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L’utilité de décrypter intelligemment 1973 par Andréas Hofert

L’utilité de décrypter intelligemment 1973 par Andréas Hofert

Comme en 1973, nous aurions tort de nous laisser berner par des facteurs «spécifiques». En fin de compte, l’inflation est toujours et partout d’abord un phénomène monétaire.

La comparaison de la situation actuelle au Moyen-Ortient avec la crise pétrolière du début des années 1970 est évidemment tentante. Mais est-elle vraiment raisonnable?

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Comme un clin d’œil de l’histoire, la résolution de l’ONU qui permet à ses membres «de prendre toutes les mesures nécessaires (…) pour protéger les populations civiles (…) tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère» porte le numéro 1973. 1973, ce fut l’année où, dans la foulée de la guerre du Kippour, les cours du pétrole se sont envolés suite à la proclamation d’un embargo pétrolier par les pays arabes membres de l’OPEP. Ces hausses ont, à leur tour, alimenté ce qui est resté dans l’histoire comme la «Grande inflation» de la fin des années 1970 et du début des années 1980.

Lorsque l’on se penchera dans vingt ans sur les événements de l’année 2011, il y a fort à parier que bon nombre d’experts attribueront la deuxième «Grande inflation» (celle qui aura lieu dans la décennie actuelle jusqu’au début des années 2020) au printemps arabe, à la guerre en Libye, à un nouveau choc pétrolier et à d’autres facteurs «spécifiques». Mais, prendre la résolution 1973 comme la cause première de l’inflation future est une interprétation tout aussi simpliste que l’est l’embargo pétrolier de 1973 pour expliquer la poussée inflationniste observée il y a trente ans.

Dans les deux cas, quelque chose de plus profond était, ou sera, à l’œuvre: la perte de confiance dans la monnaie. En 1973, suite à la fin du système de Bretton Woods (abandon des taux de change fixe, fin de la convertibilité-or), le dollar US s’est spectaculairement affaibli par rapport à des monnaies plus solides. L’abrogation de la convertibilité-or du dollar et une politique monétaire très expansionniste avaient alors miné la confiance dans la monnaie américaine.

Dans cet environnement, il était inéluctable que le cours du pétrole, fixé par rapport au dollar US, augmente. Le boycott de l’OPEP n’aura fait qu’accélérer un processus – d’une manière vraiment catalytique – qui se serait de tout façon réalisé. Après cela, il faudra attendre le début des années 1980 et la nomination de Paul Volcker à la tête de la Réserve fédérale pour que la confiance à l’égard du dollar US soit rétablie. Au cours des années 1970, le dollar s’était déprécié de plus de 30% par rapport au yen japonais, de plus de 50% par rapport au Deutsche Mark et de 60% environ face au franc suisse.

A l’heure actuelle, des forces similaires sont à l’œuvre. Bien sûr, le temps où les monnaies étaient adossées à l’or est révolu. Aujourd’hui, ce qui fait la force d’une monnaie, c’est la confiance et la conviction que nous avons que les banquiers centraux en défendront la valeur. A mon avis, c’est justement cette confiance qui est de plus en plus remise en question et qui s’effrite actuellement.

Les banques centrales, qui sont tenues d’assurer la stabilité financière, n’ont pas vu venir – c’est un euphémisme – la crise financière de 2007-2009. De plus, même si elle s’en dédit ou essaie tout au moins d’atténuer sa responsabilité, c’est bien la Réserve fédérale US et sa politique monétaire ultra-expansionniste, dans le sillage de la récession de 2001, qui ont posé les fondations de la bulle immobilière et du crédit et  qui ont engendré des excès du système financier qui s’en sont suivis. A présent, avec la monétisation de la dette gouvernementale dissimulée derrière son deuxième programme d’assouplissement quantitatif, la Réserve fédérale est encore plus laxiste qu’au milieu des années 2000.

 Et elle n’est pas seule. D’autres banques centrales pratiquent également la monétisation des dettes d’Etats. Même la Banque centrale européenne, réputée plus vertueuse en matière d’inflation, a monétisé des dettes grecque, irlandaise et portugaise depuis neuf mois pour un montant de 77 milliards d’euros.

Quand ce comportement dissolu et laxiste se retournera-t-il contre les banques centrales?

 Les prix de l’énergie et de l’alimentation ont déjà fortement augmenté. Mais, comme en 1973, des facteurs «spécifiques» tels que l’agitation dans le monde arabe, les inondations en Australie et la sécheresse en Russie servent d’explication pour cette flambée des prix. En outre, comme les banquiers centraux le répètent à l’envi, ces prix ne font pas partie de l’inflation sous-jacente et ne sont donc pas de leur ressort. Un banquier central semble donc appartenir à cette espèce un peu spéciale d’êtres humains qui ne se nourrissent pas, ne se chauffent pas et ne se déplacent pas. Cependant, ce n’est plus qu’une question de temps avant que l’argument de l’inflation sous-jacente fasse long feu.

Dans les prochains mois, on peut s’attendre à une valse des étiquettes dans l’habillement et les produits textiles en raison des cours historiquement élevés du coton. Les produits importés de Chine pourraient voir leur prix augmenter à cause de l’inflation et des hausses de salaires obtenues par les travailleurs chinois. Enfin, la pénurie de semi-conducteurs liée à la paralysie de l’économie japonaise contribuera à augmenter les prix des appareils électroniques. Chacune de ces hausses de prix peut encore une fois être attribuée à des facteurs «spécifiques». Néanmoins, une fois tous ces facteurs mis bout à bout, c’est un fort faisceau de présomption qui se dégage et qui fait suspecter que quelque chose de plus profond est à l’œuvre.

Comme en 1973, nous aurions tort de nous laisser berner par des facteurs «spécifiques». En fin de compte, l’inflation est toujours et partout d’abord un phénomène monétaire.

Andreas Höfert  Chef économiste UBS Wealth Management Research MARS11

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