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Le libéralisme à l’épreuve de l’insécurité et du centralisme

Le libéralisme à l’épreuve de l’insécurité et du centralisme

Les réponses libérales aux préoccupations du moment ont été exprimées lors d’un colloque de deux jours, à Berne, organisé par le Liberales Institut et le Cercle démocratique de Lausanne

Fruit au XIXe siècle d’innombrables courants de pensée, le libéralisme suisse a beaucoup évolué. Plus coloré par la dimension démocratique que dans d’autres pays, il s’est nourri notamment de la tradition de la Landsgemeinde et de la participation du peuple aux décisions.

Au siècle dernier, il a profité de l’arrivée de grandes figures du libéralisme échappant aux périls rouge et brun, a rappelé Pierre Bessard, directeur du «Liberales Institut», la semaine passée à Berne lors d’un colloque de deux jours, organisé par son institut et le Cercle démocratique de Lausanne. William Rappard, cofondateur de ce qui est aujourd’hui l’IHEID à Genève, a en effet offert un poste de professeur à Wilhelm Röpke et un autre à Ludwig von Mises. Le premier est le plus influent penseur libéral germanophone, selon Friedrich Hayek. Le deuxième est le principal fondateur, avec Hayek précisément, de l’école autrichienne du libéralisme (celle-ci rejette l’application à l’économie des méthodes employées par les sciences naturelles et s’intéresse aux relations causales entre les événements, dont l’origine est l’action des individus). La Suisse a en outre été l’hôte de la plus grande plate-forme internationale pour la défense de la liberté, la Société du Mont-Pèlerin.

Par excès de pragmatisme, le libéralisme suisse a perdu de son influence à partir des années 1970. Mais la chute du Mur en 1989 et les excès de l’Etat providence et son processus d’infantilisation facilitent le retour aux valeurs libérales de responsabilité individuelle. Les réponses libérales aux nouveaux enjeux ont été exprimées lors de ce colloque. Revenons ici sur quelques thèmes centraux.

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L’insécurité?

Dans ce monde d’ultra-violence, les autorités, à l’image de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse, s’en prennent à la société et à l’économie de marché. Cette thèse, reprise par la «cléricature du journalisme d’opinion», pour reprendre Philippe Muray, voudrait minimaliser le problème, a expliqué Uli Windisch, professeur de sociologie. Le Genevois condamne ce discours: la télévision française a déclaré que «le nombre de voitures brûlées à la Saint-Sylvestre était en hausse de 30% à 1147, mais qu’il n’y avait pas eu d’accidents graves». N’est-ce pas grave 1147 voitures brûlées? Le libéralisme aurait-il tort de réintroduire la notion de responsabilité individuelle? de lier fermeté et liberté? Uli Windisch propose une organisation locale face à l’insécurité, par quartier ou par immeuble.

L’exemple est symptomatique du fossé béant qui sépare le socialisme du libéralisme.

 Le premier veut multiplier les libertés positives, avec son catalogue infini de nouveaux droits de l’homme (et de nouvelles prestations). Le deuxième lie les droits de l’homme aux devoirs de l’homme et insiste sur la notion de liberté négative (absence d’entrave à mon action). L’insécurité est en effet une contrainte de l’autre à mon autonomie.

Un autre fossé est en train de se creuser, entre le libéralisme exprimé par les partis du centre droit et les autres mouvements libéraux. Sans surprise, Pierre Weiss, vice-président du PLR, était le seul politicien présent au colloque au sein d’un public bien supérieur aux attentes (100 participants). «Le libéralisme organisé manque de présence autant que de substance», a observé Gerd Habermann (président de la FA. Hayek Stiftung). Un grand nombre de jeunes avaient fait le déplacement. «De nouveaux mouvements libéraux se propagent avec une force qui n’avait pas été vue depuis le XIXe siècle», selon Gerd Habermann. 

Le rôle de l’Etat?

Le libéralisme accorde une fonction majeure à l’Etat, celle de garantir la liberté et la propriété. Cette approbation de principe de l’Etat fait qu’il est difficile d’établir une mesure objective de son étendue correcte et naturelle, selon Gerhard Schwarz, directeur d’Avenir Suisse. Difficile d’espérer davantage qu’un frein à sa croissance. Certaines pistes méritent d’être creusées: limitation du nombre de lois par année, des jours de sessions parlementaires par année, de la quote-part de l’Etat, renforcement du fédéralisme, liste exclusive des tâches de l’Etat, réexamen obligatoire de l’utilité d’une loi après dix ans.

La mondialisation?

La Suisse a embrassé les valeurs libérales d’ouverture et d’autonomie. Notre pays a refusé d’ériger des barrières protectionnistes contre les importations textiles d’Asie. Aujourd’hui, sans l’aide de Bruxelles ni du G20, la Suisse est l’un des rares pays présentant un excédent de la balance commerciale avec la Chine, a indiqué Victoria Curzon Price, ancienne présidente de la Société du Mont-Pèlerin. La Suisse profite de sa culture d’épargnant prudent. Ce gène libéral nous renvoie aux origines mêmes de la Confédération et à la lutte des cantons «primitifs» pour leur liberté.

La crise financière marque-t-elle l’échec du libéralisme?

La lecture socialiste de la crise financière dénonce la cupidité des banquiers et y voit l’échec du capitalisme. La crise résulte au contraire des errements de la réglementation immobilière et bancaire américaines et d’une politique ultra-expansive des banques centrales, selon Philippe Nemo, professeur à Paris et essayiste. L’Etat ne joue-t-il pas un rôle dans la spéculation? Le libéralisme, qui se définit par la capacité de non-imitation, permet à l’individu de réagir par feedback négatif au signal des prix. Mais lorsque ce feedback est faussé par l’intervention de l’Etat sur les taux d’intérêt et les marchés, l’individu est capable de participer par mimétisme au délire collectif que représente une bulle spéculative, selon Philippe Nemo, professeur essayiste français.

Les menaces contre la liberté sont considérables, à l’image notamment d’un Etat providence surdimensionné qui infantilise l’homme et d’une fiscalité confiscatoire que les socialistes veulent encore durcir. «La quote-part fiscale correspond déjà à une économie de guerre», selon Robert Nef.

Par Emmanuel Garessus/ le temps nov10

EN COMPLEMENT : «Le libéralisme s’est toujours relevé» par Olivier Meuwly

Olivier Meuwly, historien, est l’un des organisateurs d’un colloque consacré à l’avenir du libéralisme suisse. Il décrit les succès et les échecs d’un mouvement en perpétuelle évolution

 Le libéralisme suisse a-t-il un avenir? Le Cercle démocratique de Lausanne et l’Institut libéral de Zurich consacrent un colloque de deux jours à ce thème. En préambule, l’un des organisateurs, l’historien Olivier Meuwly, explique les défis auxquels la pensée libérale est confrontée aujour­d’hui.

Le Temps: La crise financière de 2008 n’a-t-elle pas porté un coup fatal au libéralisme?

Olivier Meuwly: Non. La crise a été l’accélérateur d’un phénomène qui s’était amorcé depuis longtemps. L’image de la pensée politique libérale s’est brouillée. Le libéralisme s’est imposé comme posture de résistance lorsque l’Etat s’étendait trop et s’est nourri de cette tension. Mais il a oublié de se positionner par rapport aux nouveaux problèmes.

– Lesquels?

– Il s’agit de clarifier le lien à l’Etat. La pensée libérale a dû s’adapter à la nécessité de gouverner, démontrer qu’elle était appropriée à l’Etat. Mais elle a eu de la peine à digérer les grandes évolutions sociales intervenues depuis les années 1970. La chute du mur de Berlin lui a apporté plus de confusion que de clarté. Le libéralisme s’est trop vite satisfait de sa victoire par KO technique sur le communisme. La crise de 2008 est emblématique, car elle a reposé la question du rôle de l’Etat face à la société. Même les gouvernements les plus libéraux n’ont eu d’autre solution que de confier de nouvelles tâches à l’Etat.

Ne vivons-nous pas une période où, après cette crise et les abus qu’elle a révélés, l’on assiste au retour de l’étatisme et de la primauté du collectif?

– Absolument. Et c’est le grand défi auquel le libéralisme est aujourd’hui confronté. Mais, paradoxalement, le moteur libéral n’est pas remis en cause.

– Vous pensez que le libéralisme peut encore se relever.

– Il a toujours réussi à le faire. Dans les années 1930, le mouvement libéral s’était déjà trouvé au bord du gouffre. Le keynésianisme a permis a contrario de le repenser à un moment où il y avait une forte tension avec le mythe communiste et la menace fasciste. Après la guerre, le libéralisme a su intégrer l’Etat social. Dans les années 1970, tous les mots du libéralisme politique – Etat, liberté, démocratie – ont été repris par la gauche avec des sens nouveaux, auxquels l’une des réactions a été le néolibéralisme. Grâce à sa capacité d’adaptation, grâce à cet esprit de tolérance hérité des Lumières, le libéralisme s’est toujours relevé.

– L’un des intervenants du colloque, l’historien Alexis Keller, s’est demandé dans un ouvrage publié en 2001 si libéralisme et démocratie étaient des frères jumeaux ou des frères ennemis. Quel est votre avis?

– La démocratie n’est pas innée à l’idée de liberté. Lorsqu’elle est apparue dans le contexte de la Révolution française et au début du XIXe siècle, les grands théoriciens libéraux n’étaient pas des tenants de la démocratie. Mais le libéralisme a compris qu’elle était un complément nécessaire à la concurrence et qu’il fallait concilier ordre et liberté. C’est de là que le libéralisme a appris que les nouveaux problèmes ne nécessitent pas une intervention immédiate, mais une approche prudente permettant ensuite de les absorber.

– Quelles sont les particularités du libéralisme pratiqué en Suisse?

– Historiquement, la Suisse moderne a accepté la démocratie plus vite qu’ailleurs. La Landsgemeinde, comme référence symbolique, a fortement irrigué la pensée démocratique. Le libéralisme a pu «comprendre» plus facilement l’inhérence entre la liberté et la démocratie. Il a absorbé les nouvelles contraintes avec plus d’aisance qu’ailleurs.

– S’exprime-t-il de façon différente en Suisse romande et en Suisse alémanique?

– L’influence philosophique est différente. La tension entre le «Moi» et l’Etat se gère autrement. Grossièrement dit, les Romands attendent davantage de l’Etat social, mais les Alémaniques pensent que ce ne serait pas si mal d’avoir un peu plus d’Etat écologique.

– La fusion du PLS et du Parti radical a-t-elle rendu le libéralisme moins visible?

– Non, car c’est en fait l’aboutissement d’un processus qui a commencé à la fin du XIXe siècle en Suisse alémanique, lorsque les mouvements plus étatistes et ceux qui étaient davantage portés sur le libéralisme économique ont fusionné. Les libéraux romands sont les héritiers des libéraux conservateurs, alors qu’en Suisse alémanique, c’est plutôt l’UDC qui porte cet héritage. Je ne crains donc pas que la fusion des deux partis soit une source de difficulté. Si le mélange réussit, cela peut au contraire donner un résultat intéressant, car on réunit dans un même parti la méfiance envers l’Etat et l’action en faveur de l’Etat.

– Vous évoquez l’UDC. Est-ce un parti libéral?

– En partie. C’est un parti très attaché à la liberté. Mais il a une composante populiste qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Et il tient un discours anti-Europe, anti-establishment et anti-étrangers qui brouille le rapport qu’il établit entre l’Etat et le libéralisme. L’UDC a ainsi redéfini la liberté à sa façon, remplaçant l’Etat par la Nation. Cela a attiré des bataillons d’électeurs radicaux et libéraux déstabilisés par l’incapacité de leur «famille» politique à repenser le libéralisme. Il est donc temps de redéfinir la vision libérale de la société et d’expliquer l’histoire et la nature du libéralisme. C’est le but du colloque de ces deux prochains jours qui, je l’espère, sera suivi d’autres rencontres sur ce thème.

source le temps nov10

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L’histoire n’a pas de fin

L’histoire n’a pas de fin. Celle du libéralisme économique ne s’arrête pas, même lorsque la concurrence, la pression sur les marges et les mouvements de consolidation aboutissent à des positions quasi monopolistiques. De nouveaux modèles d’activités plus ou moins proches émergent toujours sur les restes de la destruction créatrice. Cet «ouragan perpétuel» de Schumpeter, processus d’innovation industrielle accompagné d’une élimination continuelle des anciennes structures obsolètes.

Les exemples sont fréquents, en Suisse comme ailleurs, montrant que le processus de sélection provoque souvent une dynamique d’innovation dans laquelle des petits opérateurs s’engagent. Combien d’entrepreneurs claironnent, il est vrai de façon parfois un peu caricaturale, que la crise a été une opportunité pour eux?

Un espace de création autant que de renforcement d’une position d’outsider. Le secteur brassicole en fournit actuellement une illustration. Boxer va assurer sa croissance sur les restes de Feldschlösschen (Arkina) à Yverdon-les-Bains. D’autres brasseurs régionaux suivront peut-être demain sur les friches de Cardinal à Fribourg. Ou ailleurs. La domination du marché par quelques grands groupes a en réalité stimulé la volonté de création et de croissance des brasseries industrielles de terroir. La concentration dans l’horlogerie a aussi libéré de la place pour de nouveaux créateurs. L’avenir montrera s’ils ont tiré les leçons des années d’excès soldées par la disparition de certains prédécesseurs.

Le phénomène est également présent dans les réseaux sociaux, où l’omniprésence de Facebook a dynamisé la recherche d’instruments complémentaires ciblés (tels que les clés Poken, à Lausanne). Dans un tout autre domaine de socialisation, la lente agonie des petits pubs britanniques – 39 fermetures par semaine – a déjà débouché sur des alternatives, tel que le «pub as hub qui réunit diverses activités de quartier (de la bibliothèque aux réunions religieuses).

Au final, ce qui apparaît comme une inéluctable raréfaction de la diversité au bénéfice d’acteurs toujours plus globaux est généralement suivi d’une étape d’émergence locale. L’ouragan de Schumpeter n’est pas irrémédiablement dévastateur. Qui pensait ainsi que les murs yverdonnois d’Hermes Precisa, qui rata définitivement le dépassement technologique de la machine à écrire en 1989, abriteraient vingt ans plus tard une haute école d’ingénierie?

Frédéric Mamaïs /agefi nov10

1 réponse »

  1. Chine / banques : taux de réserves levé.

    Pour la deuxième fois en deux semaines, la Banque populaire de Chine a annoncé vendredi qu’elle relevait d’un demi-point le coefficient des réserves obligatoires des banques, à compter du 29 novembre.

    C’est la cinquième fois cette année que la banque centrale chinoise relève ce coefficient.

    Cette annonce, à rapprocher de la hausse des taux du mois dernier, montre que les autorités chinoises sont soucieuses d’éponger les liquidités excédentaires circulant dans l’économie.

    La perspective de voir Pékin remonter ses taux d’intérêt a été l’un des facteurs qui ont plombé le marché chinois ces derniers jours.

    La Bourse de Shanghai a fini en hausse vendredi mais a perdu environ 3 % sur l’ensemble de la semaine en raison des craintes d’un tour de vis monétaire.

    http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2010/11/19/97002-20101119FILWWW00384-chine-banques-taux-de-reserves-leve.php

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