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La Fin du Dollar ?

La Fin du Dollar ?

Paru récemment chez Favre, «La Fin du dollar» de  Myret Zaki  vaut certainement mieux que ce que l’on entend de la part de celles et ceux qui auront pris le titre au pied de la lettre. Il ne s’agit pas de la mort ou de la disparition de la devise américaine. Juste l’histoire, et surtout l’actualité de son lent déclin par paliers. Surdocumenté, mené à charge et au pas de charge (à l’américaine), cet essai ne laisse aucun espoir de rémission. Certains passages paraissent tout d’un coup très éclairants. Comme celui-ci, qui reflète la perception européenne de deux approches irréconciliables de l’économie.

EXTRAITS

PLUS DE DOLLAR EN SUIVANT :

deux approches irréconciliables de l’économie.

Ala politique expansionniste et non conventionnelle de la Réserve fédérale s’opposent la prudence et le régime de rigueur européen. Les Européens résistent à la vision américaine, qui est aussi celle des marchés. Ils s’efforcent de réduire les déficits budgétaires et considèrent, à raison, que les efforts d’austérité d’aujourd’hui seront récompensés dans le futur. À l’inverse, le mot «austérité» a disparu du vocabulaire américain depuis longtemps, cette dernière étant perçue, par les investisseurs, comme «néfaste pour la croissance».

De sorte que, même si en 2011 la croissance américaine s’avère supérieure à celle de l’Europe, le prix que paieront les États-Unis pour avoir reporté indéfiniment le retour à l’austérité est incalculable à long terme. Bien plus conservatrice, la BCE a choisi de limiter tant que possible, en novembre 2010, les injections de liquidités telles que les pratique la Fed à coups de rachats massifs de titres publics. S’agissant des rachats d’obligations de pays en difficulté par la BCE, ils se sont limités à 72 milliards d’euros à la fin 2010, soit 90 de milliards de dollars. En incluant les rachats de titres de dette privée, la BCE se porte garante de quelque 200 milliards d’euros. En comparaison, la Fed aura procédé, d’ici juin 2011, au rachat de titres s’élevant à 2300 milliards de dollars, dans le cadre de ses deux programmes d’»assouplissement quantitatif» (QE I et II), dont 1000 milliards de titres toxiques, gagnant au passage le surnom de «décharge financière». En d’autres termes, la comparaison est quasiment absurde puisque les interventions américaines se chiffrent au décuple. Malgré cela, la BCE estime avoir fait une grande concession en rachetant des titres, car elle a dérogé à l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’UE qui lui proscrit la  «monétisation de la dette», à savoir le procédé de «faire tourner la planche à billets».  (…)

Les deux banques centrales ont des visions très différentes de l’inflation.

 La Fed a choisi de se concentrer sur l’inflation de base (core inflation), qui exclut l’alimentation et l’énergie, faisant abstraction de la flambée historique des prix des matières premières. Elle a gardé les taux d’intérêt trop bas et alimenté la bulle subprime qui a «intoxiqué» le secteur financier de tous les pays développés. A l’opposé, la BCE a choisi de se concentrer sur l’inflation totale, qui tient compte de l’influence des pays émergents sur la hausse des prix des matières premières. Cela s’est traduit par une politique monétaire beaucoup plus accommodante pour la Fed, qui aura maintenu, durant la décennie 2000- 2010, des taux d’intérêt réels nuls à négatifs la moitié du temps, un comportement impensable en Europe, où le taux d’intérêt de la BCE s’est maintenu sur la décennie dans une fourchette de 2% à 4,25%, et n’est descendu sous les 1% que depuis mai 2009.

En résumé, l’Europe s’est caractérisée par une gestion économique plus responsable et par une vision à long terme qui contraste avec le choix américain de politiques gratifiantes à court terme mais suicidaires à long terme. Ce faisant, l’Euroland a été sans cesse sanctionné comme étant moins performant par une communauté financière avide de «jetons» pour alimenter le «casino», et d’anabolisants pour doper les marchés boursiers. Aux États-Unis, cela s’est traduit par une politique de surstimulation conduisant à l’expansion forcée d’une économie qui devait absolument se rétracter, le temps de s’assainir et de se mettre au régime. Si bien que ces vingt dernières années, l’Europe a été vue et vécue comme rigide et ennuyeuse par des opérateurs des marchés réclamant sans cesse qu’elle s’aligne sur la politique monétaire américaine, «davantage orientée sur la croissance», et qu’elle se débrouille pour stimuler l’endettement des consommateurs, idéal dicté par le modèle     américain. «Toujours à la traîne», l’Europe fait moins bien que les États-Unis dans les périodes d’euphorie, grimace-t-on, et tombe plus sévèrement en récession dans les périodes de crise, même quand ces crises ont pour origine les États-Unis.

Et l’on fait mine d’ignorer que l’Europe, parce qu’elle triche moins avec son économie, souffre plus longtemps lorsqu’elle se retrouve infectée, sur son territoire, par les produits toxiques des banques américaines. En effet, les mêmes «solutions de dopage» que Goldman Sachs a vendues à la Grèce ont été utilisées au début des années 2000 par différentes banques régionales et entités publiques d’Europe, y compris en Italie, au Portugal, dans les Länder allemands, et les pays de l’Est. Mais les autorités nationales et communautaires n’étaient pas prêtes à apporter des remèdes aussi extrêmes que leurs homologues américaines.

A l’origine de la «Grande Récession» mondiale de 2008- 2009, on trouve une dérive des pratiques de la finance  américaine qui résulte d’un démantèlement, à partir des années 1980, de dizaines de lois protégeant l’épargne, suivi d’un affaissement sans précédent des standards d’éthique et de prudence minimaux dans le monde des banques et des entreprises. Ces évolutions ont débouché sur une culture du levier excessif et de la tricherie comptable institutionnalisée, qui a contaminé le système financier mondial public et privé, trop content de s’y exposer, mais trop mal préparé pour s’en dépêtrer. Malgré cela, les États-Unis restent plus que jamais perçus comme l’étalon de la réussite économique et financière l’Europe est déclarée perdante à tous les concours. Celui de la monnaie et de la politique des taux d’intérêt, celui de la croissance économique, celui de la productivité horaire, du niveau des salaires et des réformes du marché du travail, celui de la discipline budgétaire. Et quand la crise américaine des subprime a éclaté, c’est effectivement l’Europe qui a le plus souffert, parce qu’elle s’interdit de régler tous les problèmes avec la planche à billets.

Ce biais évident s’est reflété dans la surperformance de l’indice américain Dow Jones par rapport à l’indice européen Euro Stoxx 50 entre 2003 et aujourd’hui, le marché pénalisant les politiques plus prudentes, qui privilégient le long terme. Mais là encore, le mythe l’emporte sur la réalité. Le lieu commun concernant la croissance américaine supérieure est invalidé par les chiffres. D’une part, le PIB par habitant européen a progressé légèrement plus que celui des États- Unis depuis 2000. D’autre part, les entreprises européennes sont plus compétitives, sur bien des plans, que leurs homologues américaines. Rappelons que selon le Forum économique mondial, sur les 20 économies les plus compétitives du monde, 12 sont européennes12 (dont 7 utilisent l’euro).

Alors que les exportations des entreprises européennes ont pu maintenir leur part de 17% du marché mondial depuis 2000, la part de leurs rivales américaines a chuté de 17% à 11% sur la même période. Elément qui se reflète dans la balance commerciale très saine de l’Europe. Sur les 100 plus grandes multinationales du monde, l’Union européenne a hissé sa part de 57 à 61 entre 1991 et 2009. A l’inverse, de 26, les Etats-Unis n’en arborent plus que 19. La clé de ce succès: les entreprises d’Europe se sont le plus fortement globalisées, leur part des ventes hors de l’Union atteignant 39%, contre 30% pour les États-Unis.

Au plan de la productivité, la supériorité américaine est un autre mythe. Entre 1995 et 2005, si l’on ajuste les données pour tenir compte des différences entre les cycles économiques, la croissance tendancielle de la productivité dans la zone euro s’avère légèrement supérieure à celle des États-Unis, estimait Kevin Daly, économiste chez Goldman n Sachs, en 2010.Concernant  les petites et moyennes entreprises, là aussi leur productivité n’a rien à envier à celles du Nouveau Continent. Et leur taux de globalisation est très élevé, car la part de leurs ventes à l’étranger atteint souvent 80%. Surtout, leur degré d’innovation est en fait nettement supérieur: l’essentiel des innovations industrielles de la dernière décennie a eu lieu en Europe, tandis qu’elles ont pratiquement disparu des Etats-Unis, où l’accent est quasi exclusivement sur l’innovation technologique (Apple, Google, Facebook).

En outre, d’innombrables producteurs industriels de niche, ainsi que les grands fabricants automobiles et de trains à grande vitesse (Renault, Fiat, Volkswagen, Alstom) sont européens et dominent aujourd’hui les échanges avec les géants émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine).

Au plan de la profitabilité, les entreprises d’Europe ont vu croître leurs bénéfices en moyenne de 13% de 1998 à 2008, contre près de la moitié (7%) pour leurs rivales américaines. Et si le secteur financier américain est nettement plus global et profitable que celui d’Europe, la crise de 2008 a montré qu’il est capable de détruire en quelques mois toute la valeur boursière créée en dix ans. En fin et surtout, l’immense faiblesse du modèle de croissance américain est qu’il est basé sur l’endettement. L’Europe a évidemment ses propres problèmes d’endettement, mais ses deux moteurs, l’Allemagne et la France, conserveront des  finances publiques plus saines que les États- Unis d’ici à 2014, prévoit le FMI. Si la balance commerciale européenne est restée solide, c’est avant tout parce que, face à la concurrence asiatique dans le secteur manufacturier et celui des services, les Européens ont su se concentrer sur les produits à haute valeur ajoutée, tels les biens de luxe et les outils de précision. Les Américains, eux, en perdant leur compétitivité dans le domaine manufacturier, se sont reportés sur la consommation à crédit.

C’est à cette fin que la Fed, qui a jouit d’une marge de manœuvre plus large que la BCE, a créé ex nihilo 2300 milliards de dollars depuis le début de la crise, contre seulement 70 milliards pour la BCE. Aux États-Unis, on aime la facilité: on imprime et on dévalue. Et les marchés applaudissent. Le fait que cela ait un coût élevé pour le futur passe à la trappe. Cette politique a implanté dans la perception des marchés l’idée que consommer à crédit produit de la richesse. Or cette «vérité» assénée partout est une belle fable: on s’enrichit uniquement lorsqu’on produit des biens et services et une   dette qu’on a laisser s’accumuler mine la croissance du PIB et la compétitivité du pays.

Et si le retour à la croissance post-2001 a été plus net aux Etats-Unis, c’est parce que l’Europe a calculé sa croissance de façon plus restrictive que les Etats-Unis13, sous-estimant la réalité, alors que les États-Unis ont, à l’inverse, gonflé leurs chiffres. Et encore une fois, la croissance américaine s’est faite à un coût futur nettement plus élevé que l’Europe, qui a relancé son économie sans stimulus.

Les États-Unis ont au contraire mis en place un stimulus fiscal et une politique monétaire extrêmement laxistes, qui n’ont fait que préparer la gigantesque destruction de valeur de 2008. Et depuis 2009, le même dopage fiscal et monétaire s’est remis en place, dans des proportions encore plus vastes… La fuite en avant est évidente.

Myret Zaki, «La fin du dollar», Editions Favre, Lausanne, 2011.

source agefi 4/5/11

EN COMPLEMENT : La fin du dollar? Minute…Par Jean-Pierre Béguelin

Du moins dans les librairies romandes*, le dollar est à l’agonie car il ne repose plus sur rien de tangible, si ce n’est de mauvaises dettes. La thèse est connue, c’est, entre autres, celle des gold bugs, des nostalgiques de l’or, ces phénix renaissant de leurs cendres à chaque crise pour prédire d’apocalyptiques lendemains. A force, ils devraient se méfier puisque les monnaies ont la vie dure. En fait, le dollar, né thaler dans les monts de Bohême vers 1520, est bien jeune face, par exemple, au dinar arabe, le denarius du Nouveau Testament. Une longévité un peu mystérieuse d’ailleurs, comme tout ce qui touche à la monnaie. Après tout, pourquoi accepter un morceau d’or, d’argent ou de coquillage en guise de paiement? Parce que cet objet se transforme facilement en bijou, satisfaisant ainsi un besoin de parure supposé inhérent à toute l’humanité. Mais alors une société austère et puritaine ne devrait-elle pas interdire la monnaie et se limiter au troc? En fait, ce vendeur a accepté ce signe parce qu’il sait que ce dernier lui servira à payer quelque chose demain ou, ce qui suppose un objet plus durable, après-demain. Et il le sait parce que c’est la coutume ou, mieux, la loi, ce qui de facto limite le territoire dans lequel une monnaie circule. D’ailleurs, plus le pouvoir est lointain et la loi changeante, plus le support du signe monétaire doit être rare et précieux: Darius battait de l’or, Périclès de l’argent et Léonidas du fer.

C’est pourquoi seules les démocraties légitimes du XXe siècle ont pu durablement faire accepter le billet de banque comme monnaie de transactions, de compte et de réserve. Seul, en effet, un régime de ce type permet au public de croire sincèrement que l’Etat œuvre pour le bien commun et non pas avant tout pour des intérêts privés, en particulier sur le plan juridique. Le droit des contrats y est respecté par les tribunaux, les valeurs promises ne fluctuent pas du jour au lendemain au gré des parties, comme c’est souvent le cas avec un pouvoir arbitraire, si bien qu’un simple bout de papier est une réserve de valeur crédible. Même de nos jours, cela n’est pas évident partout et l’on peut à juste titre penser que la forte demande d’or-épargne des Indiens et celle, grandissante, des Chinois reflètent en fait une profonde défiance de ces peuples face à leurs dirigeants et à leurs juges. Il n’est ainsi pas étonnant que tout affaiblissement durable du pouvoir légal s’accompagne de troubles monétaires.

Mais même si les billets ne sont plus thésaurisés, mais utilisés dès que possible, l’inflation débridée n’est pas préprogrammée. Il faut pour cela, outre la perte de confiance envers l’Etat, un effondrement simultané de la production, causé par exemple par l’occupation française de la Ruhr dans l’Allemagne de Weimar, les nationalisations débridées du début des Soviets ou la chasse aux fermiers blancs dans le Zimbabwe de Mugabe, pour ne citer que les plus célèbres exemples d’hyperinflation.

De telles phases ont toutefois été plutôt rares, surtout face à la formidable croissance que le monde a connue ces cent dernières années. C’est que l’instauration d’un régime monétaire purement fiduciaire a libéré nos économies d’un ces freins ancestraux: le manque de crédit et, par conséquent, de monnaie. Jamais ce dernier ne fut plus aigu que sous l’étalon-or le plus pur, soit entre 1870 et 1910, période durant laquelle neuf récessions se sont succédé aux Etats-Unis, la Banque d’Angleterre a souvent dû lever temporairement sa couverture-or, le protectionnisme grandissait en même temps que le mécontentement social. Entre la ruée californienne et l’ouverture des mines sud-africaines, le monde manqua en effet cruellement de métal jaune pour alimenter correctement son potentiel de croissance. Afin – comme le disaient certains – que l’humanité ne soit pas crucifiée sur une croix d’or, les banques centrales ont alors gagné des prérogatives, quand elles n’ont pas tout simplement été créées comme la Réserve fédérale américaine et la Banque nationale suisse. Mais le lien à l’or est resté malgré tout trop fort puisque c’est sans doute lui qui explique l’ampleur de la Grande Dépression des années 30.

 Face à ces manques et à ces crises et malgré tous ses défauts, le régime monétaire fiduciaire des cinquante dernières années paraît plutôt bénéfique. Certes, les banques centrales créent de la monnaie selon leur propre jugement, effrayant ceux qui ne comprennent pas que la valeur d’une monnaie ne réside pas dans sa couverture, mais dans sa capacité d’achat. Or cette création n’est pas inconsidérée puisque les billets sont toujours acceptés avec gusto par ceux qui ont la chance d’en recevoir. Pour des raisons plutôt comptables, ceux-ci semblent gagés sur des reconnaissances de dettes, mais ce pourrait ne pas être le cas s’ils étaient mis en circulation non pas au travers des banques, mais autrement, semés depuis un hélicoptère par exemple.

Dans ces conditions, la mort d’une monnaie est chose essentiellement politique. Elle peut être décidée à froid, comme pour les anciennes devises de la zone euro. Elle peut aussi – et c’est plus souvent le cas – disparaître parce que la société légale ne fonctionne plus. On peut certes être pessimiste sur l’avenir des Etats-Unis, mais seules les Cassandre soutiennent que ce pays est sur le point de s’effondrer. Le dollar va donc survivre d’autant que l’économie américaine repart, que jamais l’Etat fédéral n’a emprunté si bon marché et qu’au lieu de l’inflation, c’est plutôt la déflation qui menace, ce qui augmente encore l’attrait des Américains pour leur monnaie. Certes, le billet vert pourrait vivoter dans son coin, mais perdre ses prérogatives internationales. N’oublions toutefois pas que, plus qu’une réserve de valeur, c’est la devise véhiculaire des échanges mondiaux, celle dans laquelle la plupart des prix se cotent et les transactions se règlent. Or, ni le renminbi toujours inconvertible, ni l’euro au territoire mal assuré ne peuvent jouer ce rôle aujourd’hui, et même demain. Ce ne sera a fortiori pas le cas d’un panier type DTS, un instrument qui ne peut servir aux transactions, personne ne sachant jamais quelle composante du panier utiliser. Pour preuve, l’ECU ne fut monnaie qu’en devenant euro. Toutes propositions de réforme du système monétaire international basées sur un tel panier ne sont donc que salive perdue. Sauf évidemment si, à l’instar de l’union monétaire européenne, on créait une banque centrale mondiale émettant, mettons, des bancors, comme Keynes l’avait proposé à Bretton Woods en 1944, une idée que personne ne va sérieusement défendre après les déconvenues que la politique taille unique de la BCE a amenées.

Bref, le dollar mourra, mais personne «ne sait ni le jour, ni l’heure», comme le dit l’Ecriture.

* Myret Zaki, «La fin du dollar», Editions Favre, Lausanne, 2011.

Source le temps avril11

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