmacht. En 1944, il forme une milice chargée d’arrêter les communistes avant de rejoindre l’Angleterre. Après avoir suivi une formation à la CIA en 1953, il dirige les services secrets grecs.

Papadópoulos est un ambitieux. Mais c’est surtout un factieux et un séditieux. En 1956, il participe à une tentative de coup d’État contre le Roi Paul Ier de Grèce, mais c’est en 1967 qu’il renverse le régime et instaure la loi martiale, au motif de la lutte contre les communistes. Le régime grec est, il est vrai, fragile. La démocratie, instaurée par les premières élections démocratiques de 1963, est balbutiante. Le jeune Roi Constantin II, fils de Paul Ier, n’a que 24 ans lorsqu’il accède au trône, à la mort de son père, en 1964. Constantin II devra s’exiler à Rome, en décembre 1967.

La tyrannie de Papadópoulos est terrifiante et film ‘Z’de Costa Gavras restitue cette épouvantable ambiance de basculement dictatorial. La censure est établie et les arrestations de masse se conjuguent à la torture. Les communistes sont persécutés sous le silence de l’Église orthodoxe. Une sanguinaire répression décime les contestataires et les étudiants, dont beaucoup choisissent de s’enfuir du pays. En 1973, le dictateur abolit la monarchie et devient chef de l’État après un plébiscite trompeur.

L’Europe condamne trop mollement le régime grec. La junte militaire est perçue par l’opinion publique grecque comme soutenue par les Etats-Unis dans leur lutte anticommuniste. Au reste, dans les années soixante, les dictatures ne sont pas une exception: Franco dirige l’Espagne d’une main de fer et Salazar a instauré un régime dictatorial au Portugal. A l’époque, dans ces contrées maritimes d’extrémités géographiques, les régimes autoritaires font bon ménage avec les oligarchies patriciennes. De plus, en cette période de décolonisation, les généraux vainqueurs de la seconde guerre mondiale restent aux commandes.

Jeunesse de 2010

Aujourd’hui, la dictature grecque est heureusement bien loin. Papadopoulos est décédé en prison en 1999. Sous son climat clément, Athènes est une ville heureuse qui rayonne grâce à une jeunesse entreprenante. Mais, parfois, dans la poussière méditerranéenne et l’anachronisme des villes du Sud, on respire, de manière fugace, un parfum des révolutions d’autrefois. L’armée reste très présente dans ce pays qui, loin du centre administratif de l’Europe, s’est arrogé le rôle de bastion de l’Europe contre les influences moyen-orientales. Et puis, il reste Chypre et son contentieux turc. D’ailleurs, en Grèce, les casernes sont toujours dans les villes et le pays dépense plus de 5% de son PNB pour entretenir des forces armées imposantes.

En 2010, ce sont Wall Street et les agences de rating qui ont formenté un renouveau économique. Après les colonels, les seigneurs du FMI?

 Ce n’est plus le triumvirat de Papadópoulos qui dirige la Grèce, mais sa traduction militaire en Russe, une pacifique troïka, qui est aux commandes du pays. Celle-ci est composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du FMI. Symbole des temps: ses représentants sont installés dans les hôtels de luxe localisés autour du square de la Constitution, juste devant le parlement. Cette troïka hellénique n’est pas là pour asservir le pays, mais pour en sauver la prospérité.

Depuis la révélation de la catastrophe budgétaire et des égarements comptables, les marchés financiers disciplinent le pays à coup de réformes libérales votées au pas de charge. Le pays était au bord de l’exécution monétaire. Les salves sont désormais sans rémission: libéralisation des professions, déréglementation, guérilla contre la fraude fiscale, réforme des pensions, contrôle des emplois publics et baisse des salaires, dans un pays où le fonctionnariat absorbe la moitié de l’emploi.

Cette « destruction créatrice de l’économie » énoncée par Schumpeter ne se passe pas sans heurts. Il y a eu des morts accidentels dans une manifestation. Et, à Athènes, dans la violence des manifestations, le regard de la jeunesse téméraire est incandescent. Mais les manifestants grecs l’ont bien compris: le véritable objet de leur rancœur ne se situe pas à New York ou à Londres. Leur opposition est dans leur propre pays. Cette jeunesse voit son avenir s’épuiser alors que certaines générations précédentes se sont endettées à leur détriment

Mais cette situation n’est pas unique à la Grèce. Elle se retrouve dans tous les pays qui ont prolongé le modèle de l’Etat-providence au-delà de ses possibilités. Les économies européennes sont désormais les otages des pourvoyeurs de capitaux étrangers. A qui la faute?

 Probablement davantage aux gouvernants européens qu’aux banquiers d’affaires. En période d’euphorie conjoncturelle, de nombreux pays ont mis leur croissance et leur démographie futures en gage des transferts sociaux. Pour ce faire, ils ont emprunté plus d’une année de PNB. Pour financer cet à-valoir sur l’avenir, ils ont fait appel à des banquiers et à des fonds souverains étrangers.

Partout en Europe, l’étau se resserre sur les pays en déséquilibre. Les prêteurs complaisants sont devenus des créanciers exigeants. Les banquiers révèlent, plutôt qu’ils ne créent des crises sociales. En fait, les banques d’affaires confrontent aujourd’hui les gouvernements européens à la finitude de leurs modèles de répartition sociale. Ils posent l’équation fiscale qui se structure désormais dans la dépendance des capitaux étrangers.

Le remboursement de cette dette publique sera prélevé au prix d’un risque de tensions sociales, dès lors que la vague du coût du vieillissement va submerger les finances publiques. Or rien ne dit que les générations suivantes voudront, ou même pourront, payer ces dettes publiques.

Pouvoir et l’ultra-gauche

Mais, en Grèce comme ailleurs, il faut rester extrêmement prudent. Le pouvoir n’appartiendra jamais à la Banque centrale européenne ou au FMI. C’est la rue qui le possède. Un gouvernement peut, au mieux, convaincre des bienfaits d’une devise, tel l’euro. Il ne pourra jamais l’imposer. Et c’est là que se situe le véritable message de la crise financière et économique: il s’agit de la prospérité des futures générations, dont les aînés ont emprunté la croissance. Le manifestant grec et le banquier anglo-saxon convoient le même message: la confrontation à trente années de déséquilibres budgétaires.

Le mauvais scénario serait que l’euro, forgé pour sceller la paix entre les nations européennes, soit le ferment de troubles sociaux qui appellent des réactions autoritaires. Ce scénario ne doit jamais être exclu car, après les crises, les États sont toujours liberticides. Si la jeunesse des pays du Sud n’est pas enthousiasmée dans un projet de société où elle sera un acteur dominant, la tiédeur du climat ne camouflera pas son désespoir. Les jeunes ne se retrouveront pas dans la veille Europe, âgée, rentière et industrielle. La Ruhr, les ports hollandais et les autoroutes belges seront loin de leurs exigences.

Si la seule perspective d’avenir se résume, pour cette jeunesse, à accueillir dans les infrastructures touristiques les épargnants de l’Europe du Nord, l’étau de l’euro deviendra insupportable. Une tyrannie monétaire, sans projet d’avenir pour la jeunesse, sera donc réfutée. Et peut-être même, pour certains égarés et désespérés, avec brutalité. En Grèce, comme dans d’autres pays, il existe une ultra-gauche. Elle est fondée sur les cendres du mouvement « Novembre-17 », organisation révolutionnaire clandestine née dans la lutte contre la dictature des colonels. Plusieurs groupuscules révolutionnaires ont été ravivés. Ils ont procédé récemment à des exécutions politiques. La jeunesse contestataire est persécutée lors des coups d’Etat, mais, en Grèce, ce sont les étudiants de l’École polytechnique qui, en 1973, firent basculer le régime des colonels vers la démocratie. Cette crise exige un message positif, mobilisateur et d’espoir pour la jeunesse. Et ça, non plus, il ne faut pas l’oublier.

Bruno Colmant est docteur en Sciences de gestion et Membre de l’Académie Royale de Belgique /L’Echo sep10

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2 réponses »

  1. La Grèce sera le premier Etat européen à se déclarer en défaut de paiement.

    Le 10 mai 2010, l’Union Européenne et le FMI ont annoncé qu’ils mettaient sur la table 750 milliards d’euros pour sauver l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, la Grèce.

    Depuis le 10 mai 2010, la Banque Centrale Européenne rachète des milliards d’euros de dettes souveraines du Portugal, de l’Irlande et de la Grèce, pour tenter de faire baisser les taux d’intérêt de ces trois Etats.

    Malheureusement, cette tentative désespérée échoue.

    Les investisseurs internationaux n’ont plus aucune confiance dans la capacité de ces trois Etats de rembourser leurs dettes.

    Depuis le 10 mai 2010, ces trois Etats empruntent à des taux d’intérêt de plus en plus exorbitants.

    Depuis le 10 mai 2010, les taux d’intérêt de ces trois Etats ne cessent de monter : les graphiques suivants sont terrifiants :

    Si le Portugal lançait un emprunt à 10 ans, il devrait payer un taux d’intérêt de 6,085 % !

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT10YR:IND

    Si l’Irlande lançait un emprunt à 10 ans, elle devrait payer un taux d’intérêt de 6,293 % !

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GIGB10YR:IND

    Si la Grèce lançait un emprunt à 10 ans, elle devrait payer un taux d’intérêt de 11,560 % !

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GGGB10YR:IND

  2. Vivant en Grèce depuis trois ans & demi (traductrice du grec & du russe), j’ai pu remarquer dès mon installation la sévérité de la crise qui se préparait ici, alors que le reste de l’Europe, sans l’avoir résorbée, avait déjà plus ou moins réagi.
    La force de l’Histoire & des ses oppressions dans cet avant poste européen servant aussi de tête de pont à l’OTAN {base américaine de la Souda en Crète d’où partent les avions actuellement pour bombarder la Lybie}, demeure très prégnante. Les conséquences en cascades depuis les colonels à aujourd’hui apparaissent clairement en cet article dont féliciter l ‘auteur. Le personne politique n’a que très peu changé depuis cette époque : Mitzotakis est toujours vivant, et s’il intervient moins fréquemment, sa fille, Dora Bakoyannis, ancien ministre (ND) ne s’est guère privée de faire des déclarations électorialistes, contraires aux urgences de la situation ; l’ancien premier ministre est le neveu de Karamanlis (dit le grand) à qu Salonique voici un mois vient d’élever un monument ; l’actuel premier ministre Mr. Georges Papandréou est, chacun le sait, fils et petit fils de premier ministre. Tant que ces dynasties n’auront point cédé la place, tant que le personnel politique n’aura pas été renouvelé, les jeunes ici, n’auront rien de bon à attendre & ils en ont conscience.
    Qui accepterait dans n’importe quel pays européen de travailler dix à douze heures par jour pour un salaire de six cents euros par mois quand on est titulaire d’un doctorat et qu’on travaille depuis dix ans ? j’ai une amie ingénieur, employée à la compagnie nationale d’électricité : son salaire est tombé depuis le premier train de baisse imposé par l’horrible troïka, de 800 euros à 400 euros.
    Demandons à un ingénieur de n’importe quel homologue européen s’il accepterait de consacrer dans ces conditions sa vie à l’entreprise de 7h du matin à 18h. De plus, les nouvelles mesures imposées hier, 1er juin 2011, par le groupe d’oppression & je dis bien d’oppression européen téléguidé par la chancelière allemande, prévoient entre autres un abattement de 20% sur le salaire minimum garanti, lorsqu’il s’agit de jeunes de moins de 26 ans, quel que soient leurs diplômes et niveau de formation. Non seulement c’est totalement injuste, mais encore tout de suite & à terme ce sera entièrement inefficace. Ce n’est pas ainsi qu’on fait rentrer des recettes dans les caisses de l’Etat. De plus, il faudrait, quant aux relations avec l’Allemagne aborder le problème de fond : les corrupteurs doivent avouer leur méfaits, en dédommager la Grèce, & arrêter de donner des leçons de bonne conduite aux autres Etats. Qu’on se réfère aux scandale SIEMENS qui dure depuis plus de quinze ans et à celui plus récent des sous-marins vendus par l’Allemagne à la Grèce. Et maintenant, les privatisation des fleurons étatiques ? au profit de Deutscche Telecom tout de suite l’OTE (compagnie grecque de télécomunication), demain les ports & aéroports. Arrêtons sla braderie.
    Le déficit de la Grèce n’atteint même pas 7% du Pib européen.
    L’Europe n’est –elle point capable d’asumer cela ?
    Il est grand temps de reposer en clair la place des banques dans la catastrophe.
    Car, ce qui se prépare ici, ce que fomenttent l’Europe et les USA est grave pour la Grèce, étouffant et inhumain, mais le boom rang en sera plus terrible pour l’Europe entière. Les féodalismes économiques l’emporteront sur le droit des peuples. Il paraît grand temps de réunir les esprits lucides et les plues habiles, pour bouter ce Nouveau Moyen-Age dont parlait déjà Bierdaiev au début du XXème siècle.
    Je concluerai par des realia à diffuser :
    en deux mois dans mon quartier, quinze boutiques bien achalandées de produits utiles ont fermé et tous les jours l’hôpital enregistre une recrudescence d’autolyses.
    Quant aux phrases assassines envers la Grèce, qu’elles viennent d’Allemagne, des USA ou d’ailleurs, celui qui les prononce devrait être traduit devant le tribunal pénal international.
    Donnons la main à la Grèce sans lui couper bras et jambes, faisons notre devoir de citoyen européen, notre simple devoir d’hospitalité. L’esprit d’Apollon nous le rendra multiplié par mille.
    Vive la jeunesse de la Grèce, laborieuse, ingénieuse & intelligente
    vive la jeunesse de l’Europe qui saura l’accueillir et la soutenir contre les privilèges dévastateurs.
    Hélène RICHIER
    (Helléniste)

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