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Trois «trilemmes» pour 2011 par Andreas Höfert

Trois «trilemmes» pour 2011 par Andreas Höfert

En cette fin d’année, chaque institut financier, chaque centre de prévisions conjoncturelles nous vient avec ses «Perspectives économiques pour 2011», des opus qui parfois dépassent significativement 100 pages.

Savoir dans ce flux d’informations trouver ce que les Anglo-Saxons nomment «The Big Picture» n’est pas une sinécure. Pourtant dans ce monde complexe de l’an IV de la crise financière on peut dégager trois grands axes autour desquels les prochains mois vont tourner.

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Si un dilemme revient à décider entre deux options, un trilemme exige de choisir au maximum deux de trois options. Une option doit donc être sacrifiée. Une vielle plaisanterie soviétique illustre ceci: vous pouviez être soit membre du Parti soit intelligent soit honnête, vous pouviez avoir deux des caractéristiques mais pas les trois à la fois!

En 2011, les gouvernements devront faire des choix au sein de trilemmes.

Le premier d’entre eux est un problème économique classique qui concerne surtout les marchés émergents: l’impossibilité d’avoir à la fois une politique monétaire indépendante, une libre circulation des capitaux et un taux de change fixe.

 Confrontés à des pressions inflationnistes de plus en plus intenses, beaucoup de pays du Sud et de l’Est, dont la Chine, se trouvent désormais face à un choix: soit ils abandonnent l’arrimage au dollar et laissent leur monnaie s’apprécier, soit ils le conservent et laissent s’envoler les prix.

Le deuxième trilemme a été développé par Dani Rodrik, professeur d’économie à Harvard: incompatibilité entre mondialisation économique, Etats-nations et démocratie.

Nations et mondialisation 

Près de vingt ans après la mise en œuvre du « consensus de Washington » (1990), quel bilan peut-on tirer de la « bonne gouvernance » que les grandes institutions économiques internationales ont tenté d’imposer aux pays du Sud ? Et quels enseignements sur la mondialisation se dégagent des trajectoires contrastées qu’affichent les continents en développement ? Contre toute attente, les pays qui ont le plus bénéficié de la globalisation sont ceux qui, comme la Chine, l’Inde ou le Vietnam, ont le moins respecté ses règles. En comparaison, l’Amérique latine, qui s’était conformée aux principes de l’orthodoxie économique, n’a enregistré que de mauvais résultats. Ce n’est donc pas la libéralisation en soi qui permet le succès économique, mais les stratégies pragmatiques adoptées par les gouvernements, tenant compte des mutations indispensables mais aussi des caractéristiques nationales.

En rapprochant les évolutions réelles des théories dominantes sur la croissance et le développement, Dani Rodrik insiste sur la nécessité de faire rapidement évoluer les paradigmes de la mondialisation. Selon lui, il ne s’agit plus de libéraliser davantage, mais de créer dans chaque pays l’espace politique permettant de traiter les problèmes que pose l’ouverture. Ce premier ouvrage traduit en français de cet économiste à la renommée internationale réunit quatre essais (dont deux études de cas, Inde et Amérique latine), indispensables pour comprendre l’articulation entre développement et mondialisation

 Il fournit un cadre pour analyser l’avenir de la zone euro. Si les Etats-nations étaient contraints de céder, nous assisterions à l’émergence d’une République fédérale européenne munie de politiques budgétaire, économique et sociale communes. Si l’intégration économique au sein de l’UEM venait à céder, la zone euro éclaterait, avec tous les bouleversements qui s’ensuivraient. Enfin, si la démocratie cédait, la poursuite de l’intégration pourrait être imposée contre la volonté des peuples. C’est sous cet angle que l’on peut interpréter les mesures d’austérité prises à la périphérie européenne et fortement récusées par les populations locales.

Le dernier trilemme est américain: le rêve d’un excédent commercial, d’une consommation dynamique et de comptes publics à l’équilibre.

Pour que les Etats-Unis renouent avec la croissance il faut que les ménages surendettés se remettent à vivre au-dessus de leurs moyens, ou que la dette publique continue d’augmenter massivement. Ou bien alors, scénario utopique, qu’il soit enfin reconnu que l’austérité – pour les individus et pour l’Etat –, même si elle pénalise la croissance à court terme, est le seul chemin possible pour atteindre une croissance durable à long terme et des excédents commerciaux.

Des risques importants 

En plus de ces doutes qui pèsent sur la robustesse de la demande finale, de sérieux risques de dérapage existent.

Tout d’abord, la crise de la dette souveraine. Nous allons au devant d’autres difficultés sérieuses. Les problèmes sur le Portugal et l’Espagne devraient s’accentuer. Par ailleurs, les politiques seront de plus en plus confrontés à des décisions cruciales à prendre pour la gouvernance de l’Europe lorsque s’intensifieront les complications en Italie, en Belgique et en France 

Les adjudications des pays périphériques seront nombreuses. 850 milliards d’euros de nouvelles obligations gouvernementales devraient être émises sur l’ensemble de la zone euro l’année prochaine. Rien ne garantit que ces adjudications se dérouleront bien. D’autant plus que les agences de notation semblent s’inscrire dans un processus d’abaissement des notations des dettes souveraines. Mercredi 16 décembre, Moody’s signalait encore son intention d’abaisser de nouveau la note de l’Espagne.

Le quantitative easing et la politique fiscale aux Etats-Unis constituent un autre risque de forte aversion des investisseurs pour le marché actions.

Le déploiement d’une politique monétaire et fiscale très laxistes font courir le risque d’un revirement de la part des investisseurs qui à un moment donné prendront conscience que la situation n’est plus tenable. Une mise en faillite de la Californie ou de municipalités n’est pas à exclure 

Le resserrement de la politique monétaire en Chine, en particulier du fait d’une inflation élevée est un autre danger qui se profile pour les investisseurs.

Le pays connait une inflation de l’ordre de 5%. Certes cette inflation est en grande partie due à une flambée des prix des produits alimentaires mais lorsque l’on se dit que l’alimentation représente une forte part du panier des ménages, on se dit également que des répercussions sociales ne sont pas rejetées. Cela pourrait jeter un froid sur l’économie du pays ce qui serait très dommageable sur le reste de l’économie mondiale. 

Un phénomène de réallocation 

Au-delà des fondamentaux, c’est surtout l’abondance de liquidités dans le système qui milite pour une poussée de fièvre sur le marché actions. Il y a beaucoup de liquidités disponibles. Et il faut bien que cet argent se place quelque part. Par ailleurs, cela fait trois ans que les investisseurs font preuve de prudence. De plus en plus de gens ont vu leur pouvoir d’achat nettement diminuer et/ou sont confrontés à une montée des pressions inflationnistes. Il y a de la recherche de rendements

Méfions-nous des idoles économiques

«Blindside», un livre d’Eamonn Fingleton paru en 1995, ne manque jamais de me rappeler ce célèbre verset du Livre de l’Ecclésiaste: «Vanité des vanités, tout est vanité». Publié un an à peine après la sortie du blockbuster hollywoodien «Soleil levant», «Blindside» est le reflet de la conviction à l’époque que le Japon était sur la voie royale de la suprématie économique mondiale. Son sous-titre, «Pourquoi le Japon reste en course pour dépasser les Etats-Unis d’ici l’an 2000», se passe de commentaires.

Au début des années 1990, l’économie japonaise faisait figure d’exemple dans le monde: du keiretsu, structure composée de grands conglomérats, aux groupes de bénévoles consacrés à la résolution des problèmes appelés «cercles de qualité». Et cette admiration a atteint son paroxysme juste avant que les bulles boursière et immobilière japonaises n’éclatent et n’annoncent le début des «décennies perdues» pour ce pays.

 De nos jours, plus personne ne considère le Japon comme un modèle de politique économique. En fait, il s’agirait plutôt d’un épouvantail, symbole de mauvaise gestion macroéconomique.

Les années 1990 ont été marquées par un va-et-vient d’icônes de l’économie: après le Japon, se furent les «dragons de l’Asie du Sud-Est», emportés par la crise asiatique, puis les Etats-Unis, et pour finir la «nouvelle Europe» incarnée par le miracle économique espagnol et le tigre celtique. Flexibilité de l’emploi et marchés financiers dérégulés se sont posés comme nouveaux paradigmes. Tout le monde vantait les économies de services au détriment des économies anciennes et sclérosées basées sur les secteurs manufacturiers et industriels. Alan Greenspan et Dick Fuld, CEO de Lehman Brothers, lauréat de nombreux prix de gestion bancaire jusqu’à l’effondrement de son établissement, étaient les héros de cette époque. La crise financière a fait table rase.

Mais, alors que les ruines fument encore, nous nous sommes déjà mis en quête de nouvelles idoles économiques. Deux candidats à ce poste sortent actuellement du lot: l’Allemagne et la Chine.

Les partisans de l’Allemagne prétendent que sa force vient de la solidité de son socle industriel: contrairement aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et à la périphérie de l’Europe, l’avantage concurrentiel des exportateurs allemands se base sur des biens matériels et non des services immatériels. Les racines de ce point de vue se trouvent dans une vision du monde marxiste assez classique, qui ne donne de l’importance qu’aux «choses».

Ce discours occulte pourtant les énormes sacrifices que l’Allemagne a consentis ces dix dernières années pour conserver son tissu industriel dans un contexte de mondialisation. Les salaires des travailleurs allemands n’ont guère été augmentés depuis 2000. Alors que la faiblesse du coût de la main d’œuvre maintiendrait l’ultra-compétitivité de l’Allemagne même avec un euro plus fort, il est clair que l’Allemagne bénéficie largement de la faiblesse de la monnaie unique actuellement. Si l’on ajoute à cela les taux d’intérêt de la zone euro, bien trop bas au regard de la prospérité allemande, on entrevoit déjà la menace de nouvelles bulles alimentées par un crédit bon marché.

La Chine, l’autre nouveau modèle économique de référence, est dans la même configuration en termes de politique monétaire. Son arrimage au dollar US signifie que les taux d’intérêt sont trop faibles et le pays subit déjà des pressions inflationnistes accompagnées de quelques bulles dans l’immobilier.

En outre, une caractéristique de la Chine si prisée par de nombreux observateurs qui relèvent la force d’être immunisé par rapport à des considérations de court terme comme des élections ou des publications de résultats trimestriels, pourrait se révéler être un boomerang. Les plans quinquennaux peuvent certes convenir à un marché émergent mais, pour une économie développée, ils ont tendance à provoquer des surinvestissements dans des secteurs en perte de vitesse et à freiner le progrès technologique en ne mettant pas assez l’accent sur la concurrence et la destruction créatrice.

Comme pour n’importe quelle autre mode, la cote des idoles de l’économie monte et retombe. Les investisseurs brûlent ce qu’ils ont adoré et adorent ce qu’ils ont brûlé. Une analyse attentive montre cependant que tous les modèles économiques présentent des points forts et de points faibles, que les avantages d’un modèle sont contrebalancés par autant d’inconvénients. Et c’est souvent l’ignorance volontaire des problèmes propres à l’idolâtrie qui transforme des succès économiques en échecs et en crises.

Andreas Hofert  Chef économiste, UBS.dec10/ UBS Wealth Management Research

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1 réponse »

  1. Merci pour cette synthèse lucide sur la situation des économies dominantes. Je trouve votre approche très intéressante, car elle permet de prendre de la distance nécessaire à l’analyse économique.
    Je suis particulièrement intéressé par le concept de mythes économiques. Il me semble être fondamental d’insister sur le fait que de nombreux dogmes n’ont d’autre fondement que la croyance collective, alors qu’ils sont présentés comme des vérités universelles indépassables.

    Lui de duo d’idées
    http://duodidees.wordpress.com/

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