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Business as usual /Gestion de portefeuille : L’indémodable carry trade

Gestion de portefeuille :  L’indémodable carry trade

L’utilisation de devises comme couverture de portefeuilles ou pour diversifier son exposition est devenue de plus en plus populaire.

PLUS/MOINS DE CARRY TRADE EN SUIVANT :

La Banque des Règlements Internationaux (BRI) a récemment indiqué dans un rapport que les échanges quotidiens sur le Forex s’élevaient à 4000 milliards de dollars. Mais si le volume des échanges ne manque pas d’impressionner, la manière dont les devises sont échangées – qui a énormément changé au cours des années – compte également.

Tout ouvrage de vulgarisation financière vous dira que les investisseurs se soucient avant tout du rendement général d’un portefeuille et pas seulement du rendement des actifs individuels qu’il contient. Les investisseurs préfèrent des actifs relativement peu corrélés, ou mieux, négativement corrélés, au rendement du marché dans son ensemble. Détenir de tels actifs tend à stabiliser le rendement général.

Cette approche paraît idéale en théorie, mais d’où proviennent ces actifs? Certaines valeurs sont en général relativement peu corrélées au marché. Mais les actions ont tendance à fluctuer de manière cohésive dans les périodes de crise du marché. Cette relation a donc toutes les chances de se détériorer au pire moment: lorsqu’une couverture serait le plus utile, l’actif sur lequel on compte devient un risque.

Plusieurs instruments financiers dérivés ont été développés précisément pour cette raison – pour permettre aux investisseurs institutionnels et privés de se couvrir contre certains risques financiers. Mais les investisseurs ne sont pas tous en mesure d’effectuer des transactions en produits dérivés.

En partie pour ces raisons, l’utilisation de devises comme couverture de portefeuilles d’investissements, ou pour avoir une exposition liée à d’autres marchés de placements, est devenue de plus en plus populaire. Le Forex a deux avantages à cet égard. En premier lieu, sa caractéristique est celle de prix relatifs : si le dollar s’apprécie, une autre devise doit se déprécier. Il offre donc une couverture naturelle.

La deuxième caractéristique du Forex est sa très grande liquidité. Au pire de la récente crise financière, quand la plupart des marchés avaient pratiquement cessé de fonctionner, les transactions du Forex se poursuivaient plus ou moins normalement.

Certains des exemples les plus importants des couvertures présentées par les devises ont trait au yen. Le taux directeur de la monnaie japonaise est proche de zéro depuis plusieurs années – un taux très inférieur à ceux de la plupart des autres économies, en particulier dans la période précédant la crise financière. Le faible taux japonais a incité les investisseurs japonais à rechercher un rendement, en investissant de plus en plus dans les devises étrangères et en profitant de leurs taux d’intérêt plus élevés : le fameux carry trade du Forex.

Mais ces placements ne sont pas sans risques. L’important pour les investisseurs japonais est le retour global sur investissements en yen, pas seulement le différentiel de taux d’intérêt. Si le yen venait à s’apprécier face à la devise dans laquelle est réalisé l’investissement, le rendement pourrait être inférieur à celui offert pour la même somme placée dans une banque japonaise. La théorie économique veut en fait que le différentiel de taux d’intérêt soit compensé en moyenne par la dépréciation de la devise ayant le taux d’intérêt le plus élevé. Le différentiel reflétera la compensation exigée par les investisseurs pour placer de l’argent sur des devises relativement risquées.

Mais de manière générale, les opérations de portage ont produit des retours positifs.

Et dans la période précédant la crise financière, le yen, dont le taux directeur était déjà bas, s’était déprécié face à la plupart des devises. En conséquence, emprunter en yen et investir dans des devises à taux d’intérêt élevé comme le dollar australien ou la livre turque s’est révélé extrêmement rentable. Cette situation a provoqué un accroissement des flux de carry trade, qui l’ont temporairement rendu plus attrayant encore, parce des influx plus importants tendent à affaiblir davantage les devises à faible taux d’intérêt.

Durant cette période, le carry trade avait plus pour objectif d’optimiser les rendements que de gérer les risques. Il n’en a pas moins entraîné l’apparition de deux nouveautés dans la gestion des risques.

Premièrement, alors que dans le cas de la Bourse, rares sont ceux à conseiller un placement en actions sur une seule société – au lieu d’un portefeuille diversifié – c’est essentiellement ce qui s’est produit dans le cas du marché des changes où l’investissement traditionnel dans le carry trade était d’utiliser un seul taux de change. Des produits ont donc été mis au point qui permettaient aux investisseurs d’emprunter facilement dans plusieurs devises à la fois et d’investir dans des portefeuilles de devises à taux d’intérêt élevé. Ces produits protégeaient les investisseurs contre une liquidation massive des positions de carry trade et les rendaient moins exposés aux risques spécifiques.

Deuxièmement, les opérations de portage semblaient avoir une bonne performance lorsque d’autres classes d’actifs à risque avaient également une bonne performance, et vice-versa. Plus précisément, des taux de change comme le dollar australien/yen sont devenus fortement corrélés aux marchés mondiaux. Cela signifiait qu’un investisseur pessimiste quant aux titres qu’il détient, mais qui éprouve des difficultés à se couvrir au moyen de produits dérivés ou en vendant à découvert, peut réduire son exposition en inversant le carry trade – en empruntant en dollars australiens et en investissant dans le yen japonais, par exemple.

Évidemment, la couverture ne dure que tant que dure la corrélation. Mais alors que de nombreux liens financiers se sont défaits dès le début de la crise financière, celui-ci s’est en fait raffermi et est devenu une stratégie populaire.

 La relation entre l’économie chinoise et le dollar australien est un autre exemple intéressant. Même si la croissance chinoise a été fulgurante, de nombreux investisseurs ont éprouvé des difficultés à investir directement dans l’économie de ce pays. L’Australie a largement profité de la croissance chinoise qui repose en grande partie sur les matières premières. Cette tendance a fait grimper les prix et alimenté les exportations australiennes de minerais.

Pour cette raison, acheter des dollars australiens revient à investir par procuration dans l’économie chinoise. Parce qu’il est échangé sur des marchés liquides et développés qui n’ont pas de restrictions sur les comptes de capital, de nombreux investisseurs ont acheté ou vendu la devise australienne selon leur évaluation de la situation économique chinoise.

Ce genre de stratégie d’investissement doit être utilisé avec prudence : penser qu’une corrélation passée persistera dans la durée n’est pas une bonne idée. Les valeurs des devises dépendent de données macroéconomiques et le Forex offre donc des couvertures naturelles sur des marchés liquides et transparents. Si la corrélation paraît sensée sur la base des fondamentaux économiques, il paraît également sensé de parier sur le fait qu’elle se maintiendra. Et il semble également probable que ce genre de stratégie s’est installé dans la durée.

hans-joerg rudloff, paul robinson Président et chef stratègiste en devises de Barclays Capital

Project Syndicate OCT10

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