Asie hors émergents

La crise de l’épargne au Japon par Martin Feldstein

La crise de l’épargne au Japon par Martin Feldstein

 

 Le Japon va tout droit vers une crise de l’épargne. L’éventuel conflit entre les déficits budgétaires croissants et le taux d’épargne des foyers en baisse pourrait avoir des répercussions négatives à la fois sur le Japon et le reste du monde.

Kenneth Rogoff / Japon : une crise au ralenti

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Pour remettre les choses en contexte, le Japon a longtemps été célèbre pour avoir le taux d’épargne le plus élevé de tous les pays industrialisés. Au début des années 1980, les ménages japonais épargnaient près de 15 % de leur revenu après impôt. C’était l’époque de la hausse rapide des salaires, le temps où les ménages pouvaient consommer plus très vite tout mettant de belles sommes de côté. Quand bien même le taux d’épargne a diminué progressivement durant les années 1980, il était toujours de 10 % en 1990.

Le xxe siècle s’est terminé sur une décennie de croissance lente durant laquelle les ménages japonais ont alloué une plus grosse portion de leur revenu au maintien de leur niveau de consommation. Le net recul du prix des actions et de l’immobilier ne les affectait pas trop car ils disposaient d’un tel montant d’épargne liquide sur leurs compte-épargne postaux et bancaires qu’ils ne ressentaient pas le besoin d’épargner plus en vue de reconstruire leurs actifs.

Le taux d’épargne des foyers japonais a continué de baisser pour diverses raisons. La structure démographique du pays évolue, avec un nombre de retraités à la hausse supérieur au nombre d’actifs dans leurs premières années d’épargne. D’après les sondages, à la différence de ses prédécesseurs, la jeune génération est plus préoccupée de la consommation immédiate que du futur. Et la notion traditionnelle d’épargne en vue de léguer s’estompe peu à peu.

Ainsi, le taux d’épargne des foyers a continué de chuter pour passer en dessous des 5 % à la fin des années 1990. En 2009, il était à peine supérieur à 2 %. Au même moment, le déficit budgétaire était de plus de 7 % du PIB.

En général, la combinaison faible épargne des ménages et forte désépargne gouvernementale contraint un pays à emprunter au reste du monde. Or, le Japon maintient un compte-courant excédentaire et continue d’envoyer plus de 3 % de son PIB à l’étranger, fournissant ainsi plus de 175 milliards de dollars en 2010 comme fonds d’emprunt aux autres pays. Ce paradoxe manifeste s’explique par un mélange épargne des sociétés élevée et niveau d’investissement fixe résidentiel et non résidentiel peu élevé. En bref, au Japon l’épargne nationale est toujours supérieure à l’investissement domestique, ce qui lui permet d’être exportateur net de capitaux.

L’excédent d’épargne nationale sur l’investissement permet non seulement au Japon d’être un exportateur de capitaux, mais contribue aussi – avec la déflation moyenne que le Japon continue de traverser – à un taux d’intérêt à long terme très bas. En effet, malgré les dettes et déficit gouvernementaux considérables – se montant désormais à près de 200 % du PIB – le taux d’intérêt sur dix ans des titres obligataires est de 1 % seulement, le taux de ce type le plus bas au monde.

Que dire de l’avenir ? La situation actuelle pourrait se maintenir quelque temps, mais le risque que le taux d’intérêt augmente et que l’épargne nette des sociétés diminue plane, ce qui finirait par priver le Japon de son excédent au compte-courant.

Le taux d’intérêt pourrait enregistrer une hausse si le Japon venait à passer d’une déflation faible à une inflation faible. Les prix baissent d’environ 1 % par an. Avec un revirement de deux points de pourcentage – correspondant aux voux du gouvernement et de la Banque centrale – à un taux d’inflation positif d’1 %, le taux d’intérêt augmenterait aussi d’environ deux points de pourcentage. Combiné au ratio PIB-dette de 200 %, le taux d’intérêt à la hausse ferait finalement passer la note du gouvernement à environ 4 % du PIB. Ce qui gonflerait le déficit budgétaire de 7 à 11 % du PIB.

C’est alors que de plus grands déficits provoqueraient une hausse du ratio dette-PIB déjà élevé, impliquant un coût du service de la dette plus fort et donc des déficits encore plus abyssaux. Cette spirale infernale entrainera vraisemblablement une augmentation des taux d’intérêt qui finiront par accélérer le rythme de cette spirale.

Ces immenses déficits pourraient aussi finir par supprimer toute épargne excédentaire qui soutient aujourd’hui l’excédent du compte-courant. Et si les sociétés venaient à augmenter leur taux d’investissement dans les locaux et l’équipement ou si l’épargne des sociétés chutait en raison de salaires et de dividendes plus élevés, il en irait de même pour le compte-courant. L’épargne excédentaire pourrait aussi reculer si l’activité dans le bâtiment reprennait.

Le Japon a pu survivre à des déficits budgétaires élevés, des taux d’intérêts bas et ses exportations nettes de capitaux grâce à son taux d’épargne des foyers élevé qui a maintenu l’épargne nationale dans le positif. Mais, étant donné le taux d’épargne actuel des foyers, il se pourrait que le cycle des déficits à la hausse précipite l’épargne nationale dans le rouge. Passer d’une déflation à une faible inflation aurait pour effet d’accélérer ce processus.

Par conséquent, le Japon augmentera son taux d’intérêt réel, le marché boursier s’en trouvera affaibli, l’investissement des sociétés aussi et la croissance économique ralentie.

Si l’excédent net de l’épargne japonaise disparaît, le flux de capitaux de 175 milliards de dollars ne sera plus disponible à l’emprunt pour les autres pays tandis que le Japon deviendra peut-être un fardeau pour l’épargne mondiale.

Professeur d’économie à Harvard, Martin Feldstein a présidé le comité des conseillers économiques du président Ronald Reagan ainsi que le Bureau national de la recherche en économie.

 Project Syndicate, sep 2010

BILLET PRECEDENT : USA : il faut combattre le déficit par Martin Feldstein

EN COMPLEMENT : Les arrières pensées de l’intervention de la Banque du Japon par Michel Santi

 Elles ont commencé par réduire brutalement leurs taux d’intérêts avant de se résigner aux baisses de taux quantitatives – c’est-à-dire à acheter quasiment tous les papiers valeur émis par le marché – quitte à gonfler démesurément leurs bilans. Aujourd’hui, nos Banques Centrales, qui sont acculées avec des taux à zéro et des économies stagnantes, se rendent compte de l’impact plus que limité de ces politiques ultra Keynésiennes. Cela dit, jamais à court d’imagination dès lors qu’il s’agit d’inonder les économies et les marchés de liquidités, elles ont fait feu la semaine en 15 à l’aide la dernière munition encore à leur arsenal, à savoir l’intervention sur les marché des Changes!

C’est à cette aune qu’il convient en effet d’interpréter l’intervention sur de la Banque du Japon qui a acheté 23 milliards de dollars contre le Yen. Paradoxalement, cette manipulation de la valorisation de sa devise n’a suscité nulle protestation au sein d’une Administration US qui vilipende pourtant quasi quotidiennement la Chine pour maintenir sa propre monnaie à des niveaux ne reflétant pas sa réalité économique. En réalité, ces interventions sur les Changes arrangent considérablement les affaires nippones et procurent un sursis bienvenu à une consommation Américaine exsangue. Ces dollars acquis – et ceux qui seront immanquablement achetés par la suite – seront réinjectés par le Japon dans les Bons du Trésor américains, permettant ainsi de stimuler l’économie de ce pays et de motiver les consommateurs US à … acheter à leur tour des biens de consommation « Made in Japan ».

Les autorités japonaises parviennent certes ainsi à sauver du désastre leur économie fragile en maintenant tant bien que mal leurs exportations. En réalité, le Gouvernement nippon subit un lobbying intense émanant du très puissant secteur industriel qui exerce une pression constante visant à intervenir afin d’affaiblir le Yen. Les problèmes structurels de l’industrie japonaise et l’inertie de ses dirigeants la condamnent en effet à concentrer tous ses efforts sur le marché américain plutôt que de s’adapter aux pays émergents et ce en dépit de la fatigue extrême du consommateur US… C’est ainsi qu’une pression continue donc maintenue sur les autorités japonaises (sommées de manipuler le Yen) par une industrie qui vit de sa gloire passée et qui est en tous cas très réticente à se remettre en question. Ce raffermissement, certes artificiel du billet vert vis-à-vis du Yen, leur permet ainsi de retarder au possible les indispensables restructurations dont aurait besoin l’industrie de leur pays.

En fait, les responsables nippons – pas nécessairement plus courageux que les autorités américaines – agissent envers leur citoyens à la façon des Gouvernements US successifs ayant tenté coûte que coûte de sauver leur marché immobilier, fût-il grossièrement sur évalué. Les Américains ne se sont-ils effectivement pas acharnés à maintenir des valorisations immobilières déconnectées des réalités avec des liquidités qui auraient pu être nettement plus utiles à leur industrie et à leur recherche? De la même façon, les Japonais ne cherchent-ils pas à stabiliser les cours du dollar au lieu de forcer aux indispensables réformes de leurs industries?

Michel Santi gestionsuisse.com sep10

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