Art de la guerre monétaire et économique

« Kapitalisme d’Etat » : Les entreprises publiques chinoises prospèrent à l’abri d’une « économie socialiste de marché » accommodante

« Kapitalisme d’Etat » :  Les entreprises publiques chinoises prospèrent à l’abri d’une « économie socialiste de marché » accommodante

Les entreprises étatiques chinoises sortent grandes gagnantes de la crise mondiale, après avoir bénéficié d’un plan de relance de 4 000 milliards de yuans (460 milliards d’euros), qui a nourri les champions nationaux de la construction, de la métallurgie ou des transports.

Le veau d’or est l’Etat par Michel Santi

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Les 123 groupes placés sous la supervision du gouvernement central et les milliers d’entreprises détenues par des organes étatiques au niveau central ou local ont ainsi accumulé 1 264 milliards de yuans de bénéfices au cours des huit premiers mois de l’année, soit une hausse de 46,7 % par rapport à la même période en 2009, selon le ministère des finances. Les entreprises publiques ont absorbé l’essentiel des contrats issus des mesures de relance annoncées en novembre 2008 et consacrées à des projets d’infrastructures.

Le veau d’or est l’Etat par Michel Santi

 Le gouvernement central reste actionnaire majoritaire des plus grandes firmes du pays, dont China Mobile, qui compte plus de 800 millions de clients, Baosteel, le numéro un chinois de l’acier, les trois grandes compagnies aériennes et Petrochina, première capitalisation boursière mondiale.

123 entreprises sont gérées par la Commission d’administration et de supervision des actifs de l’Etat. Un plan de restructuration doit réduire leur nombre à moins d’une centaine, qui domineront leurs secteurs respectifs.

Près de 5 000 sociétés détenues par des autorités locales ou par le gouvernement ont fait faillite depuis 2002, selon Li Rongrong, ancien haut responsable de la supervision des firmes étatiques.

Selon la Fédération du commerce et de l’industrie, Petrochina et China Mobile, les deux premières entreprises publiques, ont dégagé en 2009 des bénéfices supérieurs à ceux des 500 plus grandes sociétés privées cumulés ! Une situation résumée par la formule : « guojin mintui » (« l’Etat avance, le privé recule »). Les jeunes diplômés ne s’y trompent pas. Selon un sondage, 33 entreprises publiques figurent dans la liste de leurs 50 favorites.

Ces géants sont les héritiers de l’économie planifiée depuis que le parti s’est rangé derrière l' »économie socialiste de marché ». L’Etat s’est désengagé au début des années 1990 des petites et moyennes entreprises mais a préservé sa mainmise sur les plus grandes, ensuite restructurées.

« Le Parti communiste sait qu’en conservant ces firmes il peut les contrôler tandis que s’il les privatisait, il ne pourrait au mieux que les réguler », explique Zhang Jun, professeur d’économie à l’université de Fudan, à Shanghaï.

L’Etat reste le garant de la santé de ses joyaux. Il n’autorise pas l’entrée de concurrents étrangers ou chinois à capitaux privés sur le marché de la téléphonie mobile, que se partagent trois groupes dont il est actionnaire majoritaire : China Mobile, China Unicom et China Telecom.

Il attribue, selon l’hebdomadaire Economic Observer, des parcelles de terrains au prix de 1,75 yuan (0,2 euro) par mètre carré au richissime Petrochina et lui assure l’accès aux ressources pétrolières chinoises à des prix inférieurs à ceux du marché.

Capitalisme d’Etat

Le gouvernement conserve une majorité du capital des trois géants de l’aviation civile, Air China, China Eastern et China Southern. En pleine crise, il s’est tenu à leur chevet pour éponger des pertes de 4,4 milliards de dollars et s’assurer que leur soient accordés les prêts nécessaires. Les petites compagnies privées ont, de leur côté, survécu en prenant soin de ne pas s’attaquer à la part du lion. Certaines ont mis la clé sous la porte, comme East Star Airlines, basée à Wuhan, mise en liquidation judiciaire en mars 2009.

Le rôle de l’Etat a pourtant évolué. « L’appareil de planification a été cassé, les entreprises sont devenues autonomes, elles ont été mises en concurrence, explique Jean-François Huchet, directeur du Centre d’études français sur la Chine contemporaine à Hongkong. L’Etat intervient indirectement mais il est présent et ces entreprises se servent du canal étatique pour faire avancer leurs intérêts. »

L’efficacité de ce capitalisme d’Etat aux caractéristiques chinoises est discutée. Zhang Jun, l’économiste de l’université de Fudan, juge que ces « tigres de papier » prospèrent grâce à leur surprotection mais restent fragiles et doute de leur compétitivité en situation de concurrence réelle.

La Banque mondiale estime que « la Chine pourrait gagner en productivité en ouvrant un peu plus certains secteurs à la participation du privé » et en levant les obstacles à la concurrence.

Dans son dernier livre, La Fin du libre marché, Ian Bremmer, président d’Eurasia Group, s’inquiète de la montée en puissance internationale de ces firmes soupçonnées d’être les chevaux de Troie d’intérêts étatiques.

En détenant ces entreprises, l’Etat peut appliquer ses politiques de développement industriel, et ainsi conserver son modèle. Le Parti communiste ne souhaite pas non plus s’aliéner leurs dividendes ou voir émerger des groupements d’intérêts divergents. Ses membres préfèrent siéger directement aux conseils d’administration.

Harold Thibault  Shanghaï Correspondance LE MONDE sep10

EN COMPLEMENT : Retour imminent à la dure réalité en Chine pour les banques

 En Chine, les banques qui détenaient de gros portefeuilles de créances douteuses sont au nombre… des établissements de crédit les plus lucratifs et les plus cotés. Les projets de l’autorité de régulation chinoise pourraient changer la donne. Celle-ci concocte une série de mesures pour que les banques soient mieux armées en cas de coup dur. Leur valeur boursière pourrait en être affectée.

C’est en bonne partie grâce aux pouvoirs publics que les banques contrôlées par l’Etat chinois ont pu prospérer : elles ont bénéficié d’une expansion rapide du crédit, d’une garantie sur leurs marges, de l’apurement de leurs mauvaises créances et de bilans remplumés. Pékin a assaini leurs comptes et les a fait entrer en Bourse. Le gouvernement a fixé le niveau de leur marge sur les taux – la différence entre le taux auquel elles rémunèrent les dépôts et celui auquel elles prêtent – à 3,5 points : le double de ce que l’on peut observer à Hongkong.

Bénéfices amputés

Ce bel arrangement est menacé par la commission de régulation bancaire (China’s Banking Regulatory Commission, CBRC) qui s’inquiète des risques liés au remboursement des prêts, les banques ayant doublé leur volume de nouveaux crédits en 2009. La CRBC veut qu’elles constituent des provisions sur leurs nouveaux engagements et plafonner l’effet de levier autorisé. Et elle pourrait relever le ratio de solvabilité minimum.

Ces mesures amputeraient les bénéfices des banques. La CBRC exigerait qu’elles mettent de côté 2,5 % du montant des nouveaux prêts. Selon Crédit Suisse, si l’on prend en compte les coûts d’exploitation, l’intégralité de la marge sur les taux, rapportée par les nouveaux crédits, s’évanouirait la première année. Bank of China International (BOCI) estime qu’en 2010, cette initiative diviserait par deux les profits d’un établissement de crédit d’envergure moyenne comme Citic Bank.

La marge sur les taux d’intérêt devrait de toute façon fondre : la CBRC va libérer la concurrence en autorisant peu à peu les banques à déterminer leur propre taux de rémunération des dépôts. Actuellement, il est plafonné à 2,25 % par an, moins que le taux objectif de 3 % fixé pour l’inflation.

Il se peut qu’elle relève aussi le plancher réglementaire du ratio de solvabilité pour le porter à 15 % – il se situe à 11 % en moyenne. Les banques chinoises devraient alors diminuer leur total de bilan ou procéder à des augmentations de capital. Or, une nouvelle vague de levées de fonds déprimerait un peu plus les marchés.

 Pour le moment, leur capitalisation boursière correspond à deux fois leur valeur comptable pour 2010 ; en Occident, le rapport est de 1,3. La perspective d’une législation préjudiciable à leur marge sur le crédit devrait inciter les investisseurs à se demander si cet écart est toujours justifié.

source reuters/le monde sep10(Traduction de Christine Lahuec.)

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