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Japon : L’évaluation éco-financière des scénarios catastrophes

Japon : L’évaluation éco-financière des scénarios catastrophes

 L’équipe de recherche de la banque suisse Sarasin a imaginé le pire au Japon Avec ses conséquences.

 Même si l’accident nucléaire de Fukushima connaît l’évolution la plus extrême, les agents économiques mondiaux ont de bonnes raisons de ne pas paniquer. C’est le message qui ressort d’une nouvelle étude diffusée par l’équipe de recherche de la banque Sarasin. Elle a imaginé le scenario du pire. Un scénario de type Tchernobyl, ou encore plus grave.

Lundi dernier, la banque a envoyé à ses clients un premier document intitulé «quick response». Il était censé faire un rapide pointage des effets économiques et financiers du tremblement de terre et du tsunami survenus il y a une semaine. Depuis, les analystes de la banque sont assaillis de questions. «La clientèle s’interroge sur les risques d’un événement extrême», précise Jan Poser (directeur de recherche). Sa première analyse était basée sur l’hypothèse de dommages déjà identifiés. Ce qui, au vu du déroulement des faits aux abords de la centrale ces derniers jours, n’est manifestement pas le cas.

Sarasin a alors réagi avec un second document. Et les postulats sont cette fois beaucoup plus dramatiques. A court terme, la formation d’un nuage radioactif qui se propagerait en direction des plus grandes villes japonaises les videraient de tous leurs habitants, et de toute activité économique. Pendant au moins six mois. La production s’effondrerait de 50%. La consommation, elle, se limiterait aux biens de première nécessité.

Les tokyoïtes pourraient ensuite rejoindre leur résidence, après quelques mois. Mais un rayon de 50 à 100 kilomètres autour de la centrale de Fukushima resterait contaminé à jamais. Le stock de capital de la région serait perdu et tout devrait être reconstruit ailleurs.

Ailleurs, le durcissement attendu des politiques monétaires serait suspendu. Le franc conserverait son statut de refuge pendant longtemps. Le PIB mondial serait grevé d’un point de pourcentage. Quant au marché japonais des actions, il chuterait de 30%.

PLUS DE TENTATIVE DE SCENARIO EN SUIVANT :

 Les effets du scénario du pire

La banque Sarasin a simulé les conséquences éco-financière d’une propagation radioactive de type Tchernobyl  son équipe de recherche présente une simulation exhaustive des effets potentiels de la propagation d’un nuage radioactif au Japon. Un scénario du pire qui ferait chuter le marché actions japonais de 30%, mais qui contaminerait peu les autres principales places financières. 

l Macroéconomie

L’impact sur le PIB japonais serait dévastateur, annonce Jan Amrit Poser, chef économiste de Sarasin, avec une chute rapide de 30%. Mais la grande partie de ce recul sera rattrapée, une fois que les ménages auront fini de refreiner leurs dépenses. «Ils ne vont pas renoncer à consommer indéfiniment».

 

  A titre comparatif Consommation des Ménages US après les attentats du 11 septembre 

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Image: Societe Generale

 Les efforts de reconstruction pourraient même soutenir le PIB, dans le courant du second semestre 2011 déjà

En fait, poursuit Jan Poser, la grande question est de savoir à quel point le stock de capital serait affecté. Le nord-est du Japon représente environ 10% du PIB national. Une contribution définitivement perdue.

A coups d’estimations et d’évaluation, l’économiste calcule qu’un recul de 10% du PIB japonais, en tenant compte d’effets multiplicateurs, pourrait grever la croissance globale de 0,8%. Elle atteindrait alors 4% en 2011. Et, histoire de relativiser, il estime à seulement 0,2% les répercussions d’un tel scénario sur la croissance américaine cette année. Même pour la Chine, qui compte pourtant pour environ 20% des importations japonaises, les effets seraient loin d’être catastrophiques. L’impact sur le PIB chinois est estimé à 0,3% tout au plus. «Ces chiffres démontre que les conséquences internationales d’un effondrement de la croissance du Japon seraient limitées, en raison du peu d’ouverture relatif de son économie». 

chart of the day, exports to japan

l Marchés actions

Là aussi, le pire des scénarios mènerait à une chute du marché actions japonais de près de 30%. Il se traiterait à un multiple (P/E) de 8, calcule Philipp Baertschi, chef stratégiste de Sarasin. «Plusieurs trimestres seraient nécessaires pour retrouver les prix d’avant la catastrophe. En tout cas beaucoup plus que les six mois escomptés dans notre scénario de base».

chart of the day, nikkei after kobe, sendai earthquake, march 2011

Globalement, l’aversion au risque dominerait les échanges durant une période prolongée. Mais au vu de l’importance relative des capitalisations japonaises (environ 10% du total mondial), l’impact direct sur les principaux marchés actions resterait limité. Ce d’autant plus que la corrélation entre l’évolution des actions mondiales et japonaises est historiquement très faible. Les marchés actions devraient rapidement retrouver le chemin de la hausse, conclut Philipp Baertschi. Du moins tant que les émanations ne se propagent pas à la Chine ou à la Corée.

 

  japan nikkei

Image: Citi

Dans le secteur des infrastructures, les titres les plus affectés seraient logiquement les allemandes E.On et RWE, ou le français EDF, dont la production est soit essentiellement issue du nucléaire, soit issue de procédés hautement générateurs de CO2. L’analyste Michael Romer estime en revanche que les sociétés fortement exposées au marché du gaz naturel seraient bien positionnées. Il cite GDF Suez, BG Group ou encore Statoil. Autant de groupes qui pourraient bénéficier du fait que le Japon, déjà le plus grand consommateur de GNL (gaz naturel liquéfié) du monde, devrait compenser la fin de son important recours à l’énergie nucléaire.

Sarasin ne voit pas de changement notable pour l’industrie de l’assurance. Si ce n’est que le risque macro déclenché par une propagation radioactive pèserait indirectement sur les principales valeurs du secteur.

En tant que centre mondial de l’industrie des semi-conducteurs, le Japon verrait tant les vendeurs de puces (Texas Instruments, Analog Devices, Qualcomm,…) que les producteurs locaux comme Toshiba, Sony, Fujitsu ou Sharp fortement pénalisés. Ces derniers seraient notamment très affectés par les importants dommages sur leurs site de production. L’analyste Oskar Schenker suppose que certains big players seraient forcés d’émettre des profit warning dans le semestre à venir. Les perturbations prolongées dans la chaîne d’approvisionnement de leaders japonais du high tech et des produits électroniques pourrait durer encore plus longtemps. L’impact sur les sociétés de services IT et de logiciels resterait en revanche de l’ordre du négligeable. 

l Fixed Income

Un événement extrême mènerait à une forte baisse du climat d’investissement. Surtout en Asie, où les banques centrales se verraient forcées de suspendre leur cycle de durcissement monétaire. Leurs homologues occidentales, elles, réfléchiront à deux fois avant d’opérer une quelconque hausse de taux. Dans le cas d’un scénario du pire, Alessandro Bee, stratégiste Fixed Income, s’attend à une évolution plate des taux, plutôt qu’à la progression graduelle attendue pour le moment.

Localement, le stratège projette une incapacité totale ou partielle du Japon à honorer ses dettes (et leurs intérêts). Il est toutefois peu probable que les détenteurs d’obligations d’Etat (JGBs) se mettent à vendre massivement, estime Alessandro Bee. Environ 90% de JGBs sont détenus par des fonds de pension, la Bank of Japan ou par des banques commerciales -leurs JGBs seraient sûrement repris par les gouvernements

La détérioration de l’économie qui suivrait un tel scénario viendrait contrer la hausse potentielle des primes de risques. Les coûts de reconstruction induiraient d’importants afflux ou rapatriements de fonds plutôt que l’émission de nouveaux emprunts. 

l Forex

C’est aussi pour des raisons de rapatriement que le yen, contrairement aux idées reçues, ne connaitrait sûrement pas de crise majeure. Il pourrait même venir à s’apprécier, malgré les injections massives de liquidités déjà prévues par la Bank of Japan. Ce sont surtout les compagnies d’assurances locales qui, pour satisfaire aux nombreuses demandes de réparation de dommages, auraient besoin de rapatrier des liquidités placées ailleurs. Usina Kubli, stratégiste Forex de la banque, souligne par ailleurs que 95% des obligations japonaises sont en mains domestiques. «Ce qui limite fortement l’exposition du yen aux spéculations venues de l’étranger». L’analyste estime également qu’une catastrophe nucléaire soutiendrait la forte demande pour le franc suisse. Et pour longtemps. 

l Matières premières

L’interruption de l’activité industrielle japonaise mènerait à un déclin important de la demande en énergie à court terme. Les prix du charbon seraient principalement concernés, juge la stratégiste commodities Eliane Tanner, qui rappelle que le Japon représente environ 15% de la demande mondiale de charbon thermique transporté par voie maritime.

Généralement, l’aversion au risque que déclencherait une catastrophe comparable à Tchernobyl affecterait les prix de l’énergie. Mais le déclin de la demande ne sera que temporaire. Le GNL, le pétrole et le charbon devraient retrouver rapidement leur attrait, face à la perte de confiance dans l’énergie nucléaire.

Mais la question cruciale, conclut Jan Poser, est de savoir quelles conséquences aurait un tel drame sur la confiance des consommateurs et des investisseurs dans le monde. Et l’économiste de comparer ce scénario au 11 septembre. Après cinq mois seulement, les indices mesurant la confiance des ménages américains, allemands et japonais avaient retrouvé leurs niveaux d’avant les attentats, rappelle-t-il. «Il est également bon de se souvenir que ni les catastrophes de Three Mile Island et de Tchernobyl, ni le tsunami dans l’océan indien n’avaient plongé l’économie mondiale en récession».

  titre comparatif Consommation des Ménages US après les attentats du 11 septembre 

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Servan Peca/agefi mars11

EN COMPLEMENT :  Gérer le désastre  par  Keith Wade

Le Japon est sous feux d’une actualité dramatique. L’économiste en chef du gestionnaire d’actifs Schroeders tente de dégager des perspectives concrètes: effets sur le PIB, sur la croissance économique et sur la dette du pays.

Les estimations actuelles du désastre humain, suite au tremblement de terre et au tsunami qui ont frappé le Japon, dépassent dix mille victimes, plus qu’à Kobe en 1995. Le Premier ministre japonais parle de la crise la plus grave que le pays ait connue depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Si la comparaison avec Kobe est tentante, il faut savoir que Sendai est plus éloignée du centre vital et possède moins d’influence économique.
Pourtant, le récent cataclysme pourrait exercer des conséquences encore plus lourdes. Le tsunami a aggravé les destructions. Il faudra dépenser bien plus qu’à Kobe pour reconstruire. Pendant ce temps, les perturbations de l’alimentation en énergie vont se faire sentir plus largement dans toute l’économie. Et le risque de fusion d’un réacteur nucléaire ajoute un élément qui fait froid dans le dos.

Après un choc de cette ampleur, une économie nationale exécute normalement un mouvement en « V »: une chute sensible du PIB, suivie d’un rebond, tandis que la reconstruction commence.
Vu la façon dont le PIB est mesuré, la perte de production reflète plutôt la désorganisation de l’appareil que les destructions elles-mêmes. Ayant perdu de la richesse, le Japon s’est appauvri, mais les chiffres du produit intérieur seront influencés à la hausse par les nouvelles dépenses de reconstruction.

chart of the day, japan reconstruction, march 2011

Coup de butoir dans les finances publiques

On estime la perte aux environs de 1% à 1,5% du PIB pour le trimestre printanier. C’est surtout la production industrielle qui marquera le pas. Mais au deuxième semestre et en 2012, ce recul sera compensé par les dépenses de reconstruction.

Au stade actuel, l’investisseur se demande surtout si le Japon est en mesure de financer ces nouvelles charges, estimées entre 5.000 et 10.000 milliards de yens (entre 1 et 2% du PIB). Les travaux seront vastes. Les biens résidentiels n’étant généralement pas assurés contre les tremblements de terre, l’opération va fortement solliciter les finances publiques.

Le Japon est déjà un des pays les plus endettés au monde, à hauteur de 226% du PIB, avec un déficit budgétaire voisin de 10% du PIB en 2010, d’après le FMI. La dette reportée à cette année (emprunts échus et nouveaux) sera voisine de 30% du PIB.

Lundi, Moody’s craignait la proximité d’un point de basculement, une situation où l’investisseur prend peur, où le rendement des bons grimpe, ou il devient insupportable d’emprunter. Moody’s et Standard and Poor’s ont tous deux dégradé la note japonaise au début de cette année.

Face à cela, n’oublions pas que le Japon épargne beaucoup; il ne dépend pas de l’étranger pour financer son déficit budgétaire. Cela a contribué à stabiliser le rendement des obligations d’État japonaises, d’autant que la Bank of Japan (BoJ) a procédé à des injections massives de capitaux dans l’économie pour tenter de comprimer les taux d’intérêt à court terme.

Devise sous protection, bourse résistante

L’intervention de la banque nationale, estime-t-on, a aussi évité une forte hausse du yen. Après le séisme de Kobe, la devise japonaise s’était renforcée sous l’effet des fonds rapatriés par les compagnies d’assurances, qui préféraient vendre des actifs étrangers plutôt que domestiques. Nous pourrions assister au même phénomène. Un risque pour l’économie japonaise, qui reste étroitement liée à la croissance des exportations.

En ce qui concerne les actions, le choc est clairement négatif à court terme. Contrairement à la comptabilité publique, celle des entreprises enregistre les destructions d’actifs.
Certains acteurs vont d’ailleurs disparaître entièrement. Les récentes défaillances n’ont pas été minces, et il est difficile de faire des prédictions à court terme. Plus généralement, cependant, le marché des actions est bien noté.
Avant le choc, il suscitait même un léger regain d’intérêt chez les investisseurs.

Au niveau mondial, l’événement est moins catastrophique: après plusieurs années de demande faible, le Japon n’est pas un débouché majeur pour les entreprises du reste de la planète.

Posted on March 14, 2011 by macromon

Par exemple, les exportations à destination du Japon ne représentent que 2,5% du total britannique. Mieux: si la demande se redresse sous l’effet de la reconstruction, certains pourraient être bien placés pour en tirer parti.

Souci énergétique, long terme inquiétant

Pour le monde, le risque majeur se situe sans doute dans le grave revers subi par le programme nucléaire japonais: l’archipel va devenir plus dépendant des autres sources d’énergie, ce qui fera grimper les prix du pétrole.

Pour en revenir au Japon, si le marché des actions et l’économie doivent s’inquiéter à plus long terme, ce sera parce que les entreprises réexamineront les risques d’un investissement dans le pays et réduiront leurs engagements locaux.

Cela peut avoir des répercussions durables sur l’investissement et la croissance. La dette n’en deviendra que plus difficile à rembourser.

Par Keith Wade
Economiste en chef, Schroeders mars11

EN BANDE SON :

  

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