L’échec annoncé de la présidence française du G20 par Charles Wyplosz
La réforme des retraites engrangée et le nouveau gouvernement en place, Nicolas Sarkozy va pouvoir élargir son horizon et déployer son énergie proverbiale à réformer le monde. Ce ne sont pas les ambitions qui lui manquent. Il a l’intention de reconstruire le système financier mondial, de réaliser un monde multipolaire, et de remettre à leur place les spéculateurs, sans compter les incendies qu’il devra éteindre, en partenariat ou concurrence avec Dominique Strauss-Kahn, si la crise économique et financière qui couve se déclare à nouveau. Et pourtant, il va droit à l’échec, parce qu’il n’a pas pris le soin de comprendre comment fonctionne le système monétaire international ni même à quoi sert la finance.
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En annonçant au soir de l’effondrement de la banque Lehman Brothers la «fin du capitalisme financier» anglo-saxon, Nicolas Sarkozy a fait plaisir à son opinion publique, mais il a implicitement posé le mauvais diagnostic. Epousant étrangement la vision marxiste de la dernière convulsion d’un système pétri de contradictions internes,
il a sous-estimé l’extraordinaire capacité d’adaptation des marchés financiers et de ses acteurs. Il a pris un accident de parcours pour une «crise finale».
Surtout, il ne s’est pas rendu compte que la vraie cause de la crise est une mauvaise régulation par les Etats, mal conçue et mal mise en œuvre. Ce ne sont pas seulement les marchés qui ont failli, mais aussi les responsables politiques.
Que les marchés financiers soient fondamentalement instables (parce que finance = prise de risque et qu’à force de prendre des risques un accident finit toujours par arriver) est connu depuis que la finance existe. Qu’il faille les réguler est une évidence que nul ne remet en cause. A partir de là, tout se complique, car la régulation est constamment contournée, comme toute contrainte imposée à n’importe quelle activité. L’Etat doit se montrer à la hauteur de la tâche, et en général il échoue.
Réduire les risques de crise financière n’est pas, quoi qu’en pense Nicolas Sarkozy, une question de volonté politique, mais de compétence et de précision, à la fois dans la définition de la réglementation et dans sa mise en œuvre par les agences de supervision.
Il est facile de tout rejeter en bloc, mais ce ne peut pas être la bonne solution, car la finance est utile et un système financier performant est un puissant outil de croissance économique. La preuve en est donnée par la faiblesse de la reprise en cours dans tous les pays développés où les banques sont convalescentes et ne fonctionnent pas encore normalement.
Le programme annoncé de la présidence française est de la même veine. Son premier objectif est de mettre fin au «privilège exorbitant» du dollar.
Cela fait très plaisir aux Chinois et à d’autres pays émergents, mais évidemment pas aux Etats-Unis, ni à bien d’autres gouvernements qui savent que c’est une illusion. Un privilège est un droit qui est protégé et ne doit pas être remis en cause. Le rôle international du dollar peut être spontanément remis en cause à tout moment, et le sera sans doute un jour par le yuan chinois. Cette position, acquise il y a un siècle, perdure simplement par l’absence de concurrent. Il faut un grand pays, dynamique, dont la monnaie est stable et qui possède le meilleur système financier du monde. Certains ont espéré que la zone euro allait être un concurrent mais, depuis qu’il existe, l’euro n’a pas augmenté la part de marché détenue auparavant par le mark allemand. Ce n’est pas une question de taille, ni de stabilité monétaire, mais de marché financier. Le seul marché qui rivalise, et encore, avec New York, c’est Londres, qui n’est pas dans la zone euro. Ce ne sont pas les déclarations de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel qui vont attirer à Paris et Francfort la fleur de la finance mondiale.
En attendant, le yuan chinois n’est même pas convertible et les banques chinoises sont aux mains du Parti. Un jour, peut-être, Shanghai détrônera New York et le yuan remplacera le dollar, mais ça ne se produira pas sous la prochaine présidence française.
Les droits de tirage spéciaux (DTS) émis par le FMI ne sont pas de la monnaie. Une monnaie passe de main en main entre des millions de gens. Les DTS, eux, ne sont utilisés que par les 187 gouverneurs de banques centrales. Quant à l’idée d’une monnaie mondiale, pour qu’elle existe, il faut une banque centrale qui l’émette et en assure la qualité. Quand on voit les difficultés que l’Europe a rencontrées pour adopter et faire vivre la monnaie commune, on mesure le chemin qui reste à faire pour arriver à un accord sur une autorité mondiale dotée d’un pouvoir considérable.
Le deuxième objectif annoncé est de stabiliser les taux de change en refondant le système monétaire international.
Bien sûr, ce serait mieux si tout était plus stable et on ne peut qu’approuver l’intention. Mais, là encore, cela fait des décades que l’on y pense et qu’on n’a pas trouvé la pierre philosophale. En réalité, la plupart du temps, lorsqu’ils ne sont pas contrôlés, les taux de change réagissent en réponse à des déséquilibres, et leurs mouvements atténuent ces déséquilibres. Stabiliser globalement les taux de change, c’est revenir vers le système de Bretton Woods, qui s’est effondré parce que les autorités n’avaient pas les moyens de le faire dès lors qu’elles avaient supprimé les contrôles de change. Sauf à rétablir de tels contrôles, «refonder Bretton Woods» restera un slogan sans application concrète. Cela n’empêche pas des arrangements régionaux, dont l’Europe est l’exemple le plus abouti, mais ce n’est pas un sujet pour le G20, dont aucun des membres n’est prêt à soumettre sa politique de taux de change à un contrôle externe, comme on vient de le revoir à Séoul.
Il en va de même pour le troisième objectif annoncé, celui de stabiliser les prix des matières premières.
Comme les taux de change, les mouvements des prix des matières premières reflètent des tensions bien réelles. L’instinct de certains responsables politiques est de voir derrière l’instabilité occasionnelle de ces prix la main malfaisante des spéculateurs, encore eux. Mais les spéculateurs n’ont pas ce pouvoir, hormis pour de très brèves périodes (quelques jours), en général parce qu’ils sont dans la confusion. Les fonds de stabilisation imaginés à l’Elysée sont, encore une fois, une vieille idée mille fois étudiée et mille fois rejetée parce qu’il faudrait des montagnes de fer, de tungstène, de blé, et de centaines d’autres produits, pour espérer peser sur les cours, avec très peu de chances de succès. On voit bien les errements de la Politique agricole commune qui s’est essayée sans succès à cet exercice à la petite échelle européenne.
En réalité, les meilleurs stabilisateurs sont… les spéculateurs qui essaient en permanence d’anticiper la tendance. Ils changent souvent d’avis et se trompent parfois, ce qui est une source de volatilité, mais les bureaucrates en charge des fonds de stabilisation n’auraient aucune raison d’être plus perspicaces. On ne peut empêcher ni la pluie, ni les fluctuations des cours des matières premières, hélas.
Du point de vue économique, il est surprenant que Nicolas Sarkozy ait ainsi défini les objectifs de la présidence française du G20. Il a sûrement de bonnes raisons politiques de lancer ces débats mais, à l’arrivée, il n’obtiendra de ses pairs que de bonnes paroles et des refus polis.
Pourtant, la planète ne manque pas de questions à résoudre.
Les crises grecque et irlandaise nous rappellent que nous n’avons aucun mécanisme en place pour rendre gérables les faillites d’Etat. Un long débat avait échoué il y a une dizaine d’années, largement sous la pression des banques. Il ne demande qu’à être rouvert et là l’énergie de Nicolas Sarkozy pourrait balayer les résistances.
Un autre sujet bloqué est celui de la régulation internationale des banques. Parce que les grandes banques, celles qui sont systématiquement importantes, opèrent à l’échelle globale, leur supervision ne peut être nationale. Ici ce sont les bureaucraties nationales qui défendent leurs prés carrés, renforcées par des considérations protectionnistes. Le résultat est un trou béant dans les tentatives en cours d’améliorer la régulation, probablement la source de la prochaine crise financière. C’est un sujet pour le G20, clairement énoncé lors de son premier sommet de Londres, mais tacitement remisé depuis lors.
Qui osera bousculer les arrière-pensées à courte de vue?
source Charles Wyplosz Telos nov 10
EN COMPLEMENT : La zone Euro va rester longtemps sous pression Avec des risques de politisation croissants.
A peine la crise financière grecque était-elle en passe de se stabiliser qu’un gros nuage est venu ternir le ciel européen en raison de la situation irlandaise. La menace se faufile aussi sur la Botte ainsi que sur la Péninsule ibérique. «Je crains que le sujet reste d’actualité pendant encore de long mois» juge Charles Wyplosz, professeur à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève et expert des questions monétaires. «Je suis en tout cas très sceptique pour ce qui est en train de se passer au sein de la zone euro», déclaré lors d’une conférence donnée le 23 novembre à Genève dans le cadre du cycle mis sur pied par la banque Syz&Co. Pour lui, malgré l’ampleur de la dette publique des pays concernés par la crise, il est aussi d’autres critères qui entrent en ligne de compte dans la situation actuelle de l’Irlande, en particulier le phénomène de la bulle immobilière et la mauvaise situation des banques. «Chacun de ces critères détient un élément de vérité, mais ce n’est pas uniquement cela qui et déterminant, il faut compter sur la défiance des marchés» évoque Charles Wyplosz.
Le propre de toutes les crises financières est qu’elles s’installent durablement et s’étendent sur une longue période.
«On y va avec une sage lenteur, mais avec détermination», relève t-il en substance. On a assisté au même phénomène en ce qui concerne la crise asiatique. Il a fallu du temps pour qu’elle se résorbe définitivement. La question est donc de savoir où va s’arrêter la contagion car on peut trouver des failles dans tous les pays.
La deuxième hypothèse sur les déboires des pays dans la zone euro est l’absence de taux de change, qui agissent habituellement comme une soupape de sécurité. Charles Wyplosz évoque une troisième hypothèse, celle liée à la réaction de l’Union européenne. «C’est l’hypothèse la plus intéressante, mais aussi la plus inquiétante» estime-t-il. Quoi qu’il en soit, la réaction de l’Europe marque un tournant historique dans les relations entre les pays de l’Union européenne. La disposition de la clause de non-sauvegarde représente une sévère atteinte aux relations entre les pays.
Après la Grèce et l’Irlande, la crise ne va pas s’arrêter en si bon chemin, tant l’ampleur de la tâche semble ardue, reconnaît en l’occurrence Charles Wyplosz. Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) a été mis à contribution de 440 milliards d’euros, la Commission européenne à hauteur de 60 milliards et la FMI pour 250 milliards, soit 750 milliards au total. A condition que tous ces montants soient réellement débloqués – ce qui est loin d’être acquis – cela ne représente en fait que moins de 10% de la dette publique de l’ensemble des pays de l’Union européenne. «Les 750 milliards d’euros n’ont pas calmé le jeu» rappelle-t-il. «Le plus grave est que l’on assiste à une politisation de la crise. Les vieux griefs de certains Etats à l’encontre d’autres sont en train de remonter à la surface. Une situation d’autant plus préoccupante qu’au sein du Fonds européen de stabilité financière (FESF), les décisions doivent être prises à l’unanimité. On peut donc s’attendent à des blocages. Sans compter qu’il n’y a pas d’harmonie totale entre le FMI et le FESF.
La nouvelle donne provoquée par la crise économique actuelle et les principes adoptés dans l’urgence par les dirigeants des pays de l’Union européenne nécessiteront un jour ou l’autre de revoir en profondeur leurs relations, en particulier en raison d’un besoin accru de surveillance et de sanctions, d’une conditionnalité des prêts et d’un mécanisme de résolution des conflits.
L’autre solution, ce que Charles Wyplosz appelle l’improbable plan B serait de renverser la logique en demandant au FMI, moins politisé que le FME, de se charger du travail de stabilisation des économiques européennes. Cela sonnerait la fin du Pacte de stabilité et l’établissement de règles nationales de rigueurs économique, un peu à l’image du frein à l’endettement appliqué en Suisse, qui devraient être homologuées au niveau européen.
pierre-henri badel/agefi nov10
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Irlande: le sauvetage de l’UE ressemble à un schéma pyramidal
Le mécanisme européen de stabilité financière activé pour venir en aide à l’Irlande ressemble à un schéma pyramidal plutôt qu’à une solution à long terme, a estimé mercredi le Premier ministre slovaque, Iveta Radicova.
« Nous nous approchons d’un système similaire à un schéma pyramidal et le moment va venir où ce système va s’écrouler comme un château de cartes », a déclaré Mme Radicova devant la presse. Le plus jeune membre de la zone euro (depuis janvier 2009), la Slovaquie, a apporté dimanche son soutien à un plan de sauvetage de l’Union européenne et du Fonds Monétaire International en faveur de l’Irlande, en graves difficultés financières.
Il y a quelque mois, la Slovaquie, membre de l’UE depuis 2004, avait toutefois refusé de contribuer à l’aide européenne à la Grèce, en proie à une énorme dette publique. »Au moment de notre débat sur la Grèce, nous avons constaté que cette aide n’était pas un prêt, mais un cadeau. Je ne ressens aucune satisfaction en disant aujourd’hui: +nous avons eu raison+ », a aussi dit Mme Radicova.
« Je ne peux pas exclure que d’autres pays seront bientôt au menu de notre discussion. Et je dois signaler dans ce contexte que le Portugal et l’Espagne sont des vases communicants », a souligné le Premier ministre. La Slovaquie plaide pour la participation du secteur privé au mécanisme de sauvetage, arguant que les contribuables ne peuvent pas en porter tout le fardeau.
Paris, 24 novembre 2010 (AFP)
IN FINE :
Jeudi 25 novembre 2010, vers 20h30 :
Bilan de la journée :
Les investisseurs internationaux n’ont plus aucune confiance dans les Etats d’Europe du sud, ni dans l’Irlande.
Les investisseurs internationaux n’ont plus aucune confiance dans la capacité de ces cinq Etats à rembourser leurs dettes.
Leurs taux d’intérêt explosent.
Ces cinq Etats foncent vers le défaut de paiement.
Italie : taux d’intérêt des obligations à 10 ans : 4,394 %.
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GBTPGR10:IND
Espagne : taux d’intérêt des obligations à 10 ans : 5,175 %.
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPG10YR:IND
Portugal : taux d’intérêt des obligations à 10 ans : 7,023 %.
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT10YR:IND
Irlande : taux d’intérêt des obligations à 10 ans : 9,041 %.
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GIGB10YR:IND
Grèce : taux d’intérêt des obligations à 10 ans : 11,934 %.
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GGGB10YR:IND