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Entretien genevois avec Marc « Super »Faber alias « Dr Doom »

Entretien genevois avec Marc « Super »Faber alias « Dr Doom » 

Marc Faber. Le gourou de la finance était avant hier à Genève

 

Ses oracles sont parmi les plus écoutés. En marge des 25 ans de Julius Baer à Genève, dont il était l’invité, Marc Faber a livré son point de vue sur plusieurs thèmes d’actualité. A commencer par le Japon: ses prévisions économiques n’ont pas été ébranlées par le récent tremblement de terre et la catastrophe en cours.

ENTRETIEN

PLUS DE FABER EN SUIVANT :

L’avenir du Japon par le «Dr Doom»

II estime que le séisme accélérera l’arrivée de l’inflation nippone.

A peine quelques jours avant le tremblement de terre, vous réaffirmiez qu’il fallait investir sur le marché nippon.La catastrophe change-t-elle votre position à terme sur le Japon?

Non. Mes arguments pour investir au Japon étaient les suivants:

l’indice Nikkei est passé de 39.000 points en 1989 à 7000 points en mars 2009. Or, après 20 ans d’atonie, le marché descend rarement près de zéro. La probabilité augmente donc qu’à un certain stade, un redressement se produise. Et à mon avis, dans le cas du Japon, il est nécessaire pour cela que le cash et les obligations deviennent peu attrayants. Car l’argent se déplacera alors vers les actions. Avec le tremblement de terre et le drame actuel, je pense que ce changement arrivera plus tôt que tard.

Pourquoi?

Pour la simple raison qu’économiquement, vous ne pouvez pas dire que les destructions qui découlentd’un séisme de cette ampleur sont positives. Vous devez tout reconstruire, et lorsque vous l’avez fait, vous revenez au même niveau qu’avant la catastrophe. Economiquement, cela repose avant davantage d’acuité la question de savoir comment financer les dépenses de reconstruction.Le gouvernement devra inexorablement financer cet effort par des rapatriements de fonds ou par l’intervention des assurances, ou en imprimant de la monnaie.  Or le yen était déjà très fort. Je ne pense alors pas que, dans la situation actuelle, il serait souhaitable pour le gouvernement japonais que la devise se renforce davantage avec des rapatriements de fonds. C’est la raison pour laquelleils imprimeront de la monnaie, ce qui augmentera les dépenses et diminuera ainsi plus rapidement l’attractivité des obligations souveraines.

Entraînant ainsi ce mouvement des investisseurs vers les actions. Mais actuellement, la meilleure attitude est de rester assis dans son fauteuil et attendre en regardant le marché: le Nikkei a perdu plus de 6% aujourd’hui et en perdra peut-être encore six autres demain. Je ne crois pas qu’il franchira toutefois le plus bas atteint en 2009.

source Bespoke

Il y a quelques années, un officiel japonais déclarait, sur un ton provocateur, que le Japon avait besoin d’un tremblement de terre pour que son économie se réanime.

La Seconde Guerre mondiale a ravagé l’Allemagne et, ensuite, les plans de reconstruction ont donné un élan à l’économie. Mais d’une manière générale, je crois que l’Allemagne se serait mieux portée sans guerre du tout, non?

Si je brûle cet hôtel ou que je détruis Genève, vous pourrez évidemment prétendre relancer l’économie grâce à la reconstruction. En somme, un tremblement de terre peut certes doper certains secteurs tels que la construction, le ciment, mais cela n’améliore pas la prospérité japonaise en soi.

 Vous savez, je trouve extrêmement pénible que constater que tous les milieux financiers  parlent du Japon en réfléchissant sur les moyens de gagner de l’argent sur une telle tragédie humaine. Ce dont le pays a désormais besoin, c’est une vague d’inflation. Et cette inflation arrivera peut-être plus rapidement après ce tremblement de terre.

«Trop de banques dans le monde»

L’actualité internationale n’est pas rassurante pour consolider une reprise mondiale. Quel est votre point de vue?

Les investisseurs doivent avoir maintenant à l’esprit que plus la situation sera grave, plus les Américains auront d’excuses pour lancer un QE3, QE4, etc. Oncle Ben imprimera davantage d’argent! Par rapport à cela, les actions deviendront de plus en plus attrayantes. Sur le long terme, je suis naturellement ultra baissier sur les obligations américaines ou le dollar. Si le Japon veut financer la reconstruction avec ses avoirs à l’étranger, le gouvernement vendra en priorité ses bons du Trésor américain.

La situation géopolitique semble horrible et les problèmes issus de la crise financière n’ont pas été résolus : la croissance excessive du crédit privée a été remplacée par une croissance excessive de dépenses publiques. Cela créera des problèmes à l’arrivée, dans trois, quatre ou dix ans. Quand vous imprimez de la monnaie, vous pouvez retarder beaucoup de choses. Vous pouvez penser que je suis très négatif, mais si vous y croyez, partez de vos positions cash ou obligataires pour aller dans le marché actions, l’immobilier ou les métaux précieux. Le déficit américain restera encore longtemps très élevé et s’accroîtra si l’économie venait à se contracter encore. Pour la simple raison que, dans ce cas-là, les revenus fiscaux se réduisent et le déficit augmente automatiquement sans que l’on fasse quoi que ce soit.

Dans le cas de la Grèce, à quoi faut-il s’attendre à terme?

Le problème avec les PIGS (Portugal, Italie, Grèce, Espagne) – c’est un avis personnel – est qu’il faudrait ramasser AIG, Goldman Sachs et tous ces clowns pour les mettre en banqueroute. La même chose pour la Grèce et le Portugal. La première douleur sera la moins forte. Si vous attendez encore, le mal s’aggravera. Il faut laisser la Grèce faire défaut et restructurer la dette et peut-être que le pays deviendra gérable. La voie actuelle est mauvaise : vous prêtez toujours plus d’argent et le marché perd confiance. Vous savez, lorsque j’étais jeune, j’ai vu le film «Zorba le Grec». Si vous avez vu ce film, vous ne prêterez jamais un seul franc à un Grec !

Enfin, la Grèce ne résume pas à la vie de Zorba. Il y a aussi des réussites célèbres…

Les Grecs qui ont réussi doivent leur succès au fait qu’ils ont été très forts pour abuser du système. Ils ne paient jamais de taxe et de toute façon, la plupart d’entre eux ne vivent pas en Grèce. Ils y possèdent éventuellement une maison sur une île, mais sont domiciliés à Londres, Genève ou ailleurs! Le principe est le même dans toutes les sociétés : une petite partie des gens ont absorbé une trop grande partie de l’économie, le système financier a grandi de manière disproportionnée. Mais c’est aussi le cas en Suisse.

En Suisse aussi, comment cela?

Oui, en Suisse ou partout ailleurs. Regardez autour de vous, nous n’avons pas besoin de milliers de banques qui font ceci ou cela. Ca ne contribue pas à la richesse d’une nation.

La prochaine grande crise que vous prévoyez est-elle imminente?

Non, d’abord, il sera toujours possible d’imprimer de la monnaie. Si vous croyez à mon scénario selon lequel la crise ultime est encore devant nous, vous allez vous demander comment protéger votre fortune dans le pire des cas.

Vous ne devez pas rester en cash ou en obligations souveraines. Les actions peuvent progresser, mais si vous imprimez de la monnaie, les titres chuteront en termes réels et non nominaux. Il faut miser sur les métaux précieux et l’immobilier. A mon avis, de préférence à la campagne et non dans les villes.

Pourquoi pas d’immobilier en zone urbaine?

Les villes sont beaucoup plus exposées dans les cas de guerre technologique ou biologique, de même que face à des risques terroristes. Il est moins dangereux de vivre au milieu de nulle part.

Vous présentez tout de même le scénario le plus extrême…

Bien sûr. Peut-être que nous aurons un monde meilleur, par exemple s’il y avait moins de banquiers. Soyons clairs : je ne renie pas la fonction économique de la banque, lorsqu’il s’agit de financer une activité, le démarrage d’une société ou la construction d’une maison. Mais dans le cas des Etats-Unis, les banques représentent 44% des bénéfices du S&P. Elles ont grandi de façon disproportionnée et cela ne sert pas l’économie.

Y’a-t-il également trop de banques en Suisse?

C’est difficile à dire. En Suisse, les opérateurs sont plutôt des catalyseurs de fonds venant de l’extérieur. En revanche, je pense que la Suisse serait très vulnérable en cas d’effondrement du système financier. Combien de personnes travaillent dans le secteur bancaire à Genève, sans parler des services annexes (avocats, restaurants) ? Les centres financiers sont globalement très sensibles.

Comment qualifiez-vous la politique de la BNS au cours des derniers mois et face au niveau du franc?

Les taux devraient être plus élevés qu’ils le sont actuellement. Bien sûr, si les taux d’épargne étaient de 5% en Suisse, le monde entier viendrait y déposer son argent et le franc doublerait de valeurs. Si le franc doublait de valeur en l’espace de cinq ans, par exemple, cela n’affecterait pas les exportateurs. Ils souffriraient si cette hausse se produisait en quelques mois. Je me souviens que lorsque je suis arrivé à New York en août 1971, le dollar valait 4,50 francs. Aujourd’hui, il en vaut 93 centimes et nos exportations atteignent un niveau record ! Une devise forte n’est donc pas en elle-même négative pour les exportations.

Nouriel Roubini semble moins pessimiste que vous sur l’économie américaine.

David Rosenberg, Gary Schilling et Nouriel Roubini adhèrent à une vision très baissière et déflationniste. Ils préconisaient auparavant de détenir des obligations souveraines, d’éviter les actions (car le marché descendra en dessous de son plus bas de mars 2009) et prédisaient que le dollar allait se renforcer.

Mais depuis quatre ou cinq semaines, Roubini est devenu à son tour bullish sur les actions ! Je n’ai rien contre lui, c’est un économiste et non un stratège des marchés. Il anticipé correctement la crise financière, mais n’oublions pas que de nombreux autres économistes du secteur privé l’ont aussi vue venir.

En quoi divergent vos deux approches?

Le grand débat est le suivant :

les déflationnistes maintiennent qu’il faut acheter des obligations souveraines, ce qui est peut-être un raisonnement correct pour les trois prochains mois. Mais là où je pense qu’ils ont tort, c’est que si vous êtes optimiste, cela implique que la demande de crédit privé va grimper et, combinée à la demande de crédit public, nous assisterons à une hausse des taux. Ceux-ci sont artificiellement bas en ce moment et cela débouchera éventuellement sur une inflation plus élevée. Ajoutez la faiblesse du dollar : une devise est un symptôme d’inflation domestique. Si vous êtes positifs sur l’économie américaine, vous ne pouvez donc pas recommander les obligations.

interview:  Frédéric Mamaïs/Agefi mars11

EN VIDEO :

EN RAPPEL : Marc Faber : Entretiens Vidéo in french

3 réponses »

  1. Pouvez-vous nous donner les références des publications de M. Julius Baer (dit « le gourou des finances »), antérieures à 2007, annonçant ce qui allait être « la crise ».
    N.B.: Si pas de réponse, cela voudra dire qu’il n’a rien vu venir, comme tous ses semblables.

  2. Emmanuel Todd : « Face au FN, il faut rompre avec deux concepts-zombies : le libre échange et l’euro »

    Dans une interview exclusive à Marianne2.fr, Emmanuel Todd actualise les thèses de son livre Après la démocratie (Gallimard) pour nous proposer une grille de lecture inédite du premier tour des élections cantonales. Pour lui, c’est la double erreur historique des élites concernant l’euro et le libre-échange qui explique la montée du Front national dans les classes populaires et même dans des zones sans immigration.

    Marianne2.fr : Que vous inspire ce premier tour des élections cantonales ?

    Emmanuel Todd : Les observateurs ne semblent pas percevoir la poussée du Front national dans sa véritable dimension historique. Les commentaires se focalisent sur les transferts de voix entre l’UMP et le Front national, et nous devons constater la persistance dans les analyses produites, d’une thématique imposée de l’immigration de l’islam, de la sécurité, de l’identité nationale conçue en un sens étroit.
    Or, les résultats dont nous disposons témoignent plutôt d’une prédominance des déterminations socio-économiques dans les votes. Le Front national a franchi son plafond ancien du vote à 30% dans la classe ouvrière et s’approche de 40%.
    Deux signes confirment le caractère secondaire des thématiques identitaires (immigration, sécurité, etc.) : le score plus modeste (à 20%, ce qui n’est quand même pas mal) réalisé parmi les artisans et commerçants et la progression importante du Front national vers l’ouest, là où l’immigration demeure un phénomène insignifiant.

    Marianne2.fr : Vous décrivez un vote de crise…

    Emmanuel Todd : La poussée du FN intervient après deux ans et demi d’une crise économique qui a appris à la population française et à d’autres populations dans le monde que leur classe dirigeante était incompétente. Ou totalement indifférente à leur sort. Les plans de « relance » ont abouti à quelques résultats merveilleux (sic), compréhensibles par tous : la relance du CAC 40, la baisse des salaires, l’accélération des délocalisations et l’aggravation du chômage de masse…
    Soyons sérieux : la grande nouveauté de la situation politique et idéologique est une radicale délégitimation des élites, phénomène qui autorise toutes les embardées politiques imaginables. Les Français sentent que la France est devenue un canard sans tête…
    L’ampleur générale du score frontiste et sa pénétration non insignifiante dans les classes « moyennes inférieures » et « moyennes moyennes », dans des cantons sans tradition industrielles et sans immigration, suggère l’idée que les gens n’ont plus confiance dans la gestion économique du pays.
    Même s’il survient des accidents dans l’histoire (pour moi, l’intervention en Libye, que j’approuve, en est une), un président tel que Nicolas Sarkozy incarne à merveille cette situation de vide. Mais ce vide n’est pas confiné à l’Elysée. Les classes dirigeantes au sens le plus large, incluant les responsables de l’UMP et les dirigeants sociaistes, ont été les défenseurs acharnés de deux options dont tout le monde sait aujourd’hui qu’elles sont obsolètes : le libre-échange et l’euro. J’utiliserais volontiers, pour décrire l’état de ces concepts, une expression du sociologue allemand Ulrich Beck, celle de « concept zombie » : un concept mort mais que l’on croit vivant. C’est très important. Les gens comprennent que le libre-échange détruit leur vie. Ils ont très bien compris depuis les crises budgétaires européennes que le système monétaire actuel est victime d’un acharnement thérapeutique.
    Les hommes de médias de ma génération ont aussi une responsabilité dans cette déroute des élites françaises. Quand je vois Jean-Michel Aphatie face à Marine Le Pen sur le plateau de Canal +, ou quand je lis Laurent Joffrin qualifiant de lepéniste « Ce soir ou Jamais », la meilleure émission de débat du paysage audiovisuel, menacée de surcroît par l’Elysée, il s’agit moins de journalistes que d’idéologues purs qui tentent de perpétuer une vision du monde totalement archaïque.
    Mais ils font partie des classes dirigeantes et particulièrement Laurent Joffrin dont les aller-retour entre le Nouvel Observateur et Libération, en tant que directeur, ont significativement contribué à la paralysie idéologique de deux grands journaux de gauche très importants et contribué à la non prise en compte par la gauche des intérêts économiques des milieux populaires.

    Marianne2.fr : Sauf que la plupart des responsables et des économistes affirment que l’abandon de l’euro se traduirait par une véritable catastrophe pour les populations européennes.

    Emmanuel Todd : Certains économistes – pas tous heureusement – disent cela, mais les gens ne les croient plus et mes conversations privées avec certains membres de l’establishment me font soupçonner qu’eux-même n’y croient pas davantage. Mais il est extrêmement difficile de l’avouer parce que l’aveu, pensent-ils sans doute, produirait une délégitimation des classes dirigeantes. Or, le score du Front national nous indique que cette précaution devient superflue : s’ils avouent maintenant, mais sans trop tarder, ils seront pardonnés.
    J’ai été absolument fasciné, lors des commentaires post-électoraux, par le fait que Jean-François Copé et Christian Jacob ont rappelé que la nécessité de garder l’euro était le clivage premier qui les séparait du Front national. Au fond, la tendance sarkozyste de l’UMP suit pleinement le Front national sur les thématiques identitaires et de sécurité, ce qui rend la situation ingérable. La relance des thématiques identitaires a d’ailleurs été décidée à l’Elysée. Mais cette stratégie aboutit à mettre l’UMP dans une sorte de seringue : alors que le Front national peut aussi se déployer sur les thèmes économiques et sociaux en prônant la sortie de l’euro, la tendance sarkozyste de l’UMP qui représente au plus haut degré l’oligarchie économique, ne peut que défendre l’euro qui est l’argent des riches. Là réside sans doute la véritable explication des transferts de voix de l’UMP vers le Front national.

    Marianne2.fr : L’idée du Front républicain resurgie entre les deux tours vous paraît-elle utile, efficace ou au contraire contre-productive pour enrayer la poussée mariniste ?

    Emmanuel Todd : Voilà bien un autre concept-zombie ! L’important n’est plus la tactique politique. Le Front national ne va pas prendre le pouvoir à l’occasion de ces élections cantonales, les électeurs sont libres. L’important est le renversement de l’hégémonie idéologique des concepts-zombies que sont le libre-échange et l’euro. L’UMP et le Parti socialiste, les dirigeants de grandes entreprises (ceux des PME ont compris) et les responsables des grands médias doivent être capables de penser en terme de protectionnisme économique, européen si possible. Ils doivent accepter l’idée que s’il y a un problème d’identité nationale pour la France, il réside dans sa relation à l’Allemagne et non dans ses rapports avec les Arabes. Les élites doivent accepter l’inévitabilité, si l’Allemagne refuse l’idée d’un protectionnisme européen, d’une sortie de l’euro. La réalité économique est que cette sortie poserait, certes, quelques problèmes techniques, mais ouvrirait mille possibilités de renouvellement et d’expérimentation, et des solutions originales aux problèmes posés par la dette publique, quoique peu agréables pour les détenteurs de capitaux.

    Marianne2.fr : On nous présente la sortie de l’euro comme une garantie absolue d’une baisse rapide du franc rétabli.

    Emmanuel Todd : Mais c’est exactement l’effet recherché. Une dévaluation est toujours défavorable à ceux qui ont beaucoup d’argent, mais favorable, après ajustement, à la compétitivité économique des secteurs qui reposent sur un travail réel, à l’industrie, aux nouvelles technologies. D’ailleurs, honnêtement, plus j’y pense en tant que démographe plus je pense que la France, avec son taux de fécondité parfaitement satisfaisant, à deux enfants par femme, au milieu d’une Europe minée par des fécondités très basses, aurait intérêt à prendre quelque distance avec un continent menacé de sénilité. L’un des paradoxes fondamentaux du comportement du Front national dont rien ne nous garantit d’ailleurs qu’il aurait le courage de ses propositions économiques, est que l’analyse économique sérieuse conduit à constater que le protectionnisme et la dévaluation ramènent à la notion de solidarité nationale mais d’une solidarité nationale territoriale plus tôt qu’ethnique. L’une des implications paradoxales du programme frontiste est que la sortie de l’euro aurait pour effet pratique de contribuer à la réconciliation de toutes les classes sociales françaises et de Français de toutes origines. Les enfants d’immigrés seraient, autant que ceux des classes moyennes, les premiers bénéficiaires de la sortie de l’euro. Je reconnais que voir le FN en défenseur des enfants d’immigrés a quelque chose de surréaliste si l’on pense à l’ignoble proposition de préférence nationale qui fait partie du bagage idéologique du Front national. Symétriquement, des socialistes qui se battent contre la préférence nationale mais adhèrent à des politiques économiques qui détruisent en priorité les enfants d’immigrés ne sont pas des républicains sincères. En vérité, l’attachement des partis dits républicains à des concepts économiques qui détruisent la vie des Français pourrait faire bientôt du mot République un concept zombie. On peut toutefois ressusciter la République en changeant de politique économique.

    Marianne2.fr : Le plus spectaculaire et inquiétant dans le score de Marine Le Pen, est sa performance dans les catégories actives : selon l’iFOP, alors que l’électorat sarkozyste reste dominant parmi les catégories âgées, les intentions de vote de la tranches 34-49 ans est passée de 16 à 29% en un an ; parmi les 24-39 ans elle est passée de 20 à 25%.

    Emmanuel Todd : Effectivement, ce contexte est tout à fait typique des situations de basculement idéologique. La fragmentation de la droite peut être perçue par des différences d’attitude entre sarkozystes fillonistes et marinistes. Mais au-delà de la confusion, ce sont les basculements générationnels qui importent. La fragilité initiale du sarkozysme était que le Président a été l’élu des vieux, très effrayés par les émeutes de 2005 dont il était largement responsable, et actuellement, la fuite hors de l’électorat UMP s’effectue dans ce qui restait de jeunes au sein de l’électorat de droite.

    Marianne2.fr : Votre diagnostic est à la fois convaincant et inquiétant. Que va-t-il se passer et qu’est ce qui est possible ? Comment en sortir ?

    Emmanuel Todd : J’aimerais profiter de l’occasion pour définit mon attitude personnelle vis-à-vis de la crise que nous vivons. Je suis considéré comme un intellectuel critique radical du système. Mais je ne suis pas intéressé par les propositions irréalistes protestataires de la gauche de la gauche, et je ne crois pas une minute à la possibilité pour le Front national d’arriver au pouvoir en France. Je pense tout à fait que la France doit continuer à être gérée par une alternance entre les grands partis décents de la droite et de la gauche. Je ne suis pas partisan d’une destruction ou d’un rejet des élites. Je plaide simplement pour le retour des élites à la responsabilité et à la raison. Même si ça n’est pas enthousiasmant d’un point de vue utopique, je pense que le projet protectionniste européen ou la sortie de l’euro ne peuvent, dans le contexte français, être gérés que par des gens sortis des grandes écoles. Je demande simplement que la méritocratie française fasse son boulot, s’occupe de la démocratie française, et justifie ainsi ce qu’a coûté leur formation à la nation. J’admire la capacité du peuple français à résister à des élites devenues irresponsables – y compris malheureusement par un vote Front national – mais je ne crois pas à la possibilité d’une démocratie sans élites. La bonne démocratie fonctionne quand une partie importante des élites prend en charge les intérêts économiques et moraux de l’ensemble de la population.

    http://www.marianne2.fr/E-Todd-Face-au-FN-il-faut-rompre-avec-deux-concepts-zombies-le-libre-echange-et-l-euro_a204202.html

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