Affaire Strauss-Kahn : Les critiques françaises laissent l’Amérique de marbre
Un directeur du FMI menotté et livré aux photographes a choqué les Français. Rien de plus normal de l’autre côté de l’Atlantique
Ces jours, être Français (ou francophone) aux Etats-Unis, c’est s’exposer à des coups d’œil entendus, ou à des remarques ironiques. Ainsi vont les malentendus culturels: tandis qu’en France on dénonce à qui mieux mieux le traitement réservé à Dominique Strauss-Kahn et la «brutalité» du système judiciaire américain, les hommes français sont devenus ici autant de womanizers (coureurs de jupons) en puissance. La présomption d’innocence ne s’applique plus.
PLUS/MOINS DE DSK EN SUIVANT :
Un Dominique Strauss-Kahn sortant du commissariat menottes aux poignets, exposé aux flashs des photographes avant que les clichés soient repris dans le monde entier. L’épisode – suivi par le refus d’une juge de libérer sous caution le directeur du FMI et par son incarcération à la prison de Rikers Islands – a fait s’indigner une partie de la France, où pareil traitement d’un suspect est interdit par la Loi Guigou adoptée en juin 2000. La justice américaine voulait «s’offrir un Français», en est venu à déclarer Jack Lang en évoquant la «politisation du système américain».
A son tour, ce type de réactions a provoqué aux Etats-Unis une levée de boucliers face à des Français si prompts à garantir les droits du prévenu mais qui passent sous un silence presque absolu les tourments de la victime (présumée). Une femme de chambre d’origine à la fois africaine et modeste, mère célibataire, à propos de laquelle les responsables de l’hôtel Sofitel ont fait circuler une note demandant aux employés: «Ne l’obligez pas à raconter. Prenez-la silencieusement dans les bras.»
La confrontation de DSK avec les photographes n’est pas réservée aux Français, pas plus qu’elle n’était due au hasard. Le perpetrator walk, qui consiste à montrer les suspects à la curiosité du public, est peut-être un calvaire pour eux, mais c’est une tradition établie de longue date dans beaucoup d’Etats américains. New York s’y est mis dans les années 1990, en pleine vague de «tolérance zéro» envers la violence et pour mieux effrayer les criminels en col blanc, mis dans le même sac. Partout, ce rituel s’inscrit en outre dans le respect du 1er amendement de la Constitution, qui garantit un caractère pratiquement sacré à la liberté d’information.
La concurrence médiatique aux Etats-Unis a fait le reste. Après tout, le joueur de football américain O.J. Simpson était encore présumé innocent lorsqu’une nuée d’hélicoptères filmait sa fuite en voiture, en 1993, devant les yeux de l’Amérique entière. Après tout, les «crimes» reprochés au président Bill Clinton n’étaient que peccadilles face à ceux que l’on attribue au Français. Ce qui ne le protégea pas d’une humiliation comparable, comprenant quatre heures d’audition filmée où ne fut épargné aucun détail de son aventure avec la stagiaire Monica Lewinsky.
«Il est opportun de rappeler qu’il fut un temps où les hommes puissants pouvaient s’attendre à ne pas être inquiétés pour ce genre d’agissements, commentait l’éditorialiste vedette du Washington Post Eugene Robinson. Oui, c’était au temps des dinosaures, et Dominique Strauss-Kahn donne toutes les preuves d’en être un lui-même.» Au rayon des stéréotypes, plusieurs responsables américains ont aussi mis en avant la «tradition monarchique» de la France pour mieux souligner «le code du silence» qui règne dans ce pays entre les hommes politiques, les médias et la justice.
Si Strauss-Kahn avait été protégé par l’immunité diplomatique, il aurait sans doute échappé au perpetrator walk et autres désagréments, notent encore les analystes américains. Mais les faits qui lui sont reprochés sont trop graves, et son intention de fuir le pays était trop évidente pour être libéré sous caution, a conclu la justice new-yorkaise.
Après avoir semblé nier en bloc les faits, les avocats de Dominique Strauss-Kahn s’apprêteraient à arguer que la femme de chambre a eu une «relation consentante» avec le prévenu, croyait savoir hier le New York Post, qui a été jusqu’ici bien informé sur ce dossier. Une ligne de défense qui convaincra sans doute Bernard-Henri Lévy. Sa dernière chronique, dans laquelle il semblait sous-entendre une certaine responsabilité de la femme de chambre (entrée «seule» dans la chambre) a embrasé hier les blogs américains. BHL, l’un des intellectuels français les plus connus aux Etats-Unis, risque fort de sombrer avec son ami DSK. Au risque d’ajouter encore à l’incompréhension transatlantique? «BHL, une honte nationale française», titrait le site conservateur Reason.
Par Luis Lema New York /le temps mai11
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La procédure judiciaire à l’américaine Par Angélique Mounier-Kuhn
Avocat en vue à New York, Barry Kingham est partenaire au sein du cabinet Curtis, Mallet-Prevost, Colt & Mosle. Il détaille, étape par étape, la procédure judiciaire à l’américaine. Jusqu’au jugement, l’inculpé est présumé innocent. C’est au procureur de démontrer sa culpabilité. L’accusé n’a aucune obligation de se défendre, et l’identité de la victime peut être protégée tout au long de la procédure
L’arrestation
Comme ce fut le cas pour DSK, samedi 14 mai, le suspect est arrêté par la police, conduit au poste. Il est placé derrière une vitre sans tain, au milieu de quidams. Si la victime présumée l’identifie, la police boucle les formalités d’arrestation et le conduit devant la cour de justice qui siège 24 heures sur 24.
L’accusation
Les faits reprochés lui sont détaillés à partir de la plainte signée par la police sur la base des déclarations de la victime. Le procureur expose les faits contenus dans la plainte. L’avocat de la défense essaye de négocier une libération sur caution. Dans le cas de DSK, la juge a refusé, estimant que le risque de fuite était trop élevé et il a été incarcéré lundi soir. A ce stade, il n’est encore qu’accusé.
L’inculpation
Dans un délai de trente jours, le procureur produit la victime devant le grand jury, constitué de 23 personnes ordinaires. C’est à lui de décider s’il y a matière à poursuite. Dans l’affaire DSK, hypersensible et médiatisée, l’échéance a été écourtée au maximum et l’audience est prévue ce vendredi. Si le grand jury prône la poursuite, ce qui est vraisemblable au regard de la gravité des accusations qui pèsent sur DSK, il sera formellement inculpé (indictment).
Le procès
Une date est fixée pour le début du procès, ce qui peut prendre des mois. L’enjeu est alors de savoir ce qu’il advient de l’inculpé en attendant l’ouverture du procès. Il est à nouveau présenté devant le juge. Dans l’intérêt de sa santé, physique et psychique, et de la préparation de la défense – il est bien plus aisé de peaufiner les arguments avec un inculpé hors de la prison – ses avocats plaident une libération sous caution. Si le juge l’accorde, il en définit le montant, assez élevé pour écarter le risque de fuite. L’inculpé peut avoir à porter un bracelet électronique.
La négociation
A tout moment de la procédure, la défense peut approcher le procureur pour négocier une réduction éventuelle de la peine et l’abandon de certaines charges, à condition de plaider coupable sur d’autres. (DSK encourt 74 ans de prison).
Compte tenu de la visibilité de l’affaire, il est peu plausible qu’une négociation, en marge de la justice, s’ouvre directement avec la victime, l’incitant à retirer sa plainte moyennant une transaction financière.
EN COMPLEMENT : L’affaire pourrait marquer la fin de l’omerta des médias français
La tradition de tolérance à l’égard des séducteurs et des écarts conjugaux vacille. L’affaire Strauss-Kahn pourrait marquer la fin de l’omerta
«DSK et les femmes: un secret de Polichinelle.» Sous ce titre, le correspondant de Libération dans la capitale belge rappelle les mots écrits sur son blog «Coulisses de Bruxelles», en juillet 2007. Commentant la candidature du socialiste à la tête du FMI, Jean Quatremer écrivait: «Le seul vrai problème de Strauss-Kahn est son rapport aux femmes. Trop pressant, il frôle souvent le harcèlement. Un travers connu des médias, mais dont personne ne parle (on est en France). Or, le FMI est une institution internationale où les mœurs sont anglo-saxonnes. Un geste déplacé, une allusion trop précise, et c’est la curée médiatique.»
«Tout le monde savait», a résumé Marine Le Pen dimanche. Dans Libération, Jean Quatremer raconte comment les confrères avaient chacun «une anecdote à raconter». Il assure avoir «à plusieurs occasions» vu DSK «draguer ouvertement et lourdement des consœurs». «Mais en France, poursuit-il, on ne parle pas dans la presse de ce que l’on appelle la vie privée: celle-ci n’est pas un objet d’enquête journalistique.» Ainsi en est-il allé de la double vie de François Mitterrand et de sa fille illégitime Mazarine, ou plus récemment, de la séparation de François Hollande et Ségolène Royal en pleine campagne présidentielle. Le premier exemple illustre la tradition de tolérance à l’égard des séducteurs et des écarts conjugaux; le second, la pratique de stricte séparation de la vie privée et publique.
«A-t-on péché?»
Mais le cas DSK appartient à un autre registre. Certaines rumeurs sur son libertinage entre adultes consentants relevaient certes de la vie privée, mais une accusation autrement plus grave a été portée. Elle relèverait, si elle était avérée, du registre de l’agression. Michel Taubmann la relate dans Le roman vrai de Dominique Strauss-Kahn*. En 2007, Tristane Banon, jeune journaliste et écrivaine, témoigne dans une émission d’une interview avec Dominique Strauss-Kahn qui se serait terminée, selon elle, par une tentative d’agression sexuelle. L’affaire en restera là, essentiellement parce que la jeune femme ne porte pas plainte. Depuis que le patron du FMI a été inculpé, la mère de l’écrivaine, élue socialiste, a dit ses regrets d’avoir dissuadé Tristane, amie de l’une des filles de DSK, de déposer plainte. «Le patron du FMI a été l’objet d’analyses très élogieuses, mais de bien peu d’enquête», remarque Christophe Deloire, l’auteur de «Sexus politicus» dans Le Monde de mardi, dénonçant «l’étrange omerta des médias», qui «ne cherchent pas à savoir» la vérité.
De fait, le silence qu’ils ont entretenu autour des frasques de DSK les pousse à l’autocritique et les mœurs journalistiques pourraient ainsi évoluer. Plusieurs journaux ont publié hier des analyses ou des éclairages sur la question. «A-t-on péché, s’interroge le journaliste du Monde Gérard Courtois, […] par pusillanimité, aveuglément ou tartufferie?»
Sur le site Rue 89, Pierre Haski reconnaît la «retenue de la presse française» et «la frontière difficile à tracer entre ce qui appartient au champ du privé et doit y rester, et ce qui a un impact sur le public». Si les infidélités conjugales sont d’après lui du domaine privé, «le harcèlement sexuel ou pire encore le viol (sont) du registre du crime et donc nécessairement publics». Surtout, «la protection de la vie privée ne doit pas servir de prétexte à cacher des pans entiers de la personnalité de politiciens qui sont candidats à diriger le pays».
Pour autant que les charges retenues contre DSK s’avèrent fondées, Edwy Plenel, le fondateur de Mediapart estime que la manière de traiter ces affaires ne pourra qu’évoluer. «Ce sera un séisme, si l’on découvre que ce que l’on mettait par hypocrisie ou complaisance sur le compte de la séduction et de l’appétence pour les femmes cachait en fait quelque chose de pathologique recouvrant des actes délictuels.» Après cela, «les élites françaises ne pourront plus s’accommoder du rapport de domination masculine dans les lieux de pouvoir».
Reste cette question posée par Edwy Plenel et Gérard Courtois: la responsabilité des socialistes. Si le cercle amical et politique du patron du FMI savait des choses qui allaient au-delà des rapports de séduction, pourquoi a-t-il pris un risque politique aussi lourd pour sa famille politique et son pays?
* Editions du moment, 2011.
Par Catherine Dubouloz Paris /le temps mai11
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Quand trop aimer le sexe est une maladie Par Sylvie Arsever
Sept à huit pour cent des humains «ne pensent qu’à ça», comme on le dit familièrement. Certains le vivent très bien. Mais cela peut aussi entraîner pas mal d’ennuis
Il faudra sans doute encore de longs jours pour que la lumière soit faite sur les accusations visant Dominique Strauss-Kahn. Mais les témoignages évoquant un comportement problématique avec les femmes se multiplient. Dans un entretien récent avec Libération, il mentionnait lui-même cet aspect dans les points sur lesquels il pensait pouvoir être attaqué, tout en contestant tout geste problématique.
Et qu’elle concerne, finalement, le directeur du FMI ou non, la question reste intéressante: avoir des désirs sexuels omniprésents constitue-t-il une pathologie? Et, le cas échéant, peut-on la traiter? Nous l’avons posée à Francesco Bianchi-Demicheli, médecin responsable de la consultation de sexologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Le Temps: Trop aimer le sexe, c’est grave?
Francesco Bianchi-Demicheli : En soi, non. Ce qu’on appelle l’hypersexualité se situe dans un continuum, qui va de personnes qui n’ont pas ou peu d’intérêt pour la sexualité à d’autres qui y pensent presque constamment. Pendant longtemps, on s’est surtout intéressé aux premières. La seconde catégorie comprend de nombreux individus qui trouvent le moyen de vivre harmonieusement une sexualité très active, en fantasmes ou en actes, voire sont très fiers de leurs performances et ne songeraient pas à consulter. Mais certains connaissent ou provoquent une grande souffrance.
– Qu’est-ce qui cause cette souffrance?
– Souvent, c’est le rapport avec l’entourage. Cela peut être le fait que la consommation répétée de pornographie cause des problèmes au travail. Ou une détérioration des rapports avec un partenaire qui n’a pas forcément les mêmes désirs. Cela peut engendrer de l’incompréhension,
voire de vraies crises de couple. Parfois, dans ces cas, c’est le partenaire que nous jugerions normal qui vient consulter car l’autre lui reproche sa froideur sexuelle… Mais souvent les personnes qui consultent ont un autre trouble qui se cumule avec leur appétit sexuel anormalement élevé: une paraphilie, c’est-à-dire une fixation stéréotypée sur un objet ou un comportement spécifique, comme par exemple la pédophilie ou le sadisme sexuel, ou une difficulté marquée à contenir leurs pulsions qui peuvent les amener à des comportements socialement inacceptables.
– Là encore, ce sont donc surtout les problèmes avec l’environnement qui amènent à consulter?
– Oui. Parfois même les traitements interviennent à la suite d’une décision judiciaire.
– Et en quoi consistent ces traitements?
– Les HUG ont créé il y a quarante ans une consultation universitaire de sexologie. Pour ces cas, ils collaborent avec la Division d’abus de substances: les modèles théoriques et les approches thérapeutiques développées autour de l’addiction peuvent en effet être utiles pour traiter les pathologies liées à l’hypersexualité. Concrètement, nos patients peuvent se voir proposer des psychothérapies, un traitement médicamenteux ou une prise en charge proprement sexologique, qui vise à réhabiliter la part émotionnelle de leur vécu sexuel.
– Il y a donc une pilule de la normalité sexuelle?
– Il y a des substances qui peuvent diminuer voire supprimer la libido. Certains patients les demandent, parfois leur introduction doit être longuement négociée et on les réserve en général aux cas sévères. Par ailleurs, certains antidépresseurs sont efficaces pour renforcer la capacité à contrôler ses pulsions.
– Y a-t-il une personnalité type liée à l’hypersexualité?
– On peut surtout identifier des facteurs déclencheurs – certains stimuli, la colère ou la frustration, par exemple. Le travail psychothérapeutique porte alors sur l’identification et la maîtrise de ces facteurs.
– Les genres sont-ils égaux devant l’hypersexualité?
– Oui. On estime que 7 à 8% de la population porte un intérêt presque exclusif à la sexualité et cela concerne autant de femmes que d’hommes. En revanche, les hommes sont nettement plus concernés par les paraphilies et consultent donc plus.
– Les grands prédateurs sexuels sont-ils des hypersexuels?
– Ce sont avant tout des psychopathes, un trouble qui est lui aussi nettement plus répandu chez les hommes. Ils présentent parfois une hypersexualité et/ou une paraphilie, mais ce n’est pas toujours le cas.
EN LIENS:
Affaire Strauss-Kahn : La justice américaine révélée à la France
Affaire Strauss-Kahn : Toute affaire cessante au FMI l’ère post-DSK a déjà commencé
L’omerta sur la sexualité des politiques en France a couvert les dérapages de «DSK»
Affaire Strauss-Kahn : Un champ de ruines derrière DSK
Affaire Strauss Kahn : DSK, l’affaire qui bouleverse la campagne présidentielle française
L’affaire Strauss-Kahn en Une des grands journaux américains
If he knows French literature well, he already has an escape plan set out for him: http://andreasmoser.wordpress.com/2011/05/18/dominique-strauss-kahn-rikers-island/