Analyse d'un secteur économique particulier

Panique boursière sur le secteur nucléaire

Panique boursière sur le secteur nucléaire

Groupes miniers, constructeurs de centrales et électriciens plongent. En une semaine, l’uranium perd le quart de sa valeur

Market Vector  a un ETF (NLR) qui permet de suivre l’uranium et les actions du nucléaire        à travers le monde. Comme le montre le tableau ci-dessous, l’ETF est en baisse de 16% au 16 mars

En moins d’une semaine, l’uranium aura perdu près du quart de sa valeur, selon le pointage des transactions réalisé par la firme américaine UxC. Cette dépréciation symbolise à elle seule le basculement qu’est en train de vivre l’industrie nucléaire.

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Logiquement les prix de l’uranium, qui avaient doublé depuis l’été dernier, devaient subir un coup d’arrêt. De 73 dollars la livre au début du mois dernier, le prix spot du combustible nucléaire est déjà redescendu à 60 dollars mais il est difficile de se prononcer sur l’avenir des prix en général, la majorité des transactions ayant lieu dans le cadre de contrats long terme. De façon évidente les compagnies minières australiennes et canadiennes qui extraient l’uranium ont de part et d’autre du Pacifique subissent  la sanction du marché boursier, avec une baisse moyenne de leurs actions de 10 % à 15 %. Le Japon consomme en temps normal près de 10 % de l’offre d’uranium. L’immobilisation de 11 réacteurs fait baisser à elle seule la consommation de combustible de 100 tonnes par mois. Et si l’incident nucléaire japonais se transformait en catastrophe, l’impact serait bien tout autre sur le programme nucléaire japonais, comme sur les autres programmes dans le monde. L’attitude de la Chine, où devraient se concentrer un tiers des nouveaux projets nucléaires, serait alors décisive.

 La catastrophe de la centrale de Fukushima «va certainement bouleverser la donne pour tout le secteur, mais également changer la façon dont les grandes compagnies d’électricité produiront leur énergie à long terme», résume Carsten Schlufter, analyste au sein d’UBS à Zurich, en écho aux moratoires sur les nouvelles centrales annoncés en Allemagne, en Suisse ou au Royaume-Uni.

Cameco dévisse de 22%

 

source Bespoke

Les milieux financiers n’ont pas attendu pour tirer leurs conclusions. D’une place boursière à l’autre, les sociétés liées à l’atome ont vu, en moyenne, le cours de leurs actions dévisser de 13% cette semaine, révèlent les indicateurs de la World Nuclear Association.

Les groupes extrayant le minerai radioactif ont été aussitôt touchés. Numéro deux du secteur, derrière le groupe kazakh étatique Kazatomprom, le canadien Cameco a ainsi vu sa valeur boursière – de 11 milliards de dollars, hier – fondre de 22%. ERA – une filiale du conglomérat Rio Tinto – mais aussi Uranium One, Denison ou Paladin ont accusé des baisses atteignant jusqu’à 40% sur quatre jours.

Recul plus limité d’Areva

La panique s’est rapidement propagée aux constructeurs et équipementiers de centrales. Le coup de grâce est venu avec l’annonce par les autorités chinoises de l’arrêt des permis accordés à la construction de nouvelles centrales. La Chine était perçue comme l’eldorado du secteur, avec 27 centrales en construction et 50 supplémentaires à l’étude. Ces inquiétudes sont fondées puisque l’Allemagne a mis en veilleuse un tiers de sa capacité nucléaire et a instauré un moratoire de trois mois sur les travaux de rénovation de centrales nucléaires qui devaient servir à allonger leur durée de vie. La Suisse a pris une décision semblable.

Concepteur des réacteurs équipant Fukushima, le conglomérat américain General Electric a mieux encaissé le choc en raison de la diversité de ses activités: sa baisse à Wall Street se limite à 6% cette semaine. Numéro un du nucléaire au Japon, Toshiba, un autre conglomérat, a en revanche perdu près du tiers de sa valeur. Areva, le géant du secteur, contrôlé à 85% par l’Etat français, accuse une baisse moins drastique: ses titres, des certificats sans droit de vote, ont cédé 17% lundi et mardi, avant de remonter de 4% depuis. «L’activité sur ces titres reste cependant limitée, compte tenu de la faible part du capital flottant», relativise cependant Carsten Schlufter, analyste au sein de la banque UBS à Zurich.

Tokyo Electric vacille

Les grands électriciens sont également visés. Cela vaut en premier lieu pour Tokyo Electric Power, qui exploitait la centrale de Fukushima. Sa valeur boursière a été divisée par trois cette semaine, faisant partir en fumée plus de 25 milliards de dollars de capitalisation. Déjà ses créanciers se précipitent sur les contrats d’assurance leur permettant de se protéger contre la possible faillite d’un groupe endetté à hauteur de 88 milliards de dollars.

En France, EDF, qui exploite 58 réacteurs, a plongé de 9% cette semaine. Aux Etats-Unis, où la relance du programme nucléaire était évoquée, Exelon et Entergy ont perdu plus de 8% à Wall Street.

Ces ventes massives affectant tout le secteur signalent un virage à 180 degrés des investisseurs qui s’étaient reportés sur le secteur en raison de la boulimie énergétique chinoise et de la priorité donnée aux sources d’électricité émettant moins de gaz à effet de serre

Cette situation crée certainement des occasions pour les exportateurs canadiens de charbon, affirme Craig Alexander, économiste en chef chez TD Groupe financier : « Le Canada exporte d’importantes quantités de charbon au Japon et il est possible que les exportations du combustible profitent du fait que l’énergie nucléaire reprendra lentement sa place. »

Craig Alexander mentionne que certains réacteurs nucléaires seront mis hors de service de façon permanente ou temporairement pour des travaux de maintenance. L’énergie nucléaire représente 30 % de l’offre énergétique du Japon, selon le World nuclear association.

« Comme stratégie défensive, nous suggérons d’acheter des titres de pétrolières et de services qui leur sont destinés, tout en évitant les compagnies qui sont surexposées au gaz naturel », faisait valoir mardi Ed Sollbach, analyste chez Valeurs mobilières Desjardins.

Le contexte actuel fait craindre une tendance baissière pour les sociétés dont les activités sont liées à l’énergie atomique. Après les incidents de Three Miles Island, en 1979, et de Tchernobyl, en 1986, ce secteur avait végété pendant 20 ans, rappelle le Globe and Mail.

Avant l’incident, le Japon projetait d’augmenter sa production d’énergie atomique à 40 % de la demande énergétique domestique d’ici 2017, selon le World Nuclear Association. On redoute que la catastrophe naturelle ne change les plans des autorités nipponnes.

Cependant, on ne s’attend pas à une telle anémie cette fois-ci, d’après le National Post. La Chine, et ses importantes ambitions nucléaires, représentera la moitié de la croissance de la demande d’uranium d’ici les 10 prochaines années, apprend-on dans le quotidien. Malgré les déclarations et les décisions des politiciens par rapport à l’énergie nucléaire, un analyste financier interrogé par le National Post ne prévoit pas d’impacts majeurs sur les tendances lourdes de l’industrie de l’uranium. Un autre analyste questionné par le Globe and Mail estime quant à lui que la demande d’uranium devrait continuer de dépasser l’offre d’ici 2012. La crise japonaise pourrait toutefois différer la construction de centrales nucléaires.

Par Pierre-Alexandre Sallier /le temps mars11 +agences+rfi

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