Art de la guerre monétaire et économique

La Chine a faim par Geert Noels

La Chine a faim par Geert Noels

Les dirigeants chinois et leurs projets ne brillent guère par leur transparence. Pour se faire une opinion à leur sujet, il faut dès lors scruter les actes qu’ils posent. Il en ressort qu’ils n’ont plus envie d’amasser du papier du Trésor US mais veulent s’emparer de vrais actifs. Ils sont préoccupés par la plus grande menace qui pèse sur la stabilité intérieure du pays : les grognements d’estomac de la population.

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Je me demande comment la Chine est dirigée. Comme l’ancienne Union soviétique, par quelques vieillards sclérosés qui tentaient de garder en main les rênes du pouvoir ? Ou à partir d’une salle de conseil hypermoderne où des analystes jeunes et à l’esprit vif présentent leurs points de vue aux dirigeants et discutent divers scénarios possibles. Aussi moderne que paraisse la Chine d’aujourd’hui vue de l’extérieur par rapport à l’URSS d’avant son implosion, les structures internes n’en sont pas moins restées vieillottes.

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Il m’apparaît que les grandes lignes de la stratégie sont tracées de façon assez prévisible. Jusqu’il y a peu, les énormes réserves de devises que la Chine avait constituées, étaient quasi mécaniquement converties en achats d’obligations américaines. Mais ce processus s’est totalement arrêté il y a quelques trimestres. L’appétit des décideurs chinois s’est brusquement transformé en une constipation : à présent, ils préfèrent se débarrasser du papier. Mais que faire alors avec toutes les réserves liées au dollar qui affluent dans le pays ? L’un ou l’autre dirigeant chinois a, selon moi, exprimé l’idée simple d’acheter des actifs liés au dollar au lieu d’obligations liées au billet vert. Les Chinois se sont déjà prudemment essayés à ce type d’achat en 2005, lorsqu’ils ont voulu acquérir l’entreprise pétrolière Unocal, en lançant une offre plus élevée que celle faite par ChevronTexaco mais sous la pression politique, ils ont retiré leur offre. A l’époque, les Chinois étaient encore affamés d’énergie et surtout de pétrole.

Achats d’actifs

Aujourd’hui, c’est une autre sorte de pression qui s’accroît : la fringale de nourriture. Avec près d’un quart de la population de la planète et seulement 5 à 7 % de la surface agricole mondiale, la Chine possède un énorme talon d’Achille. Les Chinois doivent faire en sorte que leur agriculture produise une récolte maximale et pour cela, il faut des engrais puissants en grandes quantités. L’un des principaux fertilisants du sol est le potassium. Sans potassium, pas de riches récoltes. Cette précieuse denrée est extraite dans un nombre limité de pays et de mines. Un tiers provient du Canada où Potash Corp. of Saskatchewan est le principal acteur. Pour les vieux dirigeants chinois, le raisonnement est donc bien simple : danger = faim = agriculture = engrais = potassium = acheter… Saskatchewan.

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Tout comme dans l’affaire Unocal, les Chinois ont entamé une guerre des offres contre BHP, le plus grand exploitant minier du monde. C’est une bonne chose pour l’actionnaire mais il y a plus important : depuis 1960, la population mondiale a grosso modo doublé tandis que la surface agricole mondiale a augmenté de… 8 %. Donc pour ainsi dire rien. Cela signifie que la productivité de cette agriculture est d’une importance vitale (au sens littéral). Avec les modifications climatiques, le défi auquel les agriculteurs sont confrontés, n’en est que plus grand. C’est pourquoi deux facteurs sont stratégiquement cruciaux : l’eau et les engrais. Les Chinois viennent juste de faire une offre sur un tiers du principal fertilisant disponible sur la planète. Ils sont en train de penser en termes stratégiques et d’acheter des actifs alors que l’Occident est en train d’accumuler des dettes.

Geert Noels,CEO et chief economist d’Econopolis./Trends sep10

Réactions : trends@econopolis.be

BILLET PRECEDENT : Bâle III : les trous noirs du système financier par Geert Noels

EN COMPLEMENT : L’étreinte de la Chine se resserre autour du Brésil.

China Petrochemical Corp. (SNP), ou Sinopec, va débourser 7,1 milliards de dollars pour acquérir une participation de 40% dans la filiale brésilienne de Repsol SA (REP), une opération qui lui donnera accès à de précieuses ressources pour l’industrie chinoise, très forte consommatrice d’énergie. D’un autre côté, la transaction apporte à Repsol les fonds nécessaires au développement de ses réserves pétrolières locales de 1,2 milliard de barils, qu’il ne pouvait financer tout seul, ce qui constitue un soulagement pour les actionnaires du groupe pétrolier espagnol. 

La recherche, par la Chine, de réserves énergétiques à l’étranger transforme le paysage du secteur. Importateur net de pétrole depuis 1993, le pays contribuera en grande partie à l’augmentation de 84% de la consommation énergétique du monde en développement entre 2007 et 2035, d’après les prévisions de l’US Energy Information Administration. Les investissements chinois dans l’énergie à l’étranger devraient sensiblement dépasser les 18,2 milliards de dollars dépensés en 2009, selon l’Agence internationale de l’Energie. 

Le Brésil a été le théâtre des plus grandes découvertes de pétrole offshore des Amériques depuis les années 1970, mais le pays interdit désormais l’accès à de nouveaux entrants étrangers. Repsol fait partie des rares chanceux à avoir obtenu des concessions assez tôt. Aujourd’hui, les retardataires chinois cherchent des moyens de pénétrer ce marché. Sinopec a déjà conclu des contrats d’approvisionnement avec le groupe Petrobras, contrôlé par l’Etat brésilien. De son côté, le chinois Sinochem a battu les offres de Sinopec et de CNOOC pour l’acquisition d’une participation de 40% dans un champ offshore similaire au Brésil cette année

L’investissement de Sinopec n’est pas donné. A 6 dollars le baril d’équivalent pétrole, Sinopec valorise les réserves de Repsol Brasil dans la partie haute de la fourchette de 3 à 7 dollars des champs pétroliers offshore du pays. Cette valorisation est toutefois inférieure à celle de 8,5 dollars le baril atteinte par Petrobras lors de son émission massive de 67 milliards de dollars d’actions. 

Malgré tout, Repsol a bien fait d’abandonner son projet initial d’introduction en Bourse de Repsol Brasil. La cession d’une partie de sa filiale à Sinopec évite les coûts et l’incertitude liés à une telle opération après l’émission de Petrobras. Il pourrait également être intéressant d’avoir un actionnaire aux poches bien remplies. Repsol a une dette nette de 7 milliards de dollars, représentant plus de deux fois son excédent brut d’exploitation, et doit débourser jusqu’à 14 milliards de dollars pour développer ses réserves brésiliennes d’ici à 2019. Comme le suggère la hausse de 6% de l’action repsol vendredi, les investisseurs se réjouissent de voir Sinopec l’épauler. 

-Matthew Curtin, wsj oct10

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Le cuivre au plus haut depuis l’été 2008

Par Claire Fages RFI OCT10

L’industrie manufacturière chinoise s’est encore mieux portée au mois de septembre qu’au mois d’août, ce qui a propulsé les cours du cuivre à leur plus haut depuis 26 mois, vendredi 1er octobre.   

L’indice des achats des entreprises chinoises a grimpé de deux points en septembre, et les marchés ne s’attendaient pas à un résultat aussi bon. Du coup, le contrat de cuivre livrable en décembre a atteint 8 178 dollars en séance, un sommet qu’on n’avait plus atteint depuis le record historique de l’été 2008 ! 

Le prix du cuivre est généralement le reflet de la conjoncture économique : la bonne nouvelle chinoise a fait oublier les mauvaises en provenance des Etats-Unis et de la zone euro. Elle est aussi venue contredire les craintes de ralentissement de la construction en Chine ; Pékin avait effectivement pris des mesures pour diminuer la bulle spéculative dans l’immobilier, mais les chantiers se sont poursuivis dans le secteur social ou moyen de gamme. Après avoir calmé ses achats au printemps, la Chine est rentrée à nouveau dans une phase active de restockage pour contenter une demande importante de cuivre pour la plomberie et l’électricité dans le bâtiment, mais aussi pour les appareils électroménagers, de plus en plus prisés par les Chinois. 

Il faut aussi tenir compte du facteur monétaire : le dollar est retombé à son plus bas niveau depuis janvier, ce qui rend plus intéressants les achats de matières premières libellées dans cette monnaie.

 Ne pas oublier non plus le poids des fonds d’investissement, qui sont revenus massivement sur le London Metal Exchange ce 1er octobre, marquant dans la durée leur intérêt pour les métaux de base et en particulier le cuivre. Ils ont en tête, comme tous les opérateurs, la faiblesse à venir de l’offre. S’il y a un surplus de 200 000 tonnes de cuivre cette année, l’an prochain on prévoit un déficit de 400 000 tonnes. La production stagne, voire régresse dans beaucoup de pays miniers, la teneur en cuivre est de plus en plus faible, moins d’1%, par exemple, dans la mine chilienne d’Escondida, la plus importante au monde. Ce n’est pas un hasard si la Chine a encore tout récemment annoncé un investissement de 3 milliards de dollars dans le cuivre en Equateur. 

En attendant, la belle envolée des cours, 35% depuis le mois de juin, a entraîné une nouvelle recrudescence des vols sur les chantiers ou le long des voies de chemin de fer. Au point qu’en France, le patron de la SNCF imagine de marquer les câbles de cuivre par GSM pour pouvoir les localiser, voire faire survoler le réseau par des drones !

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