Art de la guerre monétaire et économique

Faut-il craindre le « Big One » de 2012 ? par Philippe Mabille

Faut-il craindre le « Big One » de 2012 ?  par Philippe Mabille

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Philippe Mabille, rédacteur en chef et éditorialiste à La Tribune, analyse les peurs des marchés financiers mais aussi des économistes et des politiques alors que rien n’a été fait pour corriger en profondeur les déséquilibres fondamentaux à l’origine de la crise.

PLUS DE BIG ET DE BANG EN SUIVANT :

Rally de fin d’année sur les marchés boursiers ; sentiment de reprise économique conforté par les cours record atteints par les matières premières ; croissance bien installée dans les pays émergents et renaissante dans les pays développés. Le tout s’adossant sur des profits (et des bonus) bancaires florissants et des grandes entreprises mondiales les poches pleines de cash…

Et si 2011, année du lapin dans l’astrologie chinoise, quatrième année après la crise, était celle de l’apaisement des tensions, d’un retour à la normale refermant la parenthèse ouverte en 2008 avec la faillite de Lehman Brothers ? Une erreur « systémique » majeure imputable à l’administration Bush, et que l’Europe s’efforce de ne pas rééditer en organisant, pour l’instant avec succès, la défense de la zone euro.

Car si on mesure les dégâts de la chute d’une banque privée comme Lehman à l’aune des emplois perdus (30 millions entre le début 2008 et le début 2010 selon le BIT), on n’ose imaginer l’ampleur de la déflagration qu’entraînerait un défaut de l’Espagne ou de la Belgique.

Les Chinois qui volent, non sans arrière-pensées, au secours de l’euro, l’ont bien compris, tout comme l’Amérique d’Obama qui s’inquiète des conséquences pour sa propre survie d’un éclatement de l’euro. À juste titre, parce que le grand événement de 2011 pourrait bien être le basculement de la spéculation de l’autre côté de l’Atlantique, où la situation économique et budgétaire n’est guère meilleure que chez nous.

Un économiste de la banque ING, Mark Cliffe, a « quantifié l’impensable » d’un retour aux monnaies nationales en Europe : récession de 10 % sur trois ans, explosion du chômage et déflation généralisée, y compris en Allemagne. Les États-Unis surendettés ne peuvent pas ne pas se sentir concernés par le sort de l’Europe. Et c’est cette interdépendance qui nous sauve.

Mais plus que le scénario d’un krach de la zone euro ou d’un krach obligataire par indigestion de dettes publiques, c’est surtout le spectre du « Big One » qui hante les marchés financiers. Le « Big One », c’est ce fameux tremblement de terre final qui pourrait un jour engloutir l’ouest de la Californie si la faille de San Diego venait à le déclencher. Le « Nouvel Économiste » consacre sa une cette semaine à cette hypothèse d’un « effondrement ravageur » de la sphère financière sur elle-même.

Cette peur millénariste, alimentée par le cinéma (le film « 2012 » est construit sur la mythologie du calendrier maya qui date l’apocalypse au 21 décembre 2012, ce qui nous laisse deux ans !), repose sur un constat implacable. Sous l’apparent confort du retour au « business as usual », rien n’a été fait pour corriger en profondeur les déséquilibres fondamentaux à l’origine de la crise. Au contraire, pour la surmonter, les États ont choisi la fuite en avant dans une boule de neige financière qui fait, c’est de saison, froid dans le dos. Les liquidités en circulation représentent près de douze fois le PIB mondial (700.000 milliards d’euros), s’inquiète le député socialiste et ancien banquier Henri Emmanuelli qui a présidé une commission d’enquête sur la spéculation.

Comme l’écrit avec un humour grinçant le « Blog a Lupus », « la rechute des alcooliques anonymes » menace et prépare de nouveaux chocs financiers. Reste à savoir où serait l’épicentre du « Big One » : l’Europe, les États-Unis, la Chine ? Les failles ne manquent pas. Mais, le pire n’étant pas certain, nous ne céderons pas, nous non plus, à ce « journalisme d’épouvante »… tout en conseillant de lire ou de relire « le Cygne noir » de Nassim Nicholas Taleb, pour réfléchir, quel symbole pour Noël, à la « puissance de l’imprévisible ».

Philippe Mabille /Source : La Tribune.fr – 25/12/2010

http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20101224trib000586172/faut-il-craindre-le-big-one-de-2012-.html

EN COMPLEMENT : The Big One par Philippe Plassart

 Un exercice de catastrophisme éclairé ne serait ce que pour imaginer l’aprés

 Impensable parce qu’impensé.Tout le monde sait que la Californie, située sur une ligne de jonction de deux plaques tectoniques majeures, subira un jour ou l’autre un méga tremblement de terre, le fameux “big one” dont l’épicentre sera San Francisco.

Pourtant, les Californiens continuent à vivre dans l’insouciance. Eh bien, la planète finance semble être dans le même état d’esprit. En dépit de la première alerte du choc Lehman, de la multiplication des signaux d’alarme (hier Dubaï, aujourd’hui la Grèce, l’Irlande, demain ?), la sphère financière continue à oblitérer l’éventualité d’une crise systémique. Alors que tout devrait être fait en conscience pour épargner au monde un tel effondrement ravageur. Dès lors, il convient de s’interroger : et si l’intensité des tensions qui travaillent la sphère financière entre ses trois acteurs majeurs – les banques, les Etats et les banques centrales -et qui se mesure en yota de milliards de dollars, d’euros et de yuan ne nous laissait déjà plus d’autre choix que celui de préparer déjà “l’après-big one” ?

Henri Bourguinat, professeur émérite d’économie à Bordeaux IV : “La régulation c’est comme l’armada espagnole venue assiéger les côtes anglaises à la fin du XVIIe siècle et qui fut mise en déroute aux premiers coups de canon, elle est toujours en retard d’une guerre.

“Nous sommes très près de la catastrophe… et toujours aussi loin du but.” Cette formule lapidaire, à la fois cynique et ironique, émane d’un financier. Et si ce dernier disait vrai ? En explorant le scénario de la catastrophe totale– ce fameux tremblement de terre tant redouté par les géologues de la planète, le “big one”, qui frappera un jour ou l’autre, demain peut-être ou dans plusieurs centaines d’années la Californie appliqué à la sphère de l’économie réelle, le Nouvel Economiste ne cède pas à la mode de ce “journalisme d’épouvante” décrié par Claude Allègre. Et qui veut que la prime revienne aux médias jouant les Cassandre. L’exercice tenté ici relève d’une autre démarche, celle recommandée par le philo-scientifique Jean-Pierre Dupuis, adepte du “catastrophisme éclairé”.

« On peut se fixer sur le scénario du pire non pas comme pouvant ou devant se produire dans l’avenir mais en tant qu’il pourrait ou devrait se produire si l’on entreprenait telle action. Dans le premier cas, le scénario du pire est de l’ordre d’une prévision ; dans le second c’est une hypothèse conditionnelle dans une délibération qui doit aboutir à choisir, parmi toutes les options ouvertes, celle ou celles qui rendent ce pire acceptable. C’est une démarche « minimax » : rendre minimal le dommage maximum. Or minimiser le pire, ce n’est pas le rendre nul. C’est précisément la pertinence, voire la seule existence de la possibilité de ce scénario du pire qui peut et doit guider la réflexion et l’action, écrit Corinne Lepage. Je rejoins ce jugement. Je crains que ce point fasse peu sens pour les gestionnaires du risque. La catastrophe a ceci de terrible que non seulement on ne croit pas qu’elle va se produire, mais qu’une fois produite elle apparaît comme relevant de l’ordre normal des choses. »

 — J.P. Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Ed. Seuil, Coll. “Points essais”, 2004, ISBN 978-2-0206-6046-4.

 Car contrairement à ce que dit l’adage populaire, la peur (à ne pas confondre avec la panique) – est souvent meilleure conseillère que la politique de l’autruche, bien sûr, mais aussi de l’attitude de ceux qui surestiment par excès de confiance leur capacité à maîtriser l’évolution de leur environnement.

L’essence de la monnaie, la confiance

Et le pire, c’est quoi ? Un astéroïde s’écrasant sur la Terre, une éclipse solaire anormalement longue, l’éruption d’un super volcan… les prophètes de malheur ont trouvé dans le calendrier maya Tzolkin de nouvelles raisons d’agiter le spectre de l’Apocalypse en la datant précisément au 21 décembre 2012. Un registre somme toute sans surprise sur le mode de la nature vengeresse.

Mais, pari pour pari, si l’Apocalypse doit survenir, elle prendra probablement une autre forme, plus conforme à ce qu’est devenue la Terre – une boule financière en ébullition permanente. Et ce sera probablement celle d’un déchaînement financier et d’une déroute monétaire sans précédent. Le mécanisme ? Il s’enclenche dès lors que s’opère une “perte de confiance globale et totale dans la monnaie”, cette défiance venant saper ce qui fait l’essence même de la monnaie sans laquelle aucune relation économique n’est envisageable.

Sans monnaie crédible, gage transactionnel entre agents économiques, plus rien n’est en effet possible. Si nous ne croyons plus au pouvoir libératoire de la monnaie – sa capacité à se transformer en biens ou services par convention et non par négociation autre que la détermination d’un prix –, alors pourquoi accepter cet argent ? Pourquoi accepter de mettre à disposition sa force de travail en contrepartie d’une rémunération en monnaie de singe ? Pourquoi mettre à disposition son épargne si la valeur de la contrepartie est sujette à caution, etc.

La monnaie, qu’on le veuille ou non, est au centre de la société pour le meilleur ou pour le pire. Elle est le système sanguin qui irrigue l’économie.

« 1. La Banque centrale qui émet la monnaie doit être indépendante des pouvoirs politiques et ne pas financer les déficits budgétaires de l’Etat.

2. Les déficits budgétaires doivent être sous contrôle.

3. Le système de distribution du crédit (banques commerciales) doit être possédé par le secteur privé, bien capitalisé et encore mieux réglementé par la Banque centrale. » Charles Gave

“Les crises financières ont toujours pour origine la matérialisation d’un risque de contrepartie. Il n’y a dans l’histoire aucune exception àcette règle”, explique le banquier Jean Peyrelevade.

La nature spécifique du risque systémique

La prophétie de Lénine – le capitalisme mourra par la monnaie – se réalisera-t-elle ?

Pour l’économiste Philippe Simonnot, le diagnostic ne fait pas de doute : “Le système est malade de la monnaie.” Et l’expert de mettre en cause “un système financier arrivé en bout de course, organisé autour des banques centrales”.

  Une accusation un brin paradoxale, les banquiers centraux étant unanimement crédités d’avoir su éviter le pire à plusieurs occasions.

Les folles heures vécues dans la coulisse par les financiers du monde entier consécutives à la faillite de Lehman le lundi 15 septembre 2008 donnent une illustration de la nature du risque systémique. Car sitôt l’annonce faite, tous les établissements financiers n’ont eu de cesse de lutter pour la préservation de leurs actifs et, dans le doute, de couper toutes les lignes de crédit en cours pour rester “cash”. Si bien qu’en fin de journée, pour cause de confiance évaporée, l’exercice indispensable de clôture des positions de trésorerie, assuré en temps ordinaire par de simples transferts d’établissements en excédent vers les établissements en manque (crédit interbancaire) n’apparaissant plus possible, les banques centrales ont promptement injecté les milliards d’euros et de dollars nécessaires pour établir des comptes équilibrés. Une opération dans la nature des choses – les banquiers centraux jouant leur rôle de “prêteur en dernier ressort” conforme à leur vocation –mais qui fit passer dans le dos de chacun des acteurs de ce film d’horreur à suspens le souffle froid de la terreur évitée. Car si l’exercice avait échoué, c’est tout l’édifice financier qui, comme dans un circuit électrique, se serait écroulé.

Une accumulation sans précédent de menaces

Avertissement quasiment sans frais ? On aurait presque pu le dire au lendemain de cette séquence.

Mais l’histoire a continué et le monde n’a pas cessé depuis d’aller de mauvaise surprise en mauvaise surprise. Si bien que cet épisode Lehman de septembre 2008, déjà fort traumatisant, loin d’être un point d’aboutissement, risque bien d’apparaître dans les futurs livres d’histoire comme une simple répétition générale, une sorte de péripétie mineure par rapport à ce qui allait suivre. Aujourd’hui, deux ans plus tard, au tournant de l’année 2010-2011, force est de constater que les facteurs de risque, loin d’avoir diminué, se sont au contraire accrus de tous côtés considérablement, “à la puissance au carré” confie un financier. “Pour éviter la crise, nous avons pratiqué une véritable et gigantesque fuite en avant qui prépare la prochaine. Mais un autre choix était-il possible ?

Ce n’est même pas sûr”, souligne en soupirant le même financier. On connaît la critique adressée aux banquiers centraux qui agissent en “pompierspyromanes”.

Ces derniers éteignent les incendies en utilisant des lances à pétrole. Taux d’intérêt à zéro, guichets d’approvisionnement ouverts largement et sans interruptiondepuis deux ans : autant de carburants pour créer de nouveaux foyers d’incendie. Quant aux régulateurs censés établir de nouvelles règles du jeu plus raisonnables – n’a-t-on pas été jusqu’à plaider pour une “moralisation” du capitalisme ? – en dépit de leurs efforts, ils apparaissent bien dépassés. “Il est faux de dire que rien n’a été fait. Mais la régulation est comme l’armada espagnole venue assiéger les côtes anglaises à la fin du XVIIe siècle et qui fut mise en déroute aux premiers coups de canon, elle est toujours en retard d’une guerre. L’échelle de temps des marchés c’est la nanoseconde,celle de la régulation, au mieux l’année”, observe Henri Bourguinat, professeur émérite d’économie financière à l’université de Bordeaux IV, et co-auteur de Marchés de dupes (1).

Mais le plus inquiétant est la dynamique pernicieuse de la crise dans laquelle chacun des acteurs ne semble poursuivre qu’un seul but : se défausser sur l’autre pour ne pas avoir à payer la facture.

Paul Jorion, le célèbre blogueur anthropologue de l’économie, en fait une description saisissante de réalisme : “Tout le monde se tient car tout est lié. Les banques ont eu besoin des Etats pour ne pas périr et maintenant les Etats ont besoin des marchés pour financer leurs déficits en partie creusés pour les aider. Les banquiers et les Etats me font penser à ces naufragés qui, s’agitant mutuellement pour tenter de se sauver, sombrent inéluctablement vers l’abîme.”

Un déficit béant de compréhension

S’extraire de cette spirale infernale n’est pas chose aisée faute d’une bonne compréhension des enjeux.

A dire vrai, personne n’y comprenant grand-chose, la plupart des responsables se sont mis sur le mode cher à Talleyrand : “Puisque les événements nous échappent, feignons d’en être les organisateurs.”

Combien de temps ces sommets de chefs d’Etat et de ministres feront ils encore illusion, la dernière initiative en date étant la consolidation d’un fonds d’intervention de solidarité pour… 2013 ?

“En Europe, c’est toujours trop tard et trop peu”, déplore Georges Ugeux, l’ancien vice-président du Nyse, aujourd’hui banquier d’affaires(2). “On cherche des remèdes pour atténuer les effets sans toucher aux causes”, relaie lucidement Jacques Raiman, le président-fondateur de l’institut Turgot. “Lagrande faute des politiques, c’est de n’avoir pas commandé d’emblée à une autorité désignée d’établir une cartographie générale des risques.

Tant qu’on n’aura pas une vision complète et détaillée des interdépendances nouées au sein du système entre les Etats, les banques et les banques centrales, on restera inéluctablement dans le flou, l’incertain et in fine le risqué. Et la perspective de retrouver un système un tant soit peu stabilisé relèvera de l’utopie”, analyse à nouveau Jean Peyrelevade.

Une question à plusieurs centaines de milliards d’euros

En attendant, il va falloir vivre avec une hypothèque à plusieurs milliards de milliards d’euros, celle de l’existence ou non d’un assureur en dernier ressort capable d’amortir la prochaine déflagration.

On a pointé plus haut le rôle décisif des banques centrales lors de la crise de Lehman agissant en qualité de prêteur en dernier ressort. Mais après les rachats massifs par les banques centrales des titres de dette publique – énorme concession faite à la doctrine -, la nature des banques centrales n’a-t-elle pas fondamentalement changé ? En devenant de fait des “banques d’Etat”, ces dernières n’ont-elles pas aliéné leur plus précieux trésor et moyen d’action – leur indépendance ?

Nul doute que cette question taraude les nuits du président de la Banque centrale européenne,Jean-Claude Trichet. La problématique n’est pas qu’existentielle puisqu’il s’agit de savoir dans quelle mesure la banque centrale peut mobiliser sans compter des ressources pour couvrir les risques systémiques.

Les banques centrales doivent-elles veiller à conserver un bilan équilibré et “propre” comme n’importe quel établissement lambda ?

La réponse académique est incertaine. Mais à cette aune, c’est un fait que la prise en pensions de titres publics à pertes potentielles a déjà eu pour effet de dégrader sensiblement leurs comptes.

Un engrenage pris si au sérieux à Francfort qu’il a justifié la semaine dernière le lancement d’une opération de recapitalisation des fonds propres de la BCE. Et unepréoccupation partagée de l’autre côté de l’Atlantique à la Reserve fédérale.

Ainsi, par quel bout qu’on prenne le dossier, il faudra bien un jour payer la facture. Les contribuables ont commencé à payer la note, les investisseurs pas encore.

“Tant qu’on n’aura pas procédé à une restructuration des dettes, on ne pourra pas s’en sortir”, plaide Paul Jorion.

 Mais qu’y a-t-il derrière les investisseurs ? Des millions d’épargnants.

La pyramide financière globale

L’unité de mesure : le trillion

(T :milliard de milliards)

Réserve or des banques centrales : 0,8 T

Cash en circulation et réserves des banques

(M0) : 3,9 T

Actifs détenus par les banques (source

BRI) : 39T

Système bancaire “fantôme” lié aux

garanties contre les défauts (CDS)

(source ISDA) : 62 T

Bulles d’actifs dont immobilier (est

Paddy Allen) : 290 T

Source: Paddy Pallen – The Guardian

Le spectre de la résurgence d’une fatale inflation

Certes, le meilleur adjuvant ne reste-t-il pas de faire tourner autant que de besoin cette formidable et un brin fantasmatique “planche à billets”. Ne dit-on pas que le pouvoir de battre monnaie, privilège seigneurial, est illimité ?

En théorie oui mais dans la réalité, un butoir risque à tout moment de resurgir, celui de réveiller la peur des créanciers et des titulaires de revenus fixes ou non indexés face à une résurgence de l’inflation.

La confiance, toujours cette confiance si nécessaire dans les signes monétaires, pourrait bien un jour prochainêtre ébranlée. Il ne faut passe cacher derrière son petit doigt : derrière l’euphémisme des termes employés – méthodes dites “non conventionnelles”, technique du QE (quantitative easing) –, c’est un déversement de liquidités sans précédent dans l’histoire auquel on assiste. Et l’on parle déjà, après avoir réalisé les opérations Q1 et Q2, d’un possible Q3.

“Les assignats de la Révolution ne sont plus très loin”, lance un expert sans craindre l’exagération. A ce compte-là ,on pourrait évoquer aussi Weimar.

Certes, les consommateurs occidentaux sont encore protégés –mais pour combien de temps encore  par la désinflation importée en provenance des pays émergents à bas coûts salariaux. Mais déjà la flambée des prix de l’immobilier et avec eux des loyers devient insupportable à la classe moyenne qui s’interroge sur les raisons profondes d’une telle surchauffe très frustrante pour elle.

L’insinuation du virus de la méfiance

Doute sur l’existence d’un assureur en dernier ressort par défaut de réserve ; incertitude sur le degré de solidarité effective entre Etats en cas de défaut public ; résurgence de-ci de-là de bulles d’essence spéculative ; interrogations sur la viabilité du système et sa pérennité chez des épargnants qui cherchenten vain où mettre à l’abri leurs disponibilités (la flambée de l’or, qui puise dans des archaïsmes profonds, témoigne de la remontée de la préférence pour la thésaurisation),et dans la population la volonté chez certains d’en découdre avec le système (cf. l’initiative finalement sans effet d’Eric Cantona appelant aux retraits massifs de l’argent des banques) : autant de signes avant-coureurs de l’insinuation à tous les étages d’une méfiance diffuse. Mais pour que ce processus délétère s’amplifie et dégénère au point d’en perdre le contrôle, il faudrait un détonateur.

Tant il est vrai que l’histoire n’est faite que de grands événements presque toujours enclenchés par des petits faits au départ anodins.

Qui avait prêté attention à ce coup de feu tiré par une belle journée d’été à Sarajevo en juin 1914? On connaît pourtant la suite… Où éclatera cette fois le pétard ?

La liste des possibles est longue et ressemble à un inventaire à la Prévert : un malaise – ce qu’à Dieu ne plaise – de Jean-Claude Trichet durant un conseil européen de crise nécessitant son transfert aux urgences d’un hôpital ? Un missile nord-coréen s’écrasant dans la banlieue de Séoul à la suite d’une malencontreuse erreur de manoeuvre ? Ne cherchons plus car de toutes les façons l’imprévu surgira par définition de là où on ne l’attend pas.

 Une certitude : si la situation est mûre pour exploser, le premier prétexte suffira et le moindre battement d’aile de papillon fera l’affaire.

Avec à la clé une débâcle qui, circonstance aggravante, aura nécessairement une dimension immédiatement mondiale.

Repartir de zéro et réinventer la poudre

Imaginons le film catastrophe. En l’absence de filet de sauvetage lancé par des tiers secourables, la déroute financière d’un Etat débouche inéluctablement sur une déroute monétaire. On l’a vu récemment en Russie en 1998 et en Argentine en 2001. Dans ces circonstances, la circulation monétaire disparaissant, les citoyens recourent pour subsister au troc et l’ensemble des créances libellées dans la monnaie ancienne sont de fait perdues. C’est la fameuse “table rase” si chère à Lénine.

Mais la vie reprenant nécessairement, les agents économiques reconstituent dans la mesure de leurs moyens et petit à petit des encaisses monétaires, généralement en devises étrangères. On peut même voir resurgir des monnaies privées ou communautaires jusqu’à ce que “la bonne monnaie chasse la mauvaise”, selon la loi inverse de Gresham.

Bref, on repart de zéro en réinventant en quelque sorte la poudre.

Une formidable régression salvatrice nécessaire pour repartir du bon pied et prix à payer pour neutraliser les effets de “cette finance de l’ombre” qui a fait tant de mal ?

Certains pays durant le XXe siècle ont dû en passer par là, notamment l’Allemagne pour des raisons évidentes.

La première crise aiguë de l’automne 2008 aura été une occasion perdue pour entreprendre alors qu’il était encore temps les réformes nécessaires.

Mais ne jetons pas la pierre à ceux qui avaient les manettes.

C’est en effet peut-être trop demander aux mêmes hommes (et femmes, n’oublions pasChristine Lagarde) de gérer à la fois l’urgence et la prospective, d’installer des piliers de soutènement pour que la maison ne s’écroule pas et de dresser les plans pour construire un nouvel édifice à côté…

(Lord Keynes himself)

Ce qu’avait pu concevoir par exemple Keynes en 1940 quand, la déclaration de guerre à peine proclamée,il avait ouvert un séminaire monétaire qui pendant les années du conflit allait concevoir une partie des bases du système de Bretton Woods. Ne baissons pas les bras. Ce ne sont pas les idées qui manquent,mais la volonté.

Pour Jean Peyrelevade “il faut ramener la banque sur son métier et lui interdire de sortir de l’économie réelle et de participer aux jeux virtuel du casino de la finance”. Quant à Paul Jorion  il est aujourd’hui persuadé qu’il faut “interdire les paris sur les fluctuation de prix”. Mais ces mesures “out of the box” ne sont toujours pas à l’ordre du jour.Or pour Jean-François Serval, commissaire aux comptes et coauteur d’un essai sur “La Monnaievirtuelle” (3), “le temps qui passe donne l’occasion aux plus agiles de manoeuvrer et de prendre leur revanche des pertes subies sur les plus faibles”.

http://www.lenouveleconomiste.fr/a-la-une-the-big-one-4544/

philippe.plassart@nouveleconomiste

EN COMPLEMENT : Fin de l’Euro le scénario impensable par Jean-Pierre Robin

20/12/2010 |

Le retour au franc serait sanctionné par une perte de 10 % du PIB, obligeant l’État à un surcroît de rigueur. 

Il n’y a pas de plan B. Voilà ce qu’on répond imperturbablement à Bercy ou à la Banque de France, les deux institutions qui auraient à gérer un éventuel «éclatement de l’euro» et un retour au franc. «Un tel scénario n’est pas envisageable car il serait extrêmement destructeur de richesses et de bien-être. Le pire de tous», explique-t-on. À ce jour, un seul économiste de banque, Mark Cliffe, le responsable de la recherche d’ING Bank, a osé «quantifier l’impensable», selon ses propres termes, publiant un panorama chiffré et exhaustif des conséquences d’un retour général aux monnaies nationales. Il existe pourtant un précédent bien réel, celui de l’Argentine, qui, en décembre 2001, a décidé de rompre le lien de fixité absolue qui existait entre le peso et le dollar américain. Et, dans la foulée, Buenos Aires avait dû répudier sa dette souveraine, faute de pouvoir la rembourser après la dégringolade de 55% du peso. Partisans de l’euro et eurosceptiques prônant son abandon examinent actuellement avec une même attention la crise argentine, qui s’est soldée dès 2002 par une chute du PIB de 11%, une envolée du chômage à plus de 20% et un taux d’inflation de 40%. L’Europe pourrait-elle survivre à la disparition de sa monnaie?

• Avant même le big bang: l’euro tombe à 0,85 dollar

Une certitude, les marchés anticiperont l’éclatement de la monnaie européenne, avertit le professeur Jean-Jacques Rosa, eurosceptique convaincu. Dans son scénario, Mark Cliffe, l’économiste d’ING Bank, envisage un taux de 0,85 dollar. Un niveau quelque peu arbitraire mais qui ne relève pas du hasard: c’est pratiquement le taux auquel était tombée la monnaie unique à l’automne 2000.

• Une récession de 10% sur trois ans

Problèmes de logistique pour l’introduction des nouvelles monnaies, incertitude quant à leurs évolutions respectives, contrôles des capitaux au sein même de l’Europe: la défiance sera à son comble. «La faillite de Lehman Brothers aura été une promenade de santé en comparaison», ironise un trader. Dans le scénario d’ING, cela se traduit par un repli de 4% du PIB français la première année, et d’un peu plus de 10% en cumulé sur trois ans. Le choc sera à peine moindre en Allemagne. Du fait de la déprime européenne et de la remontée du dollar comme valeur refuge, les États-Unis devraient retomber en récession.

• Le chômage frappe 13,8% de la population active

Conséquence mécanique d’une dépression infiniment plus sévère que celle de 2008-2009, le taux de chômage bondira à 13,8% en France, à 12,5% outre-Rhin et à 25,5% en Espagne.

• La déflation fait tomber les taux d’intérêt et les salaires

La fin de la monnaie unique soumet le cœur de l’Europe et sa périphérie à des tensions encore plus violentes qu’aujourd’hui. Dans son scénario, Mark Cliffe considère que la déflation prévaudra en Allemagne, aux Pays-Bas et même en France avec pour conséquence une pression à la baisse des prix et des salaires, mais aussi une détente très marquée sur les taux d’intérêt à 10 ans des marchés financiers. Les rendements des Bund allemands et les OAT françaises tomberaient en deçà de 1%. En Grèce, en Espagne et en Italie, au contraire, le risque d’inflation prévaudrait, entraînant les taux de marché bien au-dessus de leurs niveaux actuels (6,6% en Italie).

• Le prix de l’essence s’envole à 1,75 euro le litre

Si l’euro à 0,85 dollar n’a rien d’inédit, le prix des carburants n’en atteindrait pas moins des niveaux sans précédent, de l’ordre de 1,75 euro pour le litre du super sans plomb, selon une source officielle de la profession pétrolière. La raison en est que le cours du baril de pétrole brut a plus que doublé entre 2000 et 2010.

• Le grand retour du contrôle des changes

Les souverainistes, qui font de l’abandon de l’euro une panacée à nos problèmes de compétitivité, le reconnaissent volontiers: «Les marchés financiers seront fermés pendant une semaine et les paiements internationaux seront contrôlés et suspendus pendant le temps nécessaire», selon un expert de ­Debout la République, le parti de Nicolas Dupont-Aignan. Ce gel, temporaire mais d’une durée indéterminée, des transactions financières constituera l’une des prin­cipales difficultés. Les prêts transfrontaliers des banques au sein de l’Europe représentent en effet quelque 9700 milliards de dollars, selon la Banque des règlements internationaux. Le contrôle des changes handicapera également les ­particuliers: en Argentine, le gouvernement avait dans un premier temps limité à 250 dollars les retraits hebdomadaires avant de les suspendre.

• Les débiteurs mieux traités que les épargnants

À quel taux seront converties les dettes et les créances qui étaient libellées en euros? Le ministère des Finances argentin avait choisi des taux de conversion différents lors de son processus de «pesoisation», rappelle Fernanda Nechio, économiste de la Banque de réserve fédérale de San Francisco, dans une étude de novembre dernier sur la crise argentine. Le taux de conversion était plus favorable pour les emprunteurs que pour les épargnants. Ce choix a dégradé le bilan des banques. Il a fallu ensuite les indemniser pour leur éviter la faillite. «La dépréciation (du peso) et les nouveaux emprunts pour aider le système bancaire avaient plus que doublé le poids de la dette publique en pourcentage du PIB à la fin de 2002», note Fernanda Nechio.

Alors que les deux tiers de la dette de l’État (1200 milliards d’euros) sont détenus par des investisseurs étrangers, la France serait lourdement pénalisée si le «nouveau franc» devait dégringoler par rapport à l’«ancien euro». Sauf à se déclarer en défaut vis-à-vis de ses créanciers, comme l’Argentine l’avait fait en 2002 (sur un montant de 82 milliards de dollars).

• L’abandon de l’euro sonne le glas de l’Europe?

Le traité de Lisbonne, ratifié en 2009 par les États de la zone euro, est explicite: «L’Union établit une union économique et monétaire dont la monnaie est l’euro.» En clair, le renoncement à la monnaie unique met fin à l’Union.

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Panem et circenses par Michel Santi

28-12-2010

En économie, la fin justifie-t-elle les moyens? En d’autres termes, suffit-il d’être cynique (là aussi?) et d’affirmer qu’il est bon de faire feu de tout bois tant que l’activité économique repart au risque d’ignorer décence et morale?  L’économie ne saurait se payer le luxe d’être amorale car elle virerait – et, de fait, elle vire – dès lors immédiatement en direction de l’immoralité. C’est ainsi que certains économistes et non des moindres (comme Paul Krugman entre autres…) estiment qu’à circonstances exceptionnelles remèdes d’exceptions et que la grave crise financière actuelle requiert de tolérer certaines mesures contestables si tant est qu’elles ont des retombées positives sur la croissance… Le pragmatisme exigerait ainsi de fermer les yeux et d’admettre que certains moyens pour le moins controversés puissent avoir des effets positifs et tant pis, ma foi, pour la morale qui s’en offusquerait

Après tout, les défenseurs de cette amoralité ne sont-ils pas confortés dans leur thèse par l’illustre exemple de la Grande Dépression ayant été éradiquée par le déclenchement de la deuxième guerre mondiale?

C’est ainsi que ces partisans d’un Keynésianisme forcené partent du principe qu’il est impératif aujourd’hui de consommer à outrance afin de relancer l’activité et ce même si cette dépense est superflue et nullement justifiée par les besoins individuels. Selon les ardents défenseurs de cette thèse n’ayant plus rien à voir avec les enseignements originels de Keynes, la dépense représente la solution ultime à nos maux et peu importe si cette richesse ainsi induite est l’effet collatéral de la destruction! La guerre serait donc moralement acceptable pour peu qu’elle aboutisse à la croissance… 

Dans un tel monde glacé, les statistiques économiques et autres Produits Intérieurs Bruts sont érigés au rang de divinités et la création de milliers de milliards de dollars virtuels est justifiée par le rétablissement totalement artificiel – et bien-sûr provisoire – de la croissance et de l’emploi. L’objectif étant d’instaurer une richesse purement et simplement en trompe l’œil, voire une illusion de richesse. Les générations futures n’auront qu’à rembourser nos excès d’aujourd’hui car seul l’instant présent compte en effet tout comme il est peu important de savoir à quoi l’on dépense tant que l’on consomme…

Employer des travailleurs pour combler les trous qu’ils ont préalablement creusés ou pour manufacturer des bombes qui pulvériseront des populations à l’autre bout du monde sont ainsi des solutions acceptables si elles réduisent le chômage et rétablissent le P.I.B…. Non: toutes choses ne sont pas égales et il est préférable de rester enlisé dans une récession que de devoir notre prospérité fallacieuse à des artifices immoraux.

source gestionsuisse.com 28dec2010

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1 réponse »

  1. Le pétrole a gagné plus de 12 % en 2010, à 80 dollars le baril en moyenne.

    Les cours du pétrole semblent bien partis pour terminer 2010 avec une hausse de plus de 12 % sur l’ensemble de l’année et un niveau moyen du baril de près de 80 dollars, ce qui serait la deuxième meilleure performance de tous les temps.

    Ces dernières semaines, l’or noir a enchaîné les plus hauts de plus de deux ans, à la faveur d’une reprise de la demande mondiale, des conditions météorologiques rigoureuses aux Etats-Unis et en Europe et du recul des stocks.

    http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/energie-environnement/actu/reuters_00310314-le-petrole-a-gagne-plus-de-12-en-2010-a-80-dollars-le-baril-en-moyenne.htm

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