Art de la guerre monétaire et économique

De l’utilisation et des conséquences systémiques du mensonge politique par Harold James

De l’utilisation et des conséquences systémiques du mensonge politique par Harold James

Les dissimulations se justifient souvent par les intérêts supérieurs dans la tradition machiavélienne de l’art politique

   Le ministre allemand de la défense Karl-Theodor zu Guttenberg devait-il dire la vérité concernant le plagiat massif qui entache sa thèse de doctorat, ou bien le mensonge peut-il être justifié par le fait qu’il occupe un poste gouvernemental important? L’invasion de l’Irak de Saddam Hussein par les États-Unis en 2003 était-elle illégitime parce que fondée sur un mensonge autour de l’existence d’armes de destruction massive? Était-ce justifié pour les conservateurs américains anti-avortement d’envoyer des acteurs racontant une fausse histoire dans les bureaux du planning familial pour discréditer leurs adversaires?

La variante économique du machiavélisme est aussi puissante que l’idée qui prétend que le mensonge politique peut être vertueux. Mentir ou masquer la vérité peut, semble-t-il, en certaines circonstances, améliorer le sort des gens. La tromperie pourrait être source de réconfort. Nous pourrions nous sentir au chaud et heureux dans un cocon de mensonge.

PLUS/MOINS DE MENSONGE EN SUIVANT :

L’un des exemples les plus fameux est la Grande Dépression – une époque à laquelle les politiciens ont souvent fait référence pour essayer de comprendre la crise financière post-2007. Au début des années 30, de nombreux pays ont connu de terribles paniques bancaires qui ont entrainé des dommages immenses et immédiats, décimant l’emploi par l’effondrement d’entreprises qui étaient fondamentalement solvables.

Il y a eu une exception à cette grande histoire de paniques bancaires de l’ère de la Dépression: l’Italie, où le gouvernement fasciste de Mussolini contrôlait la presse, y compris la presse financière. Bien que les plus grandes banques italiennes aient été fondées sur le même modèle que les banques allemandes et autrichiennes dont l’effondrement a déclenché la conflagration globale, et malgré le fait qu’elles aient été tout aussi insolvables, la presse italienne n’a jamais fait état de ces désagréables problèmes. Le journalisme financier était rassurant. Il n’y avait pas de panique bancaire et la dépression fut plus douce.

Dans la mesure où la confiance joue une part importante dans les crises financières, l’exemple mussolinien a immédiatement pris racine. Les états pouvaient apparemment presque comme par enchantement créer de la sécurité et de la confiance simplement en les imposant. Adolf Hitler aimait à dire que la raison fondamentale de la stabilité du Reichsmark était les camps de concentration.

La duperie comporte un caractère instantanément attrayant pour de nombreuses entreprises privées. Ne serait-il pas souhaitable de simplement masquer les pertes jusqu’à ce que la période d’incertitude soit passée et la confiance revenue? Dans ce cas, les nouveaux profits pourront rapidement être utilisés pour boucher les trous et personne ne se rendrait compte d’une fraude réussie.

Les gouvernements modernes aussi ont toujours été attirés par l’idée de masquer la vérité. Ils anticipent les revenus de manière à paraître solvables. Ils réaffectent l’emprunt étranger en tant que dette intérieure de manière à améliorer leur position dans les statistiques du Fonds Monétaire International.

Il est illégal pour les entreprises privées de procéder à de fausses déclarations financières. La plupart des gens peuvent facilement comprendre pourquoi. L’application légale de l’honnêteté dans les comptes et les déclarations financières est une caractéristique indispensable d’une économie de marché qui fonctionne bien. Il y aurait une perte totale de confiance sans un degré de certitude quant au sérieux des déclarations financières.

Mais la malhonnêteté gouvernementale n’est pas si différente. Les escroqueries, lorsqu’elles sont révélées et les mensonges démêlés, sont profondément déstabilisantes. En effet, les fausses déclarations des gouvernements – motivées par la conviction que l’ingéniosité politique peut stabiliser les attentes – sont en fait à l’origine de nombreuses crises financières.

En 1994, le Mexique a fait trembler l’économie globale lorsque l’étendue de sa dette intérieure (ibellée en dollars) dans les fameux tessobonos est apparue au grand jour.

Les fausses déclarations du gouvernement grec au sujet de sa situation budgétaire, et le fait que l’on se soit rendu compte que la Commission Européenne avait occulté ou toléré le tour de passe-passe comptable des Grecs, a déclenché la crise de l’euro en 2010.

 Lorsque la supercherie est révélée, il devient impossible de croire que les gouvernements font réellement appliquer les règles de manière appropriée et juste.

Mais les fraudes ne sont pas uniquement au cœur des crises financières et économiques; elles sont aussi le moteur des révolutions. Le principal déclencheur des manifestations contre le président Zine al-Abidine Ben Ali en Tunisie fut la révélation par WikiLeaks des câbles diplomatiques détaillant la corruption du régime. L’effet domino produit par la révolution tunisienne a révélé d’autres histoires frappantes de corruption et de fraudes, de l’Égypte à la Libye jusque dans le Golfe Persique – et à chaque fois la colère s’amplifie, fragilisant un nombre croissant de régimes.

Il y a un argument pragmatique puissant contre le machiavélisme, ainsi qu’un de principe. Compte tenu des modes de communications modernes, le genre de dissimulation mise en place par Mussolini en 1931 serait improbable aujourd’hui. En outre, toute tentative de procéder à de fausses déclarations entraine encore plus de fausses déclarations, lesquelles entrainent de sérieuses conséquences dans la mesure où les décisions subséquentes finissent par être fondées sur des hypothèses erronées.

Pour revenir à l’exemple de la période de dépression en Italie: le montage de holdings d’état créé pour sauver les banques et maintenir la confiance se sont avérées être un fardeau de plus en plus bureaucratique et coûteux pour l’économie italienne. Un monstre presque indestructible a survécu au régime de Mussolini et ce pendant près de 50 ans.

Les marchés fonctionnent grâce à un processus ininterrompu de révélations d’informations. Asphyxier ce flux d’informations crée une forme de perversion, et non de la confiance. Et, ainsi que nous le voyons au Moyen-Orient, la même chose est vraie des systèmes politiques. Malgré cela, aucune crise économique ou révolution politique ne pourra changer quoique ce soit à l’apparente propension des gouvernements à penser qu’ils savent mieux que les autres.

Harold James  Princeton et European University Institute de Florence mars2011

source project syndicate mars11

Laisser un commentaire