Art de la guerre monétaire et économique

L’Edito : Un seul nuage, la hausse des taux par Bruno Bertez

L’Edito :  Un seul nuage, la hausse des taux par Bruno Bertez

  

    Nous reprendrons notre technique habituelle qui consiste pour vous inciter à nous lire et à venir de plus en plus nombreux fréquenter nos colonnes à utiliser l’entonnoir des marchés financiers.

 Les bourses d’actions restent haussières. Nous serions même tentés de dire « solidement haussières » tant elles donnent une impression de force.  Pour reprendre une expression à la mode, « elles ont des jambes ». La volatilité se réduit, le risque paraît faible. 

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source Zerohedge

PLUS DE BERTEZ EN SUIVANT :

L’observation de la courbe de l’indice S&P500 depuis 8 mois est édifiante. La hausse est continue avec des points hauts, de plus en plus hauts, et des points bas de plus en plus élevés. La pente haussière ne se dément pas. Les corrections sont de plus en plus réduites et limitées pour devenir, ces derniers temps, inexistantes. On ne peut même plus « acheter les creux », « buy the dips », il n’y en a plus.

 

source bespoke

Le marché est de plus en plus suracheté, les opérateurs de plus en plus « bullish » et pourtant, on n’arrive pas à corriger. Tout se passe comme si l’on consolidait en marchant, sans pause, sans recul. Tout se passe comme si l’on avait peur de briser le charme. Les petits sommets marginaux se succèdent, impressionnants par leur régularité. En termes de volatilité, on pourrait être tenté d’avancer un paradoxe : plus on monte, plus l’on devient cher et plus le risque semble se réduire ! 

« Le Tout dans des volumes d’échange extremement faibles « 

Ce n’est pas le fait du hasard. Cela résulte d’une politique, d’un pilotage habile, efficace et adapté. Un pilotage de professionnels. 

PoMo

source Zerohedge

Bernanke a opéré un superbe changement de pied. Après avoir expliqué que son money-printing, son fiat-printing, encore appelé Quantitative Easing, avait pour objectif de faire baisser les taux d’intérêt, il nous a affirmé que son objectif était rempli, puisqu’il avait réussi à faire monter… les actions (interview du 13 janvier 2011 sur CNBC).

 

 

Autrement dit,  si Bernanke considère ouvertement que le critère principal du succès de l’action de la Fed est la hausse des actions, on peut être assuré que cela va durer, que cela ne peut que continuer et s’amplifier. Tout sera fait en ce sens.

Jusque quand ? Jusqu’où ? Non pas jusque ce que les actions deviennent trop chères, cela ne veut rien dire, cela ne veut plus rien dire dans le monde actuel. Jusqu’à ce que l’emploi soit jugé satisfaisant. Peut-être jusqu’aux élections de 2012 par exemple. En tous cas, ce n’est pas demain la veille et tout le monde le sait.

Vous remarquerez que nous ne vous parlons pas de conjoncture économique, de chiffres d’affaires, de résultats de sociétés, de multiples cours/bénéfices. Pour expliquer et justifier la hausse, nous ne retenons qu’une seule chose, la volonté de la Fed et de Bernanke de favoriser la hausse des actions et de miser à fond sur l’effet de richesse.

Interrogé sur l’inflation, Bernanke est cohérent avec ses objectifs. L’inflation n’est pas un danger. C’est le problème de l’étranger. L’inflation est ailleurs, dans le reste du monde. Lui, en tant que patron de la Réserve Fédérale, n’attache d’importance qu’à la partie de l’inflation qui ne bouge pas, au core-rate. C’est à dire à l’inflation hors alimentation et énergie. Tant que la hausse du core-rate reste modérée, il n’y a pas officiellement d’inflation aux Etats-Unis.

 Comprenez par conséquent que les taux administrés, les taux directeurs de la Fed resteront voisins de zéro, que la politique monétaire restera hyper-accommodante, que le « put Bernanke » restera en place et que les marchés d’actions auront le feu vert pour monter  et « buller ». Ce qui est l’objectif.

Une petite digression sur ce feu vert pour « buller ». Notre thèse n’est pas nouvelle, elle date des années 2000. C’est tout à fait volontairement que la Fed fait des bulles. C’est le mode de gestion non dit, non formulé, mais secrètement accepté. On maintient ou relance, chaque fois que cela est nécessaire, le crédit  qui est indispensable à la croissance du GDP par des taux d’intérêt nuls ou quasi-nuls. Ce crédit va inflater, selon les périodes, ce qui est le plus favorable, Nasdaq, le logement, la finance-subprime, la finance gouvernementale, etc. Quand les limites de cette croissance du crédit sont atteintes, on monte les taux, la bulle éclate, la nécessaire destruction fait son œuvre, on nettoie, puis on repart pour un nouveau round. Une nouvelle hypertrophie financière.

La faille dans ce système, ou si l’on veut dans ce mode de gestion à la John Law, est apparue en 2000, lorsqu’on s’est aperçu que les banques, ou plutôt les banquiers, avec leur gourmandise, avaient fait la bêtise de garder le risque au lieu de le disséminer. Mais nous faisons le pari qu’avec l’expérience, cette fois, ils ne commettront pas les mêmes erreurs. Le risque sera repassé dans son entier au public.

Les actions sont en train de « buller ». Elles sont surévaluées d’au moins 40%, si l’on se base sur les méthodes historiques, coefficient « q » de Tobin par exemple, ou sur les méthodes normalisées comme le P/E de Shiller.

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 Mais cela n’a aucune importance ; du moins dans notre hypothèse de travail. Tant que la Fed conserve le contrôle des marchés, tant que les mécanismes de transmission jouent, tant que le champ des assets financiers reste continu et unifié. En bref, tant que l’on continue de croire que l’équation de la Fed, qui valorise les actions à partir des taux d’intérêt, reste valable. Nous ajoutons, pour être plus complets sur cette question, que le Système a fait un grand progrès quand il a intégré non seulement la gestion des taux d’intérêt dans la manipulation du prix des assets, mais en plus celle du risque. Les paroles, commentaires, analyses, promesses des gouverneurs de la Fed sont importants. Ils servent à gérer, à piloter le risque, à réduire, comme ils disent, la volatilité. Suivez mon regard sur le parcours du S&P500 depuis 7 mois. Un véritable sans faute.

L’objectif de la conjonction de la hausse des cours et de la réduction de la volatilité, c’est d’attirer le public. Il faut le séduire, il faut le faire venir sur les actions, il faut lui faire lâcher ses placements à risque faible pour des placements très risqués, mais à risques apparents, perçus, comme faibles.

Revenons à notre sujet principal, la hausse des marchés d’actions.

Nous partageons le consensus, la hausse va se poursuivre. Le flux des nouvelles économiques est positif, les bénéficies vont rester très élevés. Le marché américain va rester pendant quelques mois plus attrayant en termes relatifs que les autres marchés du reste du monde.

Notre objectif sur l’indice S&P500 est à 1370/1380 dans un premier temps ; puis à 1500 dans un second.

Les commentateurs et analystes sous-estiment l’impact psychologique qu’aura le retour aux niveaux du premier semestre 2008. Les marchés parlent ou plus exactement, on leur fait dire des choses. Ils diront en quelque sorte que la crise est terminée, que les gouvernants et les régulateurs ont réussi. Et l’emploi, nous direz-vous. Ne sous-estimez pas le pouvoir de l’illusion et de la propagande. Savez-vous qu’en janvier 2011, l’emploi total aux Etats-Unis était de 130,3 millions de personnes ? C’est exactement le chiffre que l’on avait atteint en octobre 1999 !

United States Employment in Millions (seasonally adjusted) 2001-2011.

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United States Total Non-Farm Payrolls in Millions (seasonally adjusted) 2001-2011.

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Et cela n’a pas empêché les hommes politiques, les économistes et les journalistes de proclamer de temps à autres que l’emploi repartait, qu’il s’améliorait. Plus il stagne, plus il progresse. Ou à l’inverse, plus il progresse, plus il stagne. C’est le jeu des fameuses corrections saisonnières, du fameux modèle « Birth and Death », des manipulations, des corrections rétrospectives, etc. Donc, ne nous faisons pas de souci pour l’emploi.

Le vrai danger, celui qui peut mettre à mal notre scénario, c’est celui des taux d’intérêt. D’abord, les taux longs ; ensuite, les taux courts.

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(cliquez sur les graphiques pour les agrandir)

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Source Dshort

 Le rendement du 10 ans américain est en très forte hausse. Il a cassé sa tendance baissière fin octobre 2010. Il est sorti par le haut du canal baissier de très long terme dans lequel il s’inscrivait. Il est passé au-dessus de sa moyenne mobile des 55 jours, puis au-dessus de celle des 200 et il est passé également au-dessus du seuil de résistance des 3,5%. Nous sommes entre 3,6 et 3,7%. Les 4% sont en ligne de mire.

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La Fed de New-York a beau concentrer au maximum ses achats sur les émissions récentes et très récentes, elle n’arrive pas à faire baisser les taux. On comprend le forcing de Bernanke pour créer une ambiance de maîtrise des déficits. On comprend l’attitude d’Obama qui, ces derniers jours, se montre plus rigoureux que les Républicains dans ses propositions de coupes budgétaires. L’enjeu de la manœuvre, ce sont les taux longs.

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Les taux très courts restent très bien maîtrisés avec des Treasury-Bills à 1 mois qui sont à 7 points de base et les 3 mois sont à 12 points de base. Aucun problème de ce côté. En revanche le Treasury-Note à 2 ans est 0,87%. On était à 0,32% début novembre. Le franchissement du seuil psychologique des 1% pourrait être perturbant. La hausse pourrait remonter le long de la courbe des taux courts et très courts. Cette hausse pourrait gêner l’action de la Fed, modifier les perceptions et, c’est le plus important, faire chuter la préférence pour la liquidité. Ce serait un sérieux risque pour l’édifice des mesures non-conventionnelles de la Banque Centrale.

Bruno Bertez 15 Fevrier 2011

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