Art de la guerre monétaire et économique

Fièvre de l’or = peur du papier par Geert Noels

 Fièvre de l’or = peur du papier par Geert Noels

 Le dollar a entamé une forte glissade. Simultanément, l’or aligne tous les jours de nouveaux records. S’agit-il d’une nouvelle bulle ou ce phénomène cache-t-il d’autres tendances dans les marchés financiers ? 

C’est à nouveau la guerre mais seulement une guerre monétaire. Du moins s’il faut en croire les médias ces derniers jours. Du Brésil aux Etats-Unis en passant par l’Europe, partout on se lamente haut et fort. Et ces jérémiades sont parfois perturbantes : le dollar est trop cher, clament les Américains, trop bon marché, répliquent les Européens. Le FMI trouve le billet vert trop cher tandis que l’OCDE le voit se renforcer. 

PLUS DE NOELS ET DE PAQUES EN SUIVANT :

Une devise faible, cela se mérite  

http://leblogalupus.com/2010/10/15/arts-de-la-guerre-monetaire-seuls-les-faibles-survivent-par-nouriel-roubini/

On ne peut certainement pas reprocher aux Américains et à leur Banque centrale de ne pas avoir tout mis en œuvre pour avoir une devise faible. D’abord, ils ont mené une politique de délocalisation de l’industrie. Puis, ils ont appauvri la population en la surchargeant de dettes. Ensuite, la Banque centrale a commencé à imprimer des billets, ils ont gonflé leur bilan avec du papier toxique, ont crié du haut de tous leurs gratte-ciel qu’ils créeraient de l’inflation et ont nommé Ben Bernanke à la tête de la FED après le règne Brejnévien d’Alan Greenspan. En résumé, on peut affirmer que les USA ont vraiment tout fait pour avoir une devise faible et que le monde extérieur n’apprécie pas encore cet effort à sa juste valeur. Dans les couloirs de Washington, on parle ouvertement de la nécessité d’un dollar faible, un Death Wish dont ils croient qu’il les délivrera de tous les maux économiques.

 http://leblogalupus.com/2010/10/13/fight-the-fed-par-bruno-bertez/ (cliquez sur le lien)

currency

Image: Morgan Stanley

L’or est un refuge  

La hausse du prix de l’or va étroitement de pair avec la perte de crédibilité du dollar mais il y a plus. La hausse spectaculaire du prix du métal jaune n’a démarré vraiment qu’à l’approche de la crise financière lorsque des gens qui avaient la mémoire plus longue que la masse dominante de l’époque, ont réagi à l’arrivée sur le devant de la scène de Fannie et Freddie, au tsunami de poison financier libellé en trois lettres ainsi qu’à la méfiance à l’égard des labels de qualité en trois lettres, en se réfugiant dans l’or. 

Peut-on s’étonner que le prix de l’or vole de record en record quand les gardiens du système monétaire international se comportent de façon inconsidérée ?  

Quand quelqu’un peut, avec l’autorisation du capitaine, jouer avec des allumettes sur le pont d’un pétrolier, l’équipage se tire d’abord en douce et prend ensuite d’assaut les chaloupes de sauvetage

La Chine semble être le seul pays économiquement significatif, qui soit parvenu à maintenir un système financier stable. Toutefois, les fabuleuses réserves externes qui tutoient à présent les 2.000 milliards de dollars, perturbent fortement les observations. Car le système interne chinois est miné par une masse de mauvais crédits, des banques vacillantes et des entreprises publiques opaques.

http://leblogalupus.com/2010/10/15/chinamerica-grande-controverse-sur-les-prets-aux-collectivites-locales/ 

En termes relatifs, la Chine est peut-être l’un des meilleurs élèves de la classe. Le pays achète aussi autant que possible l’or que les pays occidentaux ont déjà vendu. Quelle clairvoyance de la part de nos banquiers centraux occidentaux que de vendre leur or à partir de 400 dollars et de se diversifier en papier obligataire ! 

La guerre monétaire internationale est en réalité une course d’ivrognes sur une pente abrupte de crédibilité en baisse et de refus de s’attaquer en profondeur à l’addiction occidentale à l’endettement, et elle n’a pas grand-chose à voir avec une politique commerciale. Ce sont les dettes occidentales qui sont la véritable bulle d’aujourd’hui et pas le prix de l’or. 

 

Geert Noels,CEO et chief economist d’Econopolis oct10

Réactions : trends@econopolis.be

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : La mode de la monnaie gratuite par Beat Kappeler

Il y a un lien étroit entre des phénomènes très disparates en apparence. Votre compte d’épargne ne paie pratiquement pas d’intérêt? Votre caisse de pension peine à évoluer? La bourse, l’or et les matières premières montent? Les banques jubilent après l’annonce des nouveaux critères demandés par la Banque des règlements internationaux?

L’origine de tout cela, c’est la monnaie gratuite dispensée par les banques centrales occidentales. Elles submergent les banques de liquidités gratuites que celles-ci peuvent mettre en valeur par des crédits à des taux bien supérieurs. Ainsi les banques reconstituent leur capital propre, éprouvé par la crise et les amortissements. Du fait que la Banque des règlements internationaux leur accorde jusqu’en 2018 pour étoffer leur capital propre, elles y arriveront par l’accroissement des seuls bénéfices, sans effort de la part des actionnaires.

Mais comment font donc les banques centrales?

Elles achètent des paquets de crédit douteux cédés par les banques; elles se portent acquéreuses des dettes croissantes des Etats. Chaque fois, la contrepartie de ces achats consiste en des sommes de monnaie nouvellement mises à disposition. La Banque centrale américaine va, semble-t-il, encore acheter des bons du Trésor à partir du début du mois de novembre, et déjà la bourse jubile.

Le côté plutôt négatif de cette offre magnanime d’argent frais est ressenti d’abord et concrètement par l’épargnant qui se retrouve grugé de ses intérêts. Mais les caisses de pension en pâtissent aussi, elles qui n’arrivent plus à progresser par des investissements en obligations qui rapportent trop peu.

Il y a toutefois des portes de sortie. La plupart des actions offrent un intérêt annuel, sous forme de dividendes, qui représente le double, voire le triple des taux d’intérêt. C’est pourquoi les investisseurs commencent à faire mousser les cours des actions, des matières premières et de l’immobilier.

C’est ici que pointe à l’horizon le côté obscur, moins immédiat et moins concret, mais tout aussi pernicieux:

 la politique de la monnaie abondante et bon marché pousse tout le monde vers des investissements inconsidérés, que l’on ne ferait pas si les taux étaient à 3 ou à 5%. On prépare ainsi les bulles de l’avenir. En ce moment déjà, les cours des obligations sont montés à des niveaux faramineux. L’Etat américain se finance par des obligations du Trésor sur dix ans à un taux de 2,5%. Nous voyons là un Etat totalement endetté et lourdement déficitaire, dont la monnaie se dévalue depuis 40 ans!

Et pour finir, regardons les bilans des banques centrales, car elles tiennent tout de même une sorte de comptabilité.

 Le bilan des actifs de la banque centrale américaine compte ces fameux paquets d’hypothèques douteuses comme l’élément le plus important. La Banque centrale européenne «couvre» l’euro par un bilan important de dollars ainsi «couverts», et par des dettes de la Grèce et du Portugal. Et la Banque nationale suisse compte comme élément principal des réserves d’euros ainsi «couverts». Si de grandes banques avaient de tels bilans, on les fermerait.

Au moment où des investisseurs importants décideront que le roi est nu, le papier-monnaie subira une nouvelle perte de confiance.

Le premier coup de semonce a été le gel de tous les prêts entre les banques, les privés et les firmes en septembre 2008. Et hormis ce cas extrême, l’inflation se nourrira de la montée des matières premières, des prix des immeubles, et par la hausse des prix des importations après la chute du cours des monnaies qui sont gratuites, c’est-à-dire le dollar, la livre et l’euro

Ajoutez à cela la montée des taux quand les banques centrales, redevenues raisonnables, voudront freiner la monnaie et les prix, et l’immense perte de valeur des obligations à ce moment, et vous avez là l’autre variante des événements.

http://leblogalupus.com/2010/10/14/gare-a-la-hausse-des-taux-par-nassim-taleb/

Les responsables ont peur de laisser le monde occidental se désendetter, à cause de la douleur, des amortissements, des pertes, des banqueroutes et par le sous-emploi que cela entraîne. Mais je suis sûr que les deux éventualités esquissées sont plus perfides, à savoir une crise du papier-monnaie ou l’inflation, ou les deux ensemble.

Beat Kappeler le temps oct10

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Ne m’appelez plus jamais « Plaza » ! par Michel Santi

Je n’avais pas encore démarré ma carrière dans les salles de marchés mais mon apprentissage de la finance (commencé en 1986) en fut en quelques sortes bercé… Je parle bien-sûr des fameux accords dits « du Plaza » ayant été conclus en Septembre 1985 par les jadis tout puissants membres du G-7! Notamment représenté par les Américains James Baker et Paul Volcker ainsi que par le français Pierre Bérégovoy, ce cénacle avait décidé de combattre les déséquilibres mondiaux en utilisant l’arme des interventions massives sur le marché des Changes. Pour les observateurs familiers des styles ampoulés et nébuleux des communiqués du G-7, la déclaration finale produite à l’issue de ces réunions ayant eu lieu en l’hôtel Plaza de New York furent limpides, voire exhortaient les marchés à agir en conséquence.

En effet, ce communiqué constatait  »la détérioration de la balance commerciale US suite à sa période de croissance rapide » tout en faisant état de « l’impact important sur sa balance des paiements » et « de la difficulté à accéder à certains marchés du fait de l’appréciation du dollar ». En conclusion, « les Ministres et Gouverneurs » tombèrent d’accord sur le fait que « les cours des devises devaient jouer un rôle dans la correction de ces déséquilibres »  impliquant « une appréciation ordonnée des monnaies vis-à-vis du dollar » tout en « coopérant étroitement » afin d’y parvenir… Ces quelques lignes furent donc pour les marchés comme un électrochoc ou, pour être concret, leur donnèrent toute latitude pour déprécier en toute impunité le billet vert! Plus prosaïquement, la politique de lutte contre l’inflation mise en place par Volcker et consistant à faire usage à outrance des Fed Funds s’était soldée par un raffermissement notable du dollar pénalisant très fortement leur balance commerciale vis-à-vis du Japon. 

De fait, les accords du Plaza portèrent tous leurs fruits à ce point de vue puisque le dollar devait s’effondrer contre Yen de 240 à 120 en deux ans! Pour autant, les exportations nippones ne déclinèrent pas vers les Etats-Unis qui demeurèrent une nation débitrice… Quant aux conséquences pour le Japon, elles furent proprement catastrophiques puisqu’il continue encore aujourd’hui à en payer le prix. N’ayant ainsi d’autre choix que de maintenir une politique monétaire laxiste (c’est-à-dire des taux d’intérêts bas) afin de freiner l’appréciation de sa monnaie, le pays subit une montée progressive d’une bulle immobilière  accompagnée de multiples flambées spéculatives dues à cet afflux de liquidités qui se soldèrent par un crack généralisé toujours pas digéré à ce jour…

Les similitudes sont frappantes entre les relations commerciales US/Japon des années 80 et les tribulations sino-américaines actuelles. Le déficit US vis-à-vis du Japon ayant été de l’ordre de 1.1% du P.I.B. Américain à l’époque, le déséquilibre commercial US envers la Chine se monte aujourd’hui à 1.6% de leur P.I.B.. La rhétorique protectionniste américaine monte en outre en puissance de nos jours tout comme le sont les tentations US de manipuler le cours de leur monnaie afin de contrer la Chine. Dans ce contexte, que doit-on attendre du prochain sommet du G-20 qui se tiendra le 12 Novembre prochain en Corée? Les Etats-Unis espèrent-ils réitérer leur exploit du Plaza, accélérer la dépréciation du dollar afin d’une part de se tirer de la crise via un boom de leurs exportations tout en lésant par ailleurs les intérêts des étrangers porteurs de la dette américaine qui seront immanquablement sinistrés par cette chute du billet vert…?

Ce serait compter sans la détermination de la Chine qui n’a vraiment pas la docilité du Japon des années 80!

Michel Santi gestionsuisse.com oct10

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La libido du yuan et la testostérone du dollar par Pierre Antoine Delhommais

Pierre-Antoine Delhommais

Comme prévu, il a été beaucoup question, à Washington, il y a une semaine, lors des réunions du Fonds monétaire international (FMI) et du G7, de « guerre des monnaies ». Chacun des ministres des finances ou des gouverneurs de banque centrale présents y est allé de son petit commentaire. La ministre de l’économie Christine Lagarde aussi, mais pour se démarquer de la tonalité générale, très martiale. « Alimenter des anticipations en utilisant des termes militaires ne me paraît pas être la manière la plus constructive de faire avancer le sujet. » Des remarques monétaires à éclairer par d’autres propos de Mme Lagarde qui, il faut bien l’avouer, ont beaucoup plus retenu l’attention des médias. 

Dans un entretien accordé au Monde, la ministre française a estimé que les femmes « projettent moins de libido et de testostérone », en politique comme en affaires. Puis, réitérant ses propos sur la chaîne de télévision américaine ABC : « C’est une aide dans le sens où on ne va pas investir nos ego dans une négociation, en imposant notre point de vue, en humiliant notre partenaire. » 

Ce qui n’est pas très gentil pour les hommes, pour ses collègues masculins du gouvernement, pour MM. Sarkozy et Strauss-Kahn. Mais assez juste, notamment en matière monétaire. Car le marché des changes, en ce moment, suinte de testostérone. On se croirait sur le Tour de France, ou au milieu d’un régiment de parachutistes. On montre ses muscles, on gonfle les pectoraux, on menace, on intimide, on motive les troupes avant l’assaut. 

L’état-major réfléchit aux différentes options d’attaque : le brillant colonel Martin Wolf (du Financial Times) et l’expérimenté général Fred Bergsten (du Peterson Institute) exposent dans la presse leurs plans pour s’emparer du yuan et le faire grimper de force. L’ombrageux maréchal Zhou (Banque de Chine) leur promet une riposte foudroyante. Quant à l’impétueux lieutenant Nicolas Sarkozy, il propose d’aller détruire le stock nucléaire américain en faisant sauter le statut de monnaie de réserve du dollar. Tout cela est certes très « mâle et viril », pour citer M. Juncker, mais très confus aussi : alliances aux contours flous, cibles imprécises, stratégies incohérentes, armes à l’efficacité incertaine. Au point qu’on finit par se demander si ces coups de menton monétaires des différents dirigeants ne sont pas là surtout pour masquer leur impuissance à agir

On a fêté il y a trois semaines le 25e anniversaire des accords du Plaza, à New York. Avec un brin de nostalgie pour ce qui marqua l’apogée de la coopération monétaire internationale de l’après-guerre. Au début des années 1980, l’administration Reagan avait annoncé que les Etats-Unis n’interviendraient plus sur le marché des changes. Une application du beau principe de free market, mais qui ne résista pas à l’épreuve de la flambée du dollar de 1983 et 1984. Le 22 septembre 1985, les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales du G5 (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Japon, Allemagne) se mirent donc d’accord pour intervenir afin de faire baisser le dollar. Avec succès. En à peine deux ans, le billet vert perdit près de la moitié de sa valeur, passant de 9 à 5 francs et de 260 à 150 yens. 

En février 1987, le G5 jugea que le repli du dollar était suffisant et, à Paris, au Louvre, proclama que le temps de la stabilisation des cours des devises était venu. Cela fit effet… quelques mois, jusqu’à ce que le secrétaire américain au Trésor, James Baker, dénonce la politique de la Bundesbank, contraire selon lui aux accords du Louvre. La polémique fit redécrocher le dollar et provoqua le krach boursier d’octobre. 

La coopération monétaire internationale ne s’est jamais vraiment remise de ce clash mémorable. Depuis, les interventions concertées des grandes banques centrales se comptent sur les doigts d’une main : en 1995 et 1998 sur le yen, en 2000 pour faire remonter l’euro. Et plus rien depuis dix ans. Première raison : au moment des accords du Plaza, le marché des changes avait encore taille humaine. Les transactions quotidiennes n’atteignaient « que » 600 milliards de dollars (425,4 millions d’euros). Les banques centrales avaient encore les moyens de lutter contre les marchés, de faire mal aux spéculateurs pour être craintes. On approche aujourd’hui les 4 000 milliards de dollars par jour. Soit quatre fois les stocks de devises réunis des Etats-Unis et de la zone euro. Avec 129 milliards de dollars, la Réserve fédérale américaine (Fed) dispose même de réserves de change inférieures à la Thaïlande. Pour retourner à un vocabulaire militaire, les grandes banques centrales, si elles déclenchaient les hostilités, risqueraient la débâcle.Et, comme le dit l’économiste Kenneth Rogoff, « de perdre beaucoup d’argent en cherchant à se battre, comme Don Quichotte, contre des moulins à vent ». 

Surtout, les accords du Plaza apparaissent comme une exception, heureuse, mais une exception dans l’histoire du marché des changes. Un moment unique où tous les grands pays industrialisés eurent un intérêt commun à un rééquilibrage des cours. Aujourd’hui ? Tout le monde voudrait une monnaie faible : les Américains, les Chinois, les Britanniques, les Japonais, les Européens, les pays émergents. Ce qui, par définition, rend les choses un peu compliquées et la coopération monétaire très improbable. 

On a tort de redouter une guerre des monnaies imminente. La guerre est déclarée depuis bien longtemps, elle est même le régime habituel du marché des changes. Les périodes de paix ne constituent que de brèves parenthèses. Et il en sera ainsi tant qu’on vivra dans un système de changes flottants, avec des monnaies nationales fluctuant en fonction du rythme et des besoins économiques propres à chaque pays. Tant qu’il n’existera pas une monnaie unique mondiale avec un gouvernement économique mondial, ce qui, on peut le penser, n’est pas pour demain. Tant qu’il y aura des hommes, ajouterait Mme Lagarde…

source le monde oct10

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Courriel : delhommais@lemonde.fr

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