Douce France

Houellebecq, ministre de la désindustrialisation par Pierre Antoine Delhommais

Houellebecq, ministre de la désindustrialisation par Pierre Antoine Delhommais

Pierre-Antoine Delhommais

Avant que le prochain remaniement ministériel soit définitivement calé, nous avons une petite suggestion à faire à Nicolas Sarkozy. Que Michel Houellebecq fasse partie de la future équipe gouvernementale. Non pas au ministère de la culture, mais à celui de l’économie. Ce n’est pas que Christine Lagarde nous ait déçus, bien au contraire. D’abord on lui sait gré de nous avoir réconfortés, et surtout bien fait rire, au plus fort de la crise, avec ses propos d’un optimisme décalé. Ensuite, parce que son aisance et son élégance naturelles, son petit côté duchesse de Guermantes, font merveille lors des sommets internationaux, et donc le plus grand bien à l’image de la France à l’étranger. Qui en a, en ce moment, bien besoin.

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 La nomination à Bercy de l’auteur de La Carte et le Territoire ferait au moins un heureux, Jean-Claude Trichet, grand amateur de poésie, qui pourrait ainsi, en marge des rencontres du G20, entre deux discussions sur l’évolution des agrégats monétaires et le cours de l’euro, débattre de l’art de la rime chez François Villon et Gérard de Nerval. Mais peut-être serait-il plus sage de ne confier à Houellebecq, dans un premier temps et afin que le bonhomme fasse ses preuves, qu’un sous-ministère de Bercy. Celui de l’industrie, par exemple. Ce qui aurait un immense mérite : nous débarrasser une bonne fois pour toutes des rodomontades quotidiennes de Christian Estrosi.

En vérité, « ministère de la désindustrialisation » serait une dénomination plus appropriée. Plus réaliste aussi – la France a perdu 600 000 emplois industriels en dix ans. Pour le diriger, Houellebecq est l’homme qu’il faut. Le mieux à même de faire comprendre, sinon accepter, aux Français cette transformation radicale du capitalisme qui vide l’Occident de ses usines et de ses ouvriers.

Balzac fut le romancier de la rente bourgeoise, Zola celui de la révolution industrielle. Houellebecq est celui de la fin de l’âge industriel, sur laquelle son dernier roman constitue, de son propre aveu, « une méditation nostalgique ».

Cette nostalgie, c’est d’abord celle de l’ingénieur – Houellebecq est diplômé de l’Institut national agronomique Paris-Grignon. De l’ingénieur, de l’inventeur à la Jules Verne, de celui qui conçoit et fabrique un nouveau produit, un bien matériel qui change, en mieux, la vie quotidienne. Steve Jobs, le patron d’Apple, est selon Houellebecq l’un des derniers représentants de cette race héroïque d’inventeurs en voie de disparition. Mais un Jobs lui-même conscient de ce monde en train de mourir et dans le regard duquel on peut lire « cette tristesse indéfinie des adieux ».

Houellebecq – c’est au moins un trait commun qu’il a avec Nicolas Sarkozy – n’apprécie guère ce capitalisme des services et de la finance qui en train de dépecer, en Occident, le capitalisme industriel. Un capitalisme financier qui se traduit, dans les entreprises, par cette culture de la rentabilité d’une bêtise infinie et d’un ridicule vertigineux. « C’est parfait, c’est parfait. Cette fois, je crois que nous sommes authentiquement dans le win-win ! », s’enthousiasme l’un des personnages, haut cadre chez Michelin. Un capitalisme financier, aussi, qui détruit tous ceux qu’il laisse sur le bas-côté. Comme cette femme de ménage d’un restaurant d’autoroute « épuisée, découragée », qui « tord la serpillière dans son seau exactement comme si c’était à cela que se résumait, pour elle, le monde : une surface douteuse recouverte de salissures variées ».

Houellebecq compagnon de route de Besancenot ? Sur quelques dizaines de mètres, tout au plus. « De manière plus générale, on vivait une période idéologique étrange, où tout un chacun en Europe occidentale semblait persuadé que le capitalisme était condamné, et même condamné à brève échéance, qu’il vivait ses toutes dernières années, sans que pourtant les partis d’ultragauche ne parviennent à séduire au-delà de leur clientèle habituelle de masochistes hargneux. »

Houellebecq n’est pas un homme révolté, il ne veut pas changer le monde, il a juste le désir  » de rendre compte du monde ». Tel qu’il est et tel que, selon toute probabilité, il deviendra. Notre futur locataire de Bercy nous promet pour les prochaines décennies de nouvelles crises financières, plus terribles encore que celle des subprimes, qui enverront au tapis le Credit suisse et la Royal Bank of Scotland. « Des crises d’une violence croissante, d’une imprévisibilité burlesque – burlesque tout du moins du point de vue d’un Dieu moqueur, qui se serait amusé sans retenue de convulsions financières plongeant subitement dans l’opulence, puis dans la famine, des entités de la taille de l’Indonésie, de la Russie ou du Brésil : des populations de centaines de millions d’hommes. »

Car voilà. Houellebecq l’ingénieur de sciences dures considère certes que les théories économiques relèvent du « charlatanisme pur et simple ». Mais il est en même temps dans « l’acceptation lucide » de la force supérieure du marché, de la loi de l’offre et de la demande et de la spéculation impossible à dompter. Et, comme Balzac cette fois, de la passion indépassable de l’homme pour l’argent, qui explique aussi bien les crimes que l’échec du communisme. « Dès qu’on a supprimé l’aiguillon financier, les gens ont cessé de travailler, ils ont saboté leur tâche, l’absentéisme s’est accru dans des proportions énormes. »

Qu’on se rassure. A l’horizon 2040, notre prochain ministre de la désindustrialisation voit la France « bien se porter ». D’abord parce qu’elle sera débarrassée de tous les problèmes liés à « l’immigration, presque tombée à zéro depuis la disparition des derniers emplois industriels et la réduction drastique des mesures de protection sociale intervenue au début des années 2020. »

Principalement, la France, « devenue un pays surtout agricole et touristique », montrera « une résistance remarquable » aux crises. Offrant ses hôtels de charme et de passe, ses parfums et ses rillettes, « ce qu’on appelle un art de vivre », elle attirera, dans ses belles campagnes du Limousin et d’Auvergne, des hordes de touristes russes, indiens et chinois. Et les devises entreront à gogo.

Oui, vivement le remaniement ministériel.

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Courriel : delhommais@lemonde.fr

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