Art de la guerre monétaire et économique

Les produits financiers les plus précieux sont encore à inventer

Les produits financiers les plus précieux sont encore à inventer

Après l’œuvre épuratrice du G20, les produits financiers sont plus contrôlés et réglementés que jamais. Mais la réforme bancaire a-t-elle tué l’innovation? Le grand public dispose-t-il, plus qu’avant, des produits qui lui permettent de se protéger contre les principales menaces de l’existence?

«Il est impossible pour l’individu de s’assurer d’une manière économiquement sensée contre l’un des risques les plus importants pour lui, à savoir la probabilité du versement de ses prestations vieillesse et santé», écrit Konrad Hummler, associé-gérant de la Banque Wegelin, et président de l’Association des banquiers privés suisses, dans son commentaire mensuel. C’est «injuste, antisocial et immoral», explique-t-il, car «cela revient à interdire aux Pompéiens de quitter la ville». Faute d’instruments de couverture, «le grand public se voit privé d’informations sur l’ampleur présumée de la catastrophe qui se prépare». Face à la sous-couverture des assurances sociales, au défi démographique et à la difficulté politique de faire admettre des réformes, le besoin est pourtant réel, urgent et considérable. Le banquier saint-gallois propose la création de CDS (Credit Default Swap) pour le grand public. L’idée est audacieuse car les politiciens, dans leur «désir de loi, c’est-à-dire de leur envie furieuse d’infantilisation, d’assistance et de maternage social1», ne manquent jamais l’occasion de vilipender les produits dérivés.

De la déflation à la productivité par Konrad Hummler

PLUS DE PROTECTION EN SUIVANT :

Le CDS est un instrument utilisé par les professionnels de la finance pour se protéger contre le risque de défaut d’une obligation. Introduite par JP Morgan en 1995, son prix reflète la probabilité de faillite. Le volume placé dans cet instrument a atteint 62 000 milliards de dollars au pic de 2007, avant que la crise financière ne le réduise à 30 000 milliards en 2009. Mais la tragédie grecque lui a donné un nouveau souffle.

 Pour se protéger contre la faillite des Etats, le CDS est un signal d’avertissement, «la longue-vue nécessaire à la surveillance du volcan», selon Hummler. A son avis, ce n’est pas la violation des critères de Maastricht ni les sanctions de Bruxelles, plus aveugle et impuissante que jamais, qui a contraint les gouvernements européens à adopter des programmes d’austérité, mais la valeur informative des cours des obligations et des CDS.

Tableau du Risque souverain (probabilité de défaut sur la dette) mesuré par le cout des CDS (assurances)

L’économie du CDS, ainsi que le démontre Robert Jarrow dans une étude2 est similaire à un contrat d’assurance traditionnel. Le rôle du vendeur de CDS est identique à celui de l’assureur. Comme la prime d’une assurance, le prix du CDS se décompose en différents éléments (la perte attendue, la prime pour le risque de défaut, les coûts d’information et la prime de liquidité).

Le CDS s’écarte toutefois de l’assurance sur trois points clés: La qualité des données historiques est moindre et complique l’évaluation du risque du CDS. La loi des grands nombres ne peut s’y appliquer et la corrélation entre les données varie en fonction de la conjoncture.

L’industrie de l’assurance profite aussi de mesures de protections réglementaires inconnues du marché des CDS, en termes d’exigences de fonds propres par exemple.

En résumé, le CDS est un bienfait pour l’économie, estime Jarrow. Il améliore l’allocation des risques entre les acteurs qui sont prêts à assumer un risque de défaut et ceux qui le refusent. Cela réduit le coût des emprunts et soutient l’investissement donc l’emploi. Le trading de CDS réduit aussi les imperfections du marché et améliore donc l’efficience du marché de la dette.

 Le CDS n’est pas un «démon» s’il est réglementé correctement et en particulier si l’on exige des vendeurs de CDS (les assureurs) d’avoir un collatéral égal à 100% de la valeur du contrat. Cette solution est coûteuse, mais la faillite de Lehman a démontré la nécessité d’intégrer le risque de contrepartie dans la valeur d’un actif. Si l’émetteur est incapable de rembourser l’investisseur, à quoi peut servir ce produit? Le CDS sur les assurances vieillesse et santé échoue pour l’instant sur ce point capital. Aucune banque ne pourrait seule en assumer l’étendue des risques.

Ulrich Kohli, professeur d’économie à l’Université de Genève, avançait récemment un argument différent contre l’emploi démesuré du CDS: plutôt que d’acheter un CDS sur la Grèce pour protéger son portefeuille d’obligations grecques, pourquoi ne pas directement acheter des obligations allemandes? Ce qui est vrai des obligations souveraines ne l’est malheureusement pas des assurances sociales. Le public ne dispose d’aucune alternative à l’assurance vieillesse. La concentration du risque est totale.

Trappe à dettes : Des déficits publics au défaut de paiement

La valeur de l’information du CDS est élevée, mais le problème est ailleurs, dans la capacité de «l’assureur» à rembourser en cas de catastrophe. Ce n’est pas seulement vrai pour la sécurité sociale. Le vendeur de CDS sur les Etats-Unis survivra-t-il à leur faillite et parviendra-t-il à rembourser ses investisseurs?

Le risque de réputation est un autre facteur qui freine l’innovation. Prenons l’exemple du réchauffement climatique. A la dernière Foire des produits structurés, à Zurich, un journaliste s’étonnait de l’absence de structurés susceptibles d’offrir une protection contre ce risque considérable. La réponse lui a été fournie par le directeur de l’Association suisse des produits structurés. Un tel produit ne peut exister que si une banque prend la position inverse à celle de l’investisseur. Face à l’investisseur qui se protège du réchauffement (particulier ou entreprise), la banque devrait prendre la position inverse. Elle gagnerait de l’argent en cas d’aggravation du réchauffement climatique. Spéculer dans ce sens est impensable. Les banques agissent de façon très rationnelle en délaissant ce créneau.

Par Emmanuel Garessus/le temps oct10

1. Les Essais, Philippe Muray, Belles Lettres, 2010

2. The Economics of Credit Default Swaps (CDS), Robert Jarrow, Johnson School Research Paper Series 31-2010

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