De l’utilité des stress tests démographiques
L’enjeu est majeur. Démographie et endettement façonneront le nouveau monde occidental .
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Contrairement aux pronostics financiers ou économiques, les prévisions démographiques sont assez fiables. Elles tracent, pour les dix à vingt prochaines années, les contours d’un monde occidental totalement différent de celui que nous connaissons aujourd’hui.
Les Etats-Unis et l’Europe ont fait subir à leurs banques des tests de résistance (stress tests). Il est grand temps, estiment Nicholas Eberstadt, professeur d’économie à l’American Enterprise Institute de Washington, et Hans Groth, chargé de cours à l’Université de Saint-Gall, dans la Neue Zürcher Zeitung du 4 septembre dernier, que les économies occidentales se soumettent également à un test de résistance démographique pour informer leurs électeurs et élus du sérieux de la situation.
Entre le vieillissement de nos sociétés et l’endettement de nos Etats, la corrélation est évidente. La Banque des règlements internationaux (BRI) a calculé que de 1990 à 2010 le taux d’endettement des 21 pays industrialisés occidentaux les plus importants a augmenté de 40 points.
Etude de la BRI : Le bond des dettes publiques exige des mesures drastiques (cliquez sur le lien)
La United Nations Population Division (UNDP) estime que pendant le même laps de temps la part des plus de 65 ans a augmenté de 3%. Ce qui signifie qu’environ la moitié de l’augmentation de l’endettement des pays en question est attribuable au vieillissement de la population. Et, toujours selon l’UNDP, cette évolution s’accélérera d’ici 2030: dans ces mêmes pays, le groupe des plus de 65 ans augmentera de plus de 6%. Malgré une immigration nette, on assistera à un recul de la population active (15 à 64 ans). La situation se présente différemment d’un pays à l’autre mais, à l’exception des Etats-Unis, la tendance lourde est la même. Quelques exemples.
Depuis 40 ans, l’Allemagne enregistre plus de décès que de naissances. En 2030, l’âge moyen y sera de 50 ans (43 ans aujourd’hui), la part des plus de 65 ans aura augmenté de 30% et celle des plus de 80 ans de presque 50%. Les dépenses sociales prendront l’ascenseur.
Henri Schwamm Université de Genève sep10
EN COMPLEMENT : L’espérance de vie n’augmentera plus
“Espérance de vie” : cette expression est un abus de langage. A moins d’être un démographe ou un statisticien, on l’interprète spontanément comme l’âge jusqu’auquel nous pouvons espérer vivre, alors qu’il ne s’agit que de la photographie de la durée moyenne de la vie à un moment donné. Il ne devient une “espérance” qu’à la condition de faire l’hypothèse que les taux de mortalité resteront stables ou diminueront, si l’on prévoit une augmentation de cette espérance.
Il est vrai que, selon cette définition, l’espérance de vie à la naissance n’a cessé d’augmenter depuis un siècle. Elle est aujourd’hui de 84,5 ans pour les femmes et 77,8 ans pour les hommes, principalement en raison de la baisse considérable de la mortalité infantile et des progrès spectaculaires de l’hygiène et de la médecine, qui ont permis de faire reculer les maladies infectieuses, causes dominantes de mortalité autrefois. Depuis dix ans, les gains d’espérance de vie ont été de trois années pour les hommes et de deux années pour les femmes. Ce sont ces chiffres qui sont mis aujourd’hui dans le débat public pour justifier l’allongement de l’âge de la retraite.
Mais ce tableau idyllique doit être complété par des indicateurs moins souriants, comme celui de l’espérance de vie en bonne santé, et là, surprise, celle-ci n’est, selon l’Insee, que de 63,1 ans pour les hommes et de 64,2 ans pour les femmes. Rappelons que l’Insee a une définition déjà restrictive de ce qu’est une bonne santé : “Absence de limitation d’activités (dans les gestes de la vie quotidienne) et absence d’incapacité.” Ainsi, une personne en rémission d’un cancer, un diabétique correctement soigné ou quelqu’un ayant eu un pontage coronarien sont en bonne santé.
Tout démontre que l’espérance de vie en bonne santé et encore plus l’espérance de vie tout court sont menacées par la montée des maladies chroniques qui se sont substituées aux maladies infectieuses comme cause dominante de mortalité et de morbidité. C’est ce qu’il est convenu d’appeler “la transition épidémiologique”. L’OMS qualifie cette “épidémie” de maladies chroniques comme “l’un des principaux défis du XXIe siècle”. La France n’est pas épargnée, comme le montre la croissance des affections de longue durée (ALD) du régime général de l’assurance-maladie (90 % de la population), dont les maladies cardio-vasculaires, les cancers et le diabète représentent les trois quarts.
Sur la période 2000-2008, alors qu’il n’y a pas eu de changement majeur de nomenclature, le nombre de nouveaux cas d’ALD chaque année (incidence) a augmenté de 37,8 %, dont 11,4 % seulement étaient liés au changement démographique. Le nombre total de cas (prévalence) est passé de 11,9 % de la population, en 2004, à 14,6 % en 2008, soit une augmentation de 23 % en quatre ans. Or la mortalité des personnes en ALD, à âge et sexe égaux, est 2,9 fois supérieure à celle des personnes qui n’en souffrent pas (5,8 fois plus avant 70 ans).
L’obésité, qui engendre une diminution d’espérance de vie de cinq à quinze ans, est une composante majeure de l'”épidémie” de maladies chroniques.
Etats-Unis: l’obésité coûte plus de 210 milliards de dollars par an à l’économie
Lors d’une conférence sur l’obésité en juillet 2009, Bill Clinton déclarait que la jeune génération pourrait être “la première de l’histoire à avoir une plus faible espérance de vie que ses parents”. Cette déclaration faisait écho à celle de David Byrne, commissaire européen à la santé, quelques années plus tôt, en septembre 2004 : “L’obésité infantile pourrait être à l’origine d’un désastre sanitaire dans l’avenir.” Selon un rapport de l’International Obesity Task Force de mars 2005, un enfant sur cinq est en surpoids ou obèse en Europe, ce qui devrait conduire à une surmortalité à l’âge adulte de 50 % à 80 %.
L’augmentation actuelle de l’espérance de vie à la naissance est essentiellement celle des personnes nées au début du XXe siècle, principalement en milieu rural, dans un environnement peu pollué et avec un mode de vie plutôt sain au moins jusqu’à l’âge adulte. La tendance actuelle, en matière d’espérance de vie, risque de s’inverser lorsque les générations nées après guerre vont vieillir. Ces dernières ont vécu dans un univers totalement différent de celui de leurs aînés. Polluées dès la vie foetale par les substances chimiques de synthèse, elles ont mangé, souvent dès la naissance, une nourriture plus ou moins déséquilibrée (trop de sucre, d’aliments raffinés, de produits appauvris par des transformations industrielles, etc.), effet amplifié par le développement de la sédentarité.
Tous ces facteurs ont conduit à l'”épidémie” d’obésité. Cette génération a aujourd’hui moins de 60 ans, trop tôt, sauf exception, pour mourir du cancer, de maladies cardio-vasculaires ou du diabète, mais le fléchissement du progrès de l’espérance de vie en bonne santé en France, la régression déjà observée de celle-ci dans des pays comme l’Allemagne, l’Autriche ou l’Italie montrent que la tendance séculaire à la progression de l’espérance de vie est en train de s’inverser.
Ainsi les prédictions de l’Insee, pour qui l’espérance de vie va continuer à croître au moins jusqu’en 2050, reposent sur des données fondées sur l’impact du recul des maladies infectieuses, sans prendre en compte la réalité actuelle des maladies chroniques. Un peu comme l’état-major de l’armée française avant- guerre croyait aux vertus de sa ligne Maginot sans voir que l’environnement avait changé depuis le précédent conflit. Avec le résultat qu’on sait.
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Claude Aubert, agronome, auteur de “L’Espérance de vie : la fin des illusions” (Terre vivante, 2006) ;
André Cicolella, chimiste toxicologue, président du Réseau Environnement Santé ;
Laurent Chevallier, médecin nutritionniste attaché au CHU de Montpellier.
source le monde sep10
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