Art de la guerre monétaire et économique

L’Edito : Le monde est plein de risques, tout le monde s’en moque par Bruno Bertez

L’Edito :  Le monde est plein de risques, tout le monde s’en moque par Bruno Bertez

 

   Economiste et stratège, David Rosenberg , est l’un des commentateurs que nous apprécions. Critique sans être systématiquement contrarian, il est resté jusqu’en fin 2010 dans le camp déflationniste. Ceux qui ont suivi ses analyses ont réalisé de belles performances sur les Bonds; ils en ont rendu une bonne partie depuis. 

Présentement, Rosenberg ne croit pas à la reprise auto-entretenue; il pense plutôt en termes de rechute, de double-dip. Ceci en raison de l’échéance des stimulations fiscales et de l’expiration du Quantitative Easing (QE) en juin. 

Sur les actions, il est modérément acheteur de valeurs défensives, de valeurs de qualité et de valeurs de rendement. Sur les Bonds, il croit que la fin de QE sera la répétition de 2010: la crainte déflationniste reviendra. Les investisseurs arbitreront une partie de leurs portefeuilles actions en faveur des Treasuries comme ils l’ont fait lorsque s’est achevé le QE1.  

Nous vous parlons de Rosenberg pour deux raisons.

La première est que si nous étions fondamentalistes, nous aurions tendance à raisonner comme lui et à reprendre à la fois son scénario et sa stratégie, c’est à dire à alléger les actions ces prochaines semaines, à réduire le risque, à revenir sur le 10 ans US tout en étant plutôt haussiers sur le dollar. 

La seconde raison est que nous ne sommes pas fondamentalistes. Nous aimons l’économie critique, sérieuse, qui analyse les réalités derrière les chiffres; qui décortique les consensus. Nous aimons l’étude financière qui cherche à déterminer la valeur intrinsèque des investissements en-dehors du momentum et du Ponzi mais, et la divergence est considérable, nous ne croyons pas que ces approches soient adaptées et opérantes pour fixer une politique d’investissement en ce grand cycle de manipulation constructiviste.

PLUS DE BERTEZ EN SUIVANT :

 Notre chronique précédente traitait du risque, de son explosion sous toutes ses formes. 

Vous avez remarqué que, tout en devenant prudents, en nous mettant en retrait, nous n’en avons pas tiré des conséquences catastrophistes pour les marchés. Nous avons expliqué, nous avons signalé notre malaise, notre moindre conviction haussière, mais nous ne sommes pas allés au-delà. Bien nous en a pris puisque rapidement les bourses ont repris le terrain perdu, rejoint les plus hauts. Les actions ont effacé les pertes, les Bonds érodé leurs gains. Le tout à la faveur d’un dollar collé dans ses plus bas, c’est à dire vers les 75,50 au Dollar Index.

source Bespoke 

C’est à partir de ce constat que nous voulons revenir à celui que nous considérons comme l’un des meilleurs, Rosenberg. Dans sa note du 25 mars, il écrit en introduction « le monde est plein de risques et personne ne semble s’en inquiéter ». Ceci étant posé, Rosenberg passe à autre chose. 

Notre méthode de travail, notre cadre d’analyse, nous conduisent précisément à faire le contraire: nous ne passons pas à autre chose. Nous restons en plein dedans, les yeux fixés sur cette anomalie et nous la triturons dans tous les sens pour tenter de voir ce qu’il y a derrière. Nous considérons que le nœud, le mystère est exactement là et qu’on le touche du doigt: comment se fait-il que le monde soit noyé sous le risque financier, économique, naturel, politique, militaire, nucléaire, comment se fait-il malgré cela que les assets dits à risque soient au plus haut? Comment se fait-il qu’ils soient recherchés? Comment se fait-il qu’ils soient comme on dit « priced for perfection » c’est dire comme si le monde était prospère et parfait. 

Le travail de l’analyste ne sert à rien si, au bout du compte, il aboutit à un constat qui ne dépasse pas le sens commun: oui, tout va mal, mais les marchés vont bien et c’est étonnant.


Nous avons pris Rosenberg à cause de l’actualité de sa note du 25 mars; mais nous aurions pu prendre d’autres grands, d’autres géants du fondamentalisme comme JP. Hussman, Grantham, Shiller, Tobin... le constat aurait été le même. Les marchés sont surévalués de 20 à 40%, le risque n’est pas correctement apprécié, le rendement prévisible de l’investissement dans une perspective de long terme est déplorable et dérisoire… et pourtant, et pourtant, les gens achètent, les cours montent!

Robert Shiller price-earnings ratio

Blue = cyclically-adjusted price earnings ratio; red = 10-year interest rate

Image: Robert Shiller

Nous considérons que c’est sur l’analyse de cet écart entre le fondamental théorique et le réel constaté que git, que réside, que se gagne la performance.

 Comme c’est un de nos thèmes favoris, nous avons souvent, de façon pointilliste, par touches, déjà proposé des pistes de réflexion. Nous tâcherons d’aller encore plus loin cette fois sans encore aller jusqu’au bout. 

La hausse des assets est provoquée par la surabondance des liquidités.

Plus les choses vont mal et plus on crée de liquidités. On vient encore de le voir avec ce qui s’est passé au Japon. C’est une constante que nous avons décortiquée il y a plus de dix ans, dans un article « scandaleux » intitulé « Vive les crises ». Plus qu’une bulle des assets, nous soutenons l’idée que ce qui fait bulle, c’est le cash. C’est un actif comme un autre. Les liquidités sont privées de rémunération normale. Un entonnoir a été mis en place pour canaliser les actifs monétaires et quasi monétaires vers les assets à risque. La spoliation des épargnants normaux, c’est à dire de tous ceux qui ne sont pas spéculateurs bancaires, cette spoliation les oblige pour tenter de se défendre, pour préparer leur avenir, à prendre des risques. 

Pour les inciter à le faire, les Banques Centrales et les gouvernements manipulent la perception des risques, faussent le prix du risque, multiplient les assurances et les fausses promesses. C’est le fameux « put » Bernanke, c’est l’assurance que les banques ne failliront pas, c’est l’affirmation que les gouvernements sont solvables. On a beau savoir que tout ce beau monde est incapable de tenir ses promesses et ses engagements, cela n’empêche pas de faire semblant d’y croire. C’est un phénomène de psychologie des foules; les foules vont au plus simple, elles ne vont pas au-delà des apparences. Et puis qu’importe, en cas de prise de conscience, chacun se croit capable de sauter du train avant les autres, n’est-ce pas. 

Il faut aller plus loin que cette idée que nous avons déjà développée. 

Une autre idée que nous n’avons fait qu’effleurer est que les marchés sont partie intégrante d’un système plus vaste. Ils ont pour fonction de réaliser de façon étalée ce qui est nécessaire dans la logique du système, à savoir la destruction créatrice. Les marchés ont pour fonction de tromper le maximum de gens, d’en ruiner le plus grand nombre. Ils ont pour fonction d’euthanasier les promesses que l’on ne peut tenir.

Ainsi les hausses alternées des equities et des Bonds aboutissent à des bulles, lesquelles, en éclatant, opèrent les nécessaires destructions. Au lieu d’être statiques, scandaleuses et mal acceptées, les destructions seraient dynamiques, elles se feraient en marchant.  Ainsi elles seraient moins douloureuses mais tout aussi efficaces. 

Autre variante, la fonction de transfert. La hausse des bourses aurait pour fonction systémique de réaliser le transfert des richesses des épargnants, des classes moyennes qui ont travaillé et économisé vers le secteur bancaire et financier qui a spéculé et perdu. Ce type d’interprétation ne s’interroge pas sur les intentions des acteurs, marchés, banques, gouvernements, banquiers centraux, il part de l’idée que le système est aveugle, sans morale, mais qu’il s’oriente toujours de manière à se survivre, à se maintenir. La logique du vivant en quelque sorte, à savoir, se perpétuer

Nous ne partageons pas l’idée de marchés manipulés, ni même celle de conspiration de la cleptocratie. Nous avançons l’hypothèse que tout se passe comme si les marchés étaient manipulés ou comme s’il y avait une conspiration, mais que ceci n’est pas conscient, n’est pas voulu.  Personne n’a la clairvoyance ou les moyens de le faire. En revanche, la structure cachée, les théories sous-jacentes au système, ses fonctionnalités font qu’il s’adapte, recherche sa survie, son optimum et que ce faisant, il produit les décisions et les justifications qui lui permettent de se continuer. 

Le cas est net avec le Quantitative Easing de Bernanke. Officiellement, les achats de valeurs du Trésor avaient pour but de faire baisser les taux d’intérêt longs. On a vu qu’au lieu de faire baisser les taux d’intérêt, il les a fait monter. On s’est rendu compte que finalement c’était logique. En achetant des Treasuries, on retire du risque du système donc les actifs à risque, les actions doivent monter. Nous sommes en quelque sorte dans le préconscient.

 

Si on va plus loin, on remarque que le QE joue sur les anticipations inflationnistes. Il déclenche la spéculation sur les matières premières, l’énergie, les produits agricoles. Ce faisant, il, le QE, réalise la dévaluation du dollar contre les input réels; il favorise la baisse de la devise américaine contre les autres devises. C’est l’un des objectifs cachés, non-dits de Bernanke, de Geithner et d’Obama: dévaluer le dollar. Ils le reconnaissent sous une forme mystifiante en disant qu’il faut réévaluer le bloc yuan. Ainsi, sans tambours ni trompettes, le système réalise ce qui lui est nécessaire. La hausse du prix des inputs essentiels, laquelle de proche en proche va gagner tous les autres prix. Bien entendu, on pousse des cris d’orfraie sur ces conséquences non-voulues. 

Il faut aller encore plus loin. QE déclenche de l’inflation chez les émergents, chez les exportateurs. Il déclenche de l’inflation dans le reste du monde. Tout à fait logiquement, cette inflation

1) équivaut à une hausse du change, à une réévaluation de ces pays

2) à une réduction de leur compétitivité

3) à une hausse du coût de reproduction de leur main d’œuvre. Les travailleurs se rebiffent, ils demandent des hausses de salaires, ils contestent l’ordre et le système social établi. Et Dieu sait si ces ordres et systèmes sont fragiles. D’autant plus qu’avec la mondialisation et la communication universelle, ils voient ce que les autres ont et font. D’où tendance à la révolte, tendance aux répressions, bref, aux réaménagements de l’ordre social du reste du monde. Et ce réaménagement va dans le sens du Système. Il tend vers l’augmentation du niveau de vie du reste du monde, l’augmentation de la consommation globale; il tend vers la réduction de la propension à épargner donc vers la baisse du « savings-glut ». Vous savez, ce fameux excès d’épargne qui est la cause de tous nos maux avec les taux d’intérêt trop bas, la déflation, etc. 

Ainsi se met en branle, sans que ce soit explicite, voulu, prévu, toute une chaîne de conséquences qui, finalement, à terme, dans la douleur des uns, fera le bonheur des autres. De conséquences qui rééquilibreront le Système. 

Une politique toute simple, limitée, mais finalement mystérieuse comme l’achat de bons du Trésor américain déclenche

1) la hausse des assets à risque dans le monde entier

2) des sorties de flux de capitaux du Centre vers la Périphérie

3) met en place toutes les conditions de la baisse du dollar

4) pose tous les ingrédients d’une accélération de l’inflation

5) suscite des réaménagements politiques et sociaux qui vont dans le sens qui convient au Système qui lui permet de se reproduire. Même si ce n’est pas à  l’identique, finalement, il préserve sa logique et c’est l’essentiel. 

La hausse des bourses, hausse alternée, chacun son tour, des actions et des obligations est systémique. Elle n’est pas fondamentale, elle n’est pas provoquée par les valorisations. Elle n’est pas non plus volontariste et manipulée. Elle est en quelque sorte téléonomique, c’est à dire qu’elle est incluse dans le « projet » du système pour se perpétuer.

 Le système s’est développé et il a prospéré sur le crédit adossé aux assets, comme du temps de John Law; il a buté sur l’insuffisance d’assets pour garantir les crédits; maintenant il produit des assets pour se solvabiliser. Et les apprentis-sorciers qui prétendent le conduire et le diriger ne sont que les pythies de mystère qui les dépassent.

Treasury Secertary Timothy Geithner (left) and Federal Reserve Chairman Ben Bernanke pose for photos during the unveiling of the new $100 note at the Treasury Department April 21, 2010 in Washington, D.C. (Chip Somodevilla/Getty Images) From The Big Picture’s 2010 in Photos collection on boston.com 

 Mais comme dans tout système dont la logique est cachée, ce que l’on voit, ce sont les grands prêtres et leurs complices, ce que l’on voit, ce sont ceux qui en profitent en attirant à eux le Pouvoir et les richesses. Le Système étant devenu financier, le Pouvoir est aux Banques Centrales et l’argent aux banquiers. 

Nous reviendrons bientôt sur ce qui a permis au  système de devenir financier et sur ce qui a lui a permis d’éclipser le système économique et le réel. Juste une piste.

C’est la dérégulation du début des années 80 en ceci qu’elle a permis de supprimer les référents, elle a permis de débarrasser les assets de leur valeur intrinsèque, elle a permis de leur conférer des valeurs extrinsèques, relatives, c’est à dire qu’elle a permis de les soumettre aux Banques Centrales par le biais des taux d’intérêt, par le biais des quantités de monnaie et par le biais des communications pseudo-transparentes. 

La pierre angulaire de cette transmutation de la nature des assets financiers est constituée par l’imposition conjointe de la théorie des marchés efficients et de l’Equation de la Fed. C’est à ce moment et c’est ainsi que le système est passé de capitaliste réel à financier virtuel.

BRUNO BERTEZ LE 25 MARS2011

EDITO PRECEDENT :

L’Edito : Le monde réel est un monde de risques par Bruno Bertez

EN BANDE SON :  

7 réponses »

  1. Vendredi 25 mars 2011 :

    Le Portugal et l’Irlande viennent de battre leurs records : leurs taux à 10 ans n’ont jamais été aussi élevés.

    Italie : taux des obligations à 10 ans : 4,758 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GBTPGR10:IND

    Espagne : taux des obligations à 10 ans : 5,173 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPG10YR:IND

    Portugal : taux des obligations à 10 ans : 7,786 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT10YR:IND

    Irlande : taux des obligations à 10 ans : 10,119 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GIGB10YR:IND

    Grèce : taux des obligations à 10 ans : 12,576 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GGGB10YR:IND

  2. je partage cette analyse mais la fin de l’histoire est connue: la chute des USA ,ce qui n’est pas connu c’est la date

  3. Mercredi 30 mars 2011 :

    Les investisseurs internationaux n’ont plus aucune confiance dans la capacité du Portugal à rembourser ses dettes.

    Les obligations de l’Etat portugais sont en train d’exploser. Les taux atteignent des records historiques.

    Regardez ces trois graphiques :

    Portugal : taux des obligations à 2 ans : 7,910 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT2YR:IND

    Portugal : taux des obligations à 5 ans : 9,040 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT5YR:IND

    Portugal : taux des obligations à 10 ans : 8,045 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT10YR:IND

  4. Jeudi 31 mars 2011 :

    Les investisseurs internationaux n’ont plus aucune confiance dans la capacité du Portugal à rembourser ses dettes. Les obligations de l’Etat portugais sont en train de battre des records historiques.

    Portugal : taux des obligations à 2 ans : 8,777 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT2YR:IND

    Portugal : taux des obligations à 5 ans : 9,616 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT5YR:IND

    Portugal : taux des obligations à 10 ans : 8,408 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT10YR:IND

  5. – Emprunt à 12 mois :

    En juillet 2010, le Portugal avait lancé un emprunt à 12 mois : le Portugal avait dû payer un taux d’intérêt de 3,159 %.
    Vendredi 1er avril 2011, le Portugal a de nouveau lancé un emprunt à 12 mois : il a dû payer un taux d’intérêt de … 5,793 % ! (Par comparaison, la France doit payer un taux d’intérêt de 0,475 % pour un emprunt à 12 mois).

    Portugal : taux des obligations à 2 ans : 8,721 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT2YR:IND

    Portugal : taux des obligations à 5 ans : 9,740 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT5YR:IND

    Portugal : taux des obligations à 10 ans : 8,501 %.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT10YR:IND

  6. Marc Touati, directeur général d’Assya Compagnie Financière, revient sur les situations comparées du Portugal, en pleine tourmente, et des autres pays périphériques de la zone euro.

    « Le Portugal va-t-il faire déborder le vase eurolandais ? »

    Après la Grèce en 2009-2010 et l’Irlande fin 2010, c’est au tour du Portugal de faire trembler les fondements de l’Union Economique et Monétaire.

    Et même s’il ne représente que 2.3% du PIB de la zone euro, le Portugal pourrait bien constituer le « verre d’eau qui fera déborder le vase eurolandais ». En effet, à la différence de la Grèce et de l’Irlande qui ont connu presque vingt ans de croissance forte, le Portugal est resté englué dans la mollesse économique. Ainsi, de 1990 à 2007, c’est-à-dire avant le début de la crise, la progression annuelle moyenne du PIB a atteint 2,3 % au Portugal. Ce qui est certes supérieur à la « performance » de la France (1,9 %), mais très inférieur à celle de l’Irlande (6,4%), de la Grèce (3,1%) ou encore du voisin espagnol (3,1%).

    Le comparatif des évolutions de PIB par habitant est encore plus édifiant. Et pour cause : de 1990 à 2007 (donc, une fois encore, avant la crise), la richesse par habitant de l’Irlande a augmenté de 318% en valeur et de 129% en volume. Celle de la Grèce a flambé de respectivement 383% et 53%. De quoi rappeler que la montée en puissance de l’économie hellène s’est aussi accompagnée d’une forte inflation.

    Toujours est-il que le Portugal reste loin de ces performances puisque, de 1990 à 2007, son PIB par habitant a progressé de 187% en valeur et de 37% en volume. Autrement dit, la Grèce et l’Irlande ont tellement « bien vécu » de 1990 à 2007 que la récente crise est certes douloureuse, mais demeure supportable. A l’inverse, le Portugal et les Portugais n’ont pas suffisamment amélioré leur niveau de vie pour pouvoir supporter une nouvelle cure d’austérité.

    Comme c’était déjà le cas en 1990 et en 2000, le PIB par habitant du Portugal reste même l’un des plus faibles de la zone euro. En 2010, il n’était ainsi que de 16 000 euros, contre 21 000 pour la Grèce et 34 900 euros pour l’Irlande. A titre de comparaison, celui de la France n’est que de 31 000 euros. Au classement des PIB/habitant de l’ensemble de la zone euro, l’Irlande est ainsi passée de la neuvième place en 1990 à la deuxième place de 2000 à 2009, pour finalement rétrograder en troisième position en 2010, quasiment à égalité avec les Pays-Bas. Dans ces conditions, l’Irlande paraît la plus à même de sortir assez rapidement de la crise de la dette publique. Et ce d’autant que cette dernière ne représente « que » 93% du PIB irlandais. Un niveau élevé, mais qui devrait se réduire dès 2011-2012 grâce au retour de la croissance.

    Pour la Grèce, ce sera évidemment beaucoup plus difficile. Certes, en matière de PIB/habitant, elle a quitté la dernière place qu’elle occupait en 1990 pour arriver à la douzième place l’an passé, malgré la crise. En fait, son problème principal réside dans une dette publique de plus de 130% en 2010 qu’il faudra tôt ou tard restructurer.

    A l’inverse, si la dette publique du Portugal représente « seulement » 83 % de son PIB (soit environ deux points de moins qu’en France), sa structure sociale apparaît encore plus fragile que celle de la Grèce. Ainsi, d’avant dernier en 1990, son PIB/habitant est désormais dernier de la zone euro. Du moins si l’on met de côté Malte et la Slovaquie, qui étaient évidemment très loin de l’Euroland et même de l’Union européenne en 1990. Pour ne rien n’arranger, le taux de chômage portugais demeure fort et la crise politique qui vient de frapper le pays devrait encore accroître les incertitudes, donc freiner le peu de reprise qui se dessinait depuis quelques mois.

    Dans ce cadre, les taux d’intérêt des obligations d’Etat ont encore atteint des sommets, dépassant la barre psychologique des 8 %. Déjà particulièrement salée, la charge d’intérêts de la dette va donc encore s’alourdir pour avoisiner les 5,5% du PIB en 2011 (après déjà 4% du PIB en 2010). Croissance économique affaiblie, taux d’intérêt en hausse, désordre politique : les déficits publics apparaissent condamnés à rester élevés en 2011 et au moins jusqu’en 2012. D’où de nouvelles dégradations des notations en perspective, puis une tension aggravée sur les taux d’intérêt des obligations d’Etat, donc plus déficits… et le cercle pernicieux continuera.

    C’est alors que les difficultés sociales portugaises prendront toute leur importance. Car si déjà en Irlande et en Grèce, en dépit d’une croissance forte depuis vingt ans, les dérapages sociaux ont été difficiles à maîtriser, la situation risque d’être encore bien plus délicate au Portugal. Dès lors, ce dernier pourrait être tenté de claquer la porte de la zone euro, mettant définitivement en péril l’existence même de cette dernière.

    Comment éviter ce scénario catastrophe ? Il n’y a qu’une issue possible : restaurer la croissance du Portugal et plus globalement celle de l’Euroland. Pour ce faire, il faudra rapidement retrouver un euro normal, c’est-à-dire autour des 1,15 dollar et mettre en oeuvre une politique budgétaire efficace à l’échelle de l’UEM.

    Si les dirigeants eurolandais n’y parviennent pas, le Portugal pourrait bien devenir le maillon faible qui fera exploser la zone euro…

    http://www.boursorama.com/votreinvite/interview.phtml?num=df99704e8d246a65259e23fb127962a9

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