L’immigration influence 10 fois plus l’immobilier que l’emploi par Emmanuel Garessus

Le problème majeur de l’immigration n’est nullement lié à ses effets sur l’emploi de la main- d’œuvre indigène. Est-il d’ailleurs économique? Plutôt que de liposucer la rhétorique pro ou anti- immigration, un diagnostic approfondi et une bonne dose d’esprit critique seraient les bienvenus…
PLUS/MOINS DIMMIGRATION EN SUIVANT :
Un nouveau dossier sur l’impact de l’immigration*, reprenant l’ensemble des travaux réalisés à ce jour, a précisément le mérite de remettre l’église au milieu du petit village de la recherche. Ce tour d’horizon de la littérature économique porte aussi bien sur les pays de l’Union européenne que sur les Etats-Unis. La population immigrée représente 7% du total de l’UE dans les deux régions, mais les politiques d’immigration sont complètement différentes. Les six conclusions suivantes peuvent être établies:
1. L’immigration n’exerce pratiquement aucun impact sur les salaires des employés locaux.
Les études montrent qu’une augmentation de 10% de la proportion d’immigrés au sein de la main-d’œuvre réduit de 1% les salaires des locaux. Contrairement aux idées reçues, même de fortes vagues d’immigration épargnent la main-d’œuvre locale. L’expérience de la France en 1962 avec des Algériens d’origine européenne en témoigne, ainsi que le pont aérien entre Cuba et Miami en 1980, ou encore l’immigration de Juifs russes en Israël dans les années 1990. En Allemagne, une étude de Brücker et Jahn datant de 2010 corrobore ces analyses: une augmentation de 1% de la main-d’œuvre du fait de l’immigration réduit les salaires de 0,1%. Les mêmes auteurs montrent que le même phénomène accroît le taux de chômage de 0,1%. L’Europe pourrait absorber cet afflux plus aisément, selon les chercheurs, si les gouvernements répondaient aux appels des économistes exigeant une flexibilisation accrue du marché du travail. Les syndicats sont donc appelés à revoir leurs modèles et à sortir de leur opposition à la libre circulation des personnes.
2. L’impact de l’immigration sur les prix de l’immobilier et les loyers est dix fois plus élevé que sur le marché du travail, selon l’étude.
Si cette relation a été démontrée empiriquement aux Etats-Unis, les économistes estiment que l’impact devrait être encore plus prononcé en Europe en raison des problèmes spatiaux rencontrés dans certains pays. Effectivement, une étude publiée en 2009 et consacrée à l’Espagne, où le tiers de la récente bulle immobilière est liée à l’immigration, observe le même impact qu’aux Etats-Unis.
3. L’influence de l’immigration sur les prix est ambiguë.
Pour certains économistes nourris à l’école keynésienne, l’augmentation de la population se traduit par une hausse de la demande et produit ainsi des pressions à court terme sur les prix. Pourtant l’analyse de l’immigration russe en Israël démolit cette vision des prix. Même à court terme, à l’arrivée des immigrés, les prix ont réagi à la baisse en raison de la forte sensibilité aux prix des nouveaux arrivants. D’autres analyses appuient cette approche. Aux Etats-Unis, un économiste a montré qu’une augmentation de 10% de la population immigrée peu qualifiée a réduit de 2% les prix de services particulièrement recherchés par ces personnes.
4. La convergence des salaires entre immigrés et locaux est un phénomène nettement plus marqué aux Etats-Unis qu’en Europe.
Outre-Atlantique, après quinze ans de présence dans le pays, les salaires des immigrés sont identiques à ceux des locaux. Ils les dépassent même après 30 ans, à condition d’avoir le même âge et le même niveau de formation. En Europe, selon des études portant sur les pays scandinaves, la convergence est un mythe. L’écart salarial se réduit avec le temps, mais ne disparaît jamais.
L’échec de l’intégration se traduit d’ailleurs par une forte proportion d’immigrés quittant leur pays hôte. En Suède, il est de 30 à 40% après cinq ans. D’autres travaux aboutissent au même phénomène en Allemagne.
5. La convergence progressive entre les taux de chômage des immigrés et des locaux est une réalité du marché américain et un objectif hors d’atteinte en Europe, où les écarts se sont même accrus ces dernières années.
Tout dépend naturellement du pays d’origine, de la raison de l’immigration et de l’intégration. David Cameron, le prometteur premier ministre britannique, n’a sans doute pas tort de souligner l’échec de l’approche «multiculturelle» de l’immigration. Une étude de 2010 portant sur les enfants d’immigrés montre qu’en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, la convergence ne s’est pas davantage réalisée avec la deuxième génération. Les résultats sont complètement différents aux Etats-Unis.
6. L’impact de l’immigration sur les finances publiques est incertain.
Les immigrés font davantage appel à l’Etat providence qu’un indigène, même si la situation diffère d’un pays à l’autre. Au Canada, un Etat plus restrictif et exigeant que d’autres, les immigrés reçoivent moins d’allocations chômage que les locaux et moins de subventions au logement. En revanche, au Danemark, les transferts sociaux représentent la principale source de revenu de 40% des immigrés et 8% des locaux. L’impact économique total sur les finances d’un pays reste néanmoins incertain et dépend fortement des hypothèses utilisées. Les études sont contradictoires et indiquent un résultat final légèrement positif ou légèrement négatif.
Les effets économiques de l’immigration sont intéressants. Mais les spécialistes se concentrent trop souvent sur le seul marché du travail. Leurs études souffrent aussi d’énormes lacunes statistiques. Pour des raisons politiques, les rapports officiels renoncent trop fréquemment à distinguer en fonction des pays d’origine et de la religion. En Allemagne par exemple, qui compte entre 6 et 7 millions d’immigrés musulmans, le rapport sur l’intégration reste volontairement vague. L’opacité est le cache-misère du «politiquement correct». Le présentateur du rapport a lui-même motivé ce refus de distinction entre les groupes d’immigrés pour éviter de soutenir une «argumentation culturelle». L’office allemand du travail n’indique pas davantage les bénéficiaires de l’aide sociale en fonction de leurs origines. Une étude récente a pourtant monté que 28% d’entre eux étaient issus de l’immigration. Ces obstacles politiques à la recherche économique empêchent de dépassionner le débat et d’adopter les politiques les plus adaptées.
* Economic Impacts of Immigration: a Survey; Sari Pekkala Kerr, William Kerr, National Bureau of Economic Research, Cambridge, Working Paper 16736, January 2011.
Par Emmanuel Garessus /le temps fev11
EN COMPLEMENT : Karen Horn «Exigeons des immigrés qu’ils soutiennent la démocratie libérale et notre Constitution»
Propos recueillis par Emmanuel Garessus
Karen Horn est une Genevoise ayant fait son doctorat à Lausanne qui vit et travaille en Allemagne. Economiste à l’institut privé IW, elle est également l’auteure de nombreux ouvrages, dont «Roads to Wisdom, a conversation with 10 Nobel Laureates in Economics» (Edward Elgar Publishing, 2009) et «Die soziale Marktwirtschaft» (Ed. Frankfurter Allgemeine, 2010)
– L’Allemagne est aussi confrontée au problème de l’immigration musulmane. Thilo Sarrazin (ex-Bundesbank) y a répondu par un livre qui a fait scandale. Quelle serait votre solution à ce sujet?
– Le débat porte sur deux aspects, le premier sur la nécessité d’une main-d’œuvre qualifiée déjà rare et par conséquent d’une ouverture des frontières, le second sur le manque d’intégration et le risque de choc des cultures. Il n’est pas aisé de résoudre les deux problèmes parallèlement. L’immigration doit continuer, mais avec un système de points comme au Canada qui tient compte des qualifications. Le manque d’intégration, d’autre part, est la conséquence du fait que de nombreuses personnes qui vivent en Allemagne depuis deux générations ont profité de la possibilité de faire suivre leurs familles étendues, sans tenir compte de leurs moyens ni de leurs qualifications. Beaucoup d’entre eux refusent de s’intégrer à la culture et au marché du travail. Ces personnes-là s’enferment dans des sociétés parallèles, elles dépendent de la générosité du système social sans y contribuer. Sur l’intégration, Thilo Sarrazin a proposé différentes mesures que je soutiens comme raisonnables et réalistes, des mesures qui refléteront la culture d’exigence qu’il faut développer. Nous pouvons donner aux immigrants, mais nous avons aussi le droit exiger d’eux qu’ils soutiennent la démocratie libérale et notre Constitution, qu’ils apprennent la langue, qu’ils laissent leurs enfants aller à l’école, qu’ils travaillent pour gagner leur vie et ne vivent pas seulement de nos impôts et subventions. J’encourage tous les efforts en direction d’un tel esprit de club.
– Jusqu’où l’Etat peut exiger une action particulière des individus contre leur volonté?
– La question touche aux principes du libéralisme. J’approuve la culture d’exigence proposée par Thilo Sarrazin s’il s’agit d’une condition à l’entrée et non un acte décidé a posteriori, lequel serait antilibéral.
– Vous êtes l’une des figures marquantes du libéralisme allemand. Comment se porte ce type d’idées en Allemagne?
– L’Allemagne n’a jamais eu une culture libérale très profonde. On considère comme importante la liberté, mais pas davantage que d’autres valeurs comme la justice sociale ou l’égalité. A la chute du Mur en 1989, les Allemands étaient davantage portés sur la liberté individuelle, observant le combat qu’il a fallu livrer contre le totalitarisme. C’est malheureusement humain: une fois présent, l’objet de nos désirs les plus ardents nous intéresse moins. Aujourd’hui, les Allemands sont formellement libres et portent alors leur attention sur les libertés matérielles, comme le salaire minimum, la retraite anticipée, etc. Ils emploient ainsi une définition opposée au vrai concept libéral qui est concentré sur l’absence de coercition, notamment par l’Etat. L’évolution que traverse l’Allemagne est fréquente. Il semble qu’il faille que la liberté soit gravement menacée pour qu’on la chérisse à nouveau. Les gens sont peu conscients des petites pertes de liberté quotidiennes (fiscalité excessive, quota féminin imposé, absence de choix scolaire).
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La Suisse souffre d’un cruel manque de personnel qualifié
Par Bastien Buss/le temps
La Suisse devra faire face ces prochaines années à une pénurie de plusieurs dizaines de milliers de collaborateurs spécialisés
Un mal plus sournois que la force du franc pourrait mettre sous pression l’économie suisse. Si ses premiers effets se font déjà ressentir dans nombre de secteurs privés, il va encore s’aggraver dans les années à venir. En cause? Le manque, voire la pénurie, de main-d’œuvre qualifiée.
«Ce phénomène, accentué encore par la reprise conjoncturelle, n’est pas uniquement cantonné à quelques activités mais déploie ses conséquences dans un florilège de branches», explique Urs Schüpbach, directeur général de Manpower Suisse. «Des entreprises doivent renoncer à des contrats ou des mandats étant donné qu’elles souffrent déjà d’une surcharge de travail. Partout, les heures supplémentaires s’accumulent dangereusement», détaille Mario Marti, directeur de l’Union suisse des sociétés d’ingénieurs-conseils (USIC).
Selon les spécialistes, la Suisse n’a pas un réservoir de talents suffisant et doit se donner encore mieux les moyens d’attirer des ressortissants étrangers. Ce qui passe entre autres par la mise en place de conditions-cadres plus souples pour le recrutement. Mais ce n’est pas tout. «L’augmentation du volume du travail des femmes ne peut pas compenser ce phénomène à elle seule. S’en remettre seulement à une augmentation de l’immigration de main-d’œuvre spécialisée est également trop risqué. La formation de nouveaux talents au niveau académique devrait devenir la toute première priorité. C’est un immense défi pour le pays», estime Andrew Chapman, responsable des conseils en ressources humaines auprès de PwC.
Même l’Office fédéral de la statistique, pourtant peu connu pour ses positions tranchées, y est allé de sa mise en garde: il prévoit un manque de main-d’œuvre pour les prochaines décennies en raison du vieillissement de la population et du faible taux de natalité. Désormais, même des professions nécessitant moins de qualifications semblent aux abois (15 000 à 25 000 chauffeurs poids lourd manqueront à l’avenir au vu de la croissance du trafic).
Radiographie des branches affectées:
Machines
«Notre secteur est à la recherche de nombreux employés spécialisés à tous les niveaux de nos activités. De l’apprenti aux postes les plus qualifiés, nécessitant une grande expérience», explique Ivo Zimmermann, porte-parole de Swissmem, association faîtière de l’industrie suisses des machines, des équipements électriques et des métaux (industrie MEM). Si le besoin n’est pas chiffré, la branche, qui emploie 330 000 collaborateurs, admet qu’elle peine notamment à recruter les jeunes, ces derniers préférant emprunter des filières considérées comme plus prestigieuses. Ainsi, 7% des places d’apprentissage proposées l’an passé n’ont pas trouvé preneur.
Banque
Grâce au redressement des marchés et de l’économie, le secteur financier recrute à nouveau à tour de bras. Mais il ne parvient pas à combler ses besoins. D’où une certaine surchauffe salariale. «Les banques n’arrivent pas à embaucher comme elles le souhaiteraient. Notamment dans les fonctions hautement qualifiées: banque privée ou les fonctions liées à la régulation», analyse Denise Chervet, secrétaire centrale de l’Association suisse des employés de banques (ASEB). A tel point qu’au moins deux banques privées genevoises envisagent de recruter des vendeurs de… voitures, pour leurs compétences relationnelles, alors que le back-office s’occuperait, lui, des aspects techniques.
Technologies de l’information
D’après les estimations l’association Formation professionnelle ICT Suisse, 32 000 postes resteront vacants dans les branches des technologies de l’information et de la communication (TIC) en 2017. Ce secteur, qui représente 5% du produit intérieur brut, a pourtant déjà augmenté ses effectifs en moyenne de 5% entre 2002 et 2009. «Ces prévisions montrent que sans contre-mesures concertées de la part du monde politique, de l’économie et des administrations, un manque dramatique de personnel qualifié se fera sentir d’ici à cette échéance», note Andreas Kaelin, président de l’association, qui souligne pourtant le niveau attractif des rémunérations dans la branche en comparaison sectorielle.
Chimie
«Notre branche ne trouve pas en Suisse les employés dont elle aurait un cruel besoin», témoigne Marcel Sennhauser, porte-parole de SGCI, l’association faîtière de l’industrie chimique. Lequel précise que plusieurs centaines de spécialistes manquent à l’appel. La libre circulation des personnes n’a pas atténué le phénomène. La branche, employant 71 000 personnes en Suisse, a lancé différentes initiatives de promotions et de soutien aux filières de formation.
Microtechnique
De l’avis d’Yves Leuzinger, directeur d’hepia, haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève, quelque 27 000 ingénieurs tous métiers confondus feront défaut en 2025. Cette carence touchera principalement la microtechnique, le génie mécanique et l’informatique.
Construction
Grâce aux conditions météorologiques favorables, les chantiers ont tourné à plein régime en ce début d’année. Dans un secteur qui fait énormément appel à la main-d’œuvre étrangère, cette clémence du ciel n’est pas allée sans poser des problèmes de recrutement. «Nous avons fait venir avec trois mois d’avance sur le calendrier environ 80 ouvriers du Portugal», témoigne Urs Schüpbach, directeur général de Manpower Suisse.
Gros œuvre
«On observe une pénurie de manière générale, mais celle-ci concerne plus particulièrement les chefs de chantier, les contremaîtres et le personnel spécialisé tels les grutiers et les machinistes. Les qualifications requises dans ce secteur sont de plus en plus exigeantes», explique Evelyne Baumgartner, secrétaire générale de l’antenne genevoise de la Société suisse des entrepreneurs (SSE). A noter que ce secteur recense chaque année des places d’apprentissage vacantes.
Ingénieurs-conseils
Selon l’Union suisse des sociétés d’ingénieurs-conseils (USIC), actifs dans la construction, il manquait déjà 3000 à 6000 ingénieurs en Suisse en 2010. «Un chiffre identique est à déplorer pour cette année», selon Mario Marti, directeur de l’association.