Art de la guerre monétaire et économique

L’Edito : Le monde réel est un monde de risques par Bruno Bertez

L’Edito :  Le monde réel est un monde de risques par Bruno Bertez

 

Nous avons scrupule à écrire à usage financier en cette période dramatique. Nous nous autorisons cependant à le faire dans la mesure où nous avons développé au fil des semaines l’idée que le financier n’était qu’un discours de surface et que, fondamentalement, il recouvrait des choses beaucoup plus importantes, beaucoup plus réelles, comme la politique, l’économie et le social. Derrière la finance, il y a le monde et il y a des hommes. 

Les événements qui se produisent actuellement dans le monde nous donnent malheureusement raison. Tout se passe comme si le réel, l’humain, après avoir été longtemps chassé par les abstractions, par les chiffres, par les théories et donc par les marchés, faisaient irruption, se réintroduisaient dramatiquement.

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 La crise de 2007/2008 constituait déjà un phénomène du même genre dans la mesure où le surendettement indiquait clairement que l’on s’était écarté du réel. Les mauvais choix qui ont été faits en 2008, choix de fuite en avant, ont empêché le phénomène de correction de se développer. Au lieu d’avoir une réconciliation entre la sphère des marchés et la sphère du réel, on a tout fait, sous la conduite des Etats-Unis, pour que cette réconciliation n’ait pas lieu. On a tout fait pour prolonger ce que nous appelons la névrose financière au lieu de tenter de la soigner. Au lieu de tenter de corriger les problèmes et les déséquilibres du monde réel sous-jacent. Comme nous l’avons dit en son temps, on a séparé encore plus le discours, de la vie, on a encore plus séparé l’ombre, du corps.

 

L’une des armes utilisées par les gouvernements et surtout les Banques Centrales, lesquelles,  soulignons-le en passant, se substituent maintenant aux gouvernements, l’une des armes, c’est la manipulation de la monnaie, de la finance, de la dette. Monnaie, finance et dette recouvrent sous une apparente diversité la même réalité puisqu’il n’est maintenant de monnaie que de crédit. La monnaie n’est rien d’autre dans nos systèmes que contrepartie de dette.

On s’est beaucoup attaché à l’aspect quantitatif, aux quantités de monnaie, aux taux d’intérêt, etc. Mais l’un des éléments les plus importants, passé sous silence, est la manipulation du risque. En fait, la plus grande découverte des 25 dernières années, celle dont on ne parle pas bien entendu, celle qui est efficace parce qu’elle est bien cachée, c’est la découverte que l’on pouvait manipuler la perception des risques. Cette manipulation du risque est bien plus importante que celle du coût du capital ou de la dette. Elle paralyse l’esprit critique, fausse tous les jugements. Elle pervertit tous les choix et, symétriquement, elle autorise toutes les imprudences. Il faut y insister : la manipulation des perceptions du risque est responsable de toutes les imprudences du système. Et c’est là où nous voulons en venir.

 

Il n’est pas du tout artificiel  de considérer qu’il y a un point commun dans ce qui se passe dans le monde global actuellement. Ce point commun est abstrait, mais il s’agit d’une abstraction utile. C’est à dire d’une abstraction qui permet de comprendre la situation et non pas de la masquer. Cette abstraction, c’est le risque. Le risque revient, sous toutes ses formes.  Il est en train de se manifester un peu partout. De façons très diverses. Tellement diverses que l’on croit  finalement que ce qui apparaît est disparate et qu’il n’y a aucune logique commune à l’œuvre. 

Que ce soit par les guerres, par les révoltes, par les répressions, par les catastrophes naturelles, par les sinistres nucléaires, le risque se réintroduit dans nos systèmes. Dans notre vie quotidienne. Il nous rappelle que nous ne sommes pas tout puissants, que nous ne maîtrisons pas tout. Et c’est ce sur quoi nous voulons insister. Le risque existe, ce n’est pas un chiffre, une probabilité, il est partout. Il est autour de nous et les Pouvoirs qui le dissimulent, qui le faussent ou même  qui le nient, sont coupables. Ils sont coupables et responsables dans la mesure où ils empêchent les adaptations et les prises en compte nécessaires. C’est en ce sens que le comportement des gouvernants et des élites modernes est critiquable ; c’est parce qu’ils empêchent une appréciation correcte des situations et des risques qu’elles comportent et que, ce faisant, ils augmentent les dangers qu’ils font subir aux populations, aux citoyens et aux agents économiques. 

Nous voudrions compléter l’analyse ci-dessus à deux niveaux.

 Premièrement, au niveau de l’énergie.

 Dès lors que vous ouvrez les yeux, vous vous apercevez que ce qui est en jeu, ce qui est en cause, c’est la lutte pour l’accès à l’énergie. Cela est évident, s’agissant des troubles dans les pays pétroliers. L’ordre américain qui s’appuie sur les dictatures, cet ordre qui leur  permet un accès à l’énergie pas chère est contesté. Il est contesté à la fois par les populations et par les pays stratégiquement concurrents. 

 

S’agissant du nucléaire, l’analyse n’est pas très différente. Le nucléaire n’est qu’un avatar du pétrolier. Face à la rareté de l’énergie, certains pays cherchent à réduire leur dépendance et leurs coûts. Ce faisant, ils investissent dans des projets destinés à améliorer leur autonomie, mais au prix de prises de risque considérables.  Ils le font à la faveur de taux d’intérêt très bas permis par la dérive du système financier et à la faveur de ce que nous avons expliqué plus haut, la négation du facteur risque. Ils le font en sacrifiant peut-être la sécurité de leur population, mais aussi, qui sait, celle des populations voisines. 

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Ce qui se produit actuellement en matière nucléaire peut être considéré comme une sorte de choc pétrolier dans une optique de long terme. En effet, d’un seul coup, la réintroduction du risque va conduire à la raréfaction des nouveaux projets et à leur renchérissement. C’est tout un pan de l’offre d’énergie qui va soit disparaître, soit devenir plus cher. Le nucléaire ne représente que 6 à 8% des besoins en énergie, mais la moyenne est trompeuse. Des pays comme le Japon ou la France sont beaucoup plus dépendants que les moyennes mondiales. Par ailleurs, tous les usages de l’énergie ne sont pas interchangeables. L’énergie en consommation fixe sédentaire n’est pas forcément substituable et réciproquement à celle qui est utilisée dans les transports. Tout ceci pour dire que le choc énergétique qui va être ressenti va certainement être beaucoup plus important que ce que la proportion du nucléaire dans la consommation globale suggérerait. 

Deuxièmement, au niveau de la finance et surtout du système monétaire international.

On a coutume de présenter les problèmes de la finance et du système monétaire international par le petit bout de la lorgnette. C’est une mystification bien entendu. Les problèmes du système monétaire international sont géopolitiques.  Ce que nous venons d’expliquer ci-dessus, à savoir le retour du risque, le choc énergétique, la rareté des ressources, devrait permettre de le comprendre plus clairement. 

Le système actuel  permet non seulement de masquer les problèmes, mais également de détourner l’attention de ce qui est le plus important : c’est un système injuste et inégalitaire.

Il permet au bloc américain de créer toute la monnaie dont il a besoin, c’est à dire du pouvoir d’achat mondial pour acheter toute l’énergie, toutes les ressources qui sont nécessaires

1) à sa prééminence militaire

 2) à sa domination financière

3) au maintien de son rang économique. Le pouvoir d’émettre des dollars, de les imposer, de faire en sorte que certains les mettent en réserve, c’est symétriquement le pouvoir d’attirer à soi, de s’octroyer des ressources réelles que l’on ne pourrait pas s’offrir si l’on devait proportionner son pouvoir d’achat à ses ressources, c’est à dire à sa propre production de richesse.

Le système monétaire international est géopolitiquement intenable car face à la rareté des ressources, en particulier en énergie, mais aussi maintenant en denrées alimentaires, il donne à une partie du monde la possibilité de s’octroyer la part du lion. 

Nous avons en son temps, si nos souvenirs sont exacts, à l’occasion de la divulgation des révélations de Wikileaks, soutenu l’idée que ce qui était important, ce n’était pas le contenu des révélations, mais le coup fantastique qui était porté à la crédibilité des gouvernements. La révélation de leur double langage, de leurs manipulations, nous paraissait beaucoup plus importante que le fait de connaître telle ou telle anecdote croustillante de la diplomatie. Ce qui compte, systémiquement  parlant, c’est la prise de conscience du fait que la parole des Pouvoirs en place est trompeuse. Wikileaks, dans une certaine mesure, favorise l’éveil des consciences politiques. Elle leur fait comprendre que le discours du Pouvoir a pour but non pas d’éclairer les peuples et les citoyens, mais au contraire de faire en sorte qu’ils acceptent sans contestation les pseudo-vérités qui leur sont assénées.

 Nous retombons par hasard dans nos notes sur la phrase de Bernanke prononcée le 28 mars 2007. Il  nous disait que le problème des subprimes était mineur et que ses effets seraient contenus. Voici la citation exacte : « the impact on the broader economy and financial markets of the problems in the subprime market seams likely to be contained ».

Nous ne pouvons pas nous empêcher de faire le rapprochement avec ce que l’on nous dit maintenant sur les problèmes nucléaires. Ils ne sont pas plus contenus que le problème des subprimes ne l’était. Personne n’est initié. Personne n’en sait rien. Personne ne devrait avoir le droit de faire semblant de savoir. En matière de système monétaire international, la situation n’est malheureusement pas très différente de celle que nous connaissons maintenant en matière nucléaire. Personne ne sait. Nous sommes dans une expérimentation, ce que nous appelons souvent The Great Experiment. Les monnaies, les papiers, les actifs financiers en général, ne sont acceptés que parce que derrière il y a des Pouvoirs. Et ces Pouvoirs prétendent savoir. Ils prétendent savoir tout un ensemble de choses sur lesquelles ils n’ont aucune expérience. Sur lesquelles l’histoire ne leur sert d’aucun guide. Ils prétendent le faire à partir de théories qui, au fil des ans, se révèlent fausses. Et ils le font à partir de manipulations, de propagandes, voire de mensonges. 

Risques politiques, risques de catastrophes naturelles, risques nucléaires, tout converge, à l’échelle de l’histoire, vers des risques financiers considérables auxquels personne n’est préparé.

 Bruno Bertez 15 mars 2011

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3 réponses »

  1. les américains abusent de leur position dominante en imprimant autant de dollars qu’ils le jugent utile ,cette phase va se terminer quand ils auront détruit le système et par la même occasion le capitalisme financier.. c’est en cours …combien de temps, ça peut prendre du temps ou pas mais ça se fera…..
    pour l’énergie il y a des risques et des contraintes…. si vous ne voulez pas du nucléaire, si vous n’avez pas de pétrole ni de gaz si vous ne voulez pas de shale gas ou de pétrole non conventionnel si votre énergie blanche est au maximum,si le charbon est refusé, si l’Etat n’a pas les moyens de subventionner massivement les installation solaires bien trop chères et les éoliennes intermittentes et pas nécessairement disponibles face au besoins du moment QUE FAIT ON? c’est cela le réel….un choix est à faire entre différentes mauvaises solutions et face à chaque choix ,il faut clairement définir les conséquences pour la vie de tous les jours leurs conséquence en termes de niveau de vie d’emplois …. dire que l’on peut se passer du nucléaire en France et raconter que des emplois verts suppléeront aux conséquences de ce choix est mensonger .Vous avez fait l’apologie de ces faux emplois verts avec la reproduction de l’article de l’institut Constant de Rebecque
    Le principe de précaution certes en employant toutes les précautions possibles ,le risque Zéro ça n’existe que chez les Bisounours

  2. J’apprecie votre commentaires et je dois dire que je partage votre opinion en particulier sur l’aspect des choix que l’on doit faire sous contrainte
    je partage egalement votre rejet de l’illusion des emplois verts; ce que l’on voit aux Etats Unis dans ce domaine est lamentable en particulier dans l’Illinois
    je crois qu’il faut toujours prendre soin quand on parle d’emplois de preciser emplois productifs
    enfin je precise clairement que ce que l’article stigmatise ce n’est absolument pas la prise de risques mais d’abord la dissimulation de ces risques ensuite la manipulation des instruments de mesure du risque et enfin la propagande destinee a fausser les jugements

  3. – Emprunt à 12 mois :

    Mercredi 2 mars 2011, le Portugal avait lancé un emprunt à 12 mois : le Portugal avait dû payer un taux d’intérêt de 4,057 %.
    Mercredi 16 mars 2011, le Portugal a dû payer un taux d’intérêt de 4,331 %.

    Le Portugal au bord de la crise politique et financière.

    Le Portugal, qui a encore vu ses coûts d’emprunt augmenter, mercredi, au lendemain de la dégradation de sa note souveraine par Moody’s, pourrait bientôt être le théâtre d’élections anticipées. Ce qui impliquerait inévitablement un sauvetage financier.

    Tout se précipite au Portugal. En l’espace de quelques heures mardi soir, le Premier ministre José Socrates évoquait la possibilité d’élections anticipées, et l’agence de notation Moody’s abaissait de deux crans la note souveraine du pays, à A3, le tout sur fonds de doutes persistants sur la capacité du pays à continuer à se financer sur les marchés.

    http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/finance-marches/actu/0201228169953-le-portugal-au-bord-de-la-crise-politique-et-financiere.htm

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