Sexe et pouvoir, l’entêtant tête-à-tête
Dominer, c’est avoir le droit de posséder tout le monde. Dans le sillage de l’inculpation de Dominique Strauss-Kahn, Anna Lietti s’interroge sur l’origine et la persistance de ce très archaïque postulat
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Aux auteurs du livre Sexus Politicus (1), Jean-Paul Huchon, aujourd’hui président du Conseil régional d’Ile-de-France et ami solidaire de Dominique StraussKahn, a raconté son arrivée comme jeune énarque au Ministère des finances de la République française: le rituel d’affranchissement des nouveaux venus «consistait à les amener à une sorte de point de vue, dans un étage élevé, pour jeter un œil dans un bureau où, tous les jours à midi, un haut fonctionnaire se faisait administrer une prestation de qualité par une assistante».
C’était dans les années 1970 et les mentalités ont changé? On en doute en entendant l’éditorialiste parisien Jean-François Kahn chercher goulûment ses mots pour qualifier les faits qui sont reprochés à l’ex-directeur du Fonds monétaire international inculpé à New York: viol? Harcèlement sexuel? Allons donc, tout au plus «un troussage de domestique». Il est vrai que Jean-François Kahn, dans un deuxième temps, s’est excusé de ce dérapage verbal. N’empêche, la culture française de la complaisance «paillarde» est bien vivante. Sa spécialité consiste à diluer la violence dans la joliesse désuète des mots d’autrefois.
Scènes de la vie des grands singes
Arrêt sur image. Plus que toutes les «affaires» politico-sexuelles qui font régulièrement la une de l’actualité, cette tranquille scène de la vie quotidienne dans les hauts étages de l’administration française corrobore l’affirmation des éthologues: il reste en l’homme quelque chose du grand singe, et l’observation de ce dernier peut beaucoup nous apprendre. Par exemple lorsqu’on s’interroge, dans le sillage de «l’affaire DSK», sur la nature exacte du rapport entre sexe et pouvoir.
Sous l’angle de la biologie originelle, l’affaire est simple. Non seulement le mâle dominant est celui qui dispose de toutes les femelles, mais la priorité dont il jouit constitue la raison d’être première de sa position: le sexe est chez lui le moteur du pouvoir.
Pourquoi? Parce que, sous le ciel limpide de la logique évolutive, le but d’une vie est de «maximiser son patrimoine génétique», résume le primatologue bâlois Jörg Hess. Pour un mâle, cela revient concrètement à planter sa semence dans le plus grand nombre de ventres possible.
Les femelles sont soumises à la même logique, ajoute le psychothérapeute et éthologue genevois Rolf Schäppi. «Mais, étant préposées à l’enfantement, elles ne peuvent avoir la même stratégie. Elles misent sur la qualité et non sur la quantité.» Leur mission biologique est de choisir le meilleur fécondateur et le plus apte à assurer au petit à naître une enfance protégée.
De cette archaïque feuille de route, il nous reste quelque chose, même si l’enjeu de la reproduction est rarement conscient, concède Rolf Schäppi: «Ce que nous percevons, c’est sa traduction en désir sexuel.»
C’est ainsi qu’en cette aube de XXIe siècle, le pouvoir de l’homme reste un puissant aphrodisiaque non seulement pour lui-même, mais également pour sa partenaire: 67% des Anglaises déclarent atteindre un meilleur orgasme dans les bras d’un amant en position sociale dominante. «Entre l’homme puissant et le bel homme, les femmes continuent de préférer le premier, résume le sexologue genevois Willy Pasini, qui cite les désespérantes données anglaises dans un livre sur la séduction à paraître ces jours-ci (2). Côté masculin, «à partir d’un certain niveau de pouvoir, le fait d’avoir plusieurs femmes est considéré comme normal, résume Rolf Schäppi. On est simplement passé du harem à la polygynie successive.» Disons, plus ou moins successive.
Compulsifs et prédateurs
Mais l’éclairage éthologique atteint vite ses limites, le primatologue est le premier à en convenir: «Il y a, chez l’homme, une déformation de la personnalité au contact du pouvoir qui ne relève pas de la biologie», observe Jörg Hess. Il pense au sentiment d’impunité, à l’impression de vivre dans un monde à part où plus aucune règle ne vient contraindre vos désirs: une impression souvent confortée par les faits. Ce qui fait de la position de dominance un terrain de jeu privilégié pour les petits et grands séducteurs, pour les compulsifs comme pour les grands pervers.
Si l’abus de pouvoir privilégie volontiers le registre sexuel, c’est que, comme le rappellent les sexologues au grand dam des égalitaristes angéliques, il y a une certaine forme d’agressivité dans toute rencontre des corps. «Cela ne nous empêche pas de faire une nette différence entre un appétit sexuel sain ou pathologique», précise Francesco Bianchi-Demicheli, médecin responsable de la consultation de sexologie aux Hôpitaux universitaires de Genève.
La plupart des pathologies sexuelles, note le spécialiste, ont le pouvoir comme pivot. «A commencer par le masochisme, où, contrairement aux apparences, le dominé tient les manettes en contrôlant l’excitation de l’autre.» Mais il y a aussi ceux qui «érotisent le pouvoir» pour lui-même: les grands narcissiques, qui ont un besoin pathologique d’exercer leur dominance. Et qui en tirent une jouissance qui n’est pas nécessairement sexuelle: «Ils peuvent bien sûr abuser de leur position pour obtenir des faveurs sexuelles mais, souvent, ils privilégient l’humiliation verbale.»
En comparaison des grands prédateurs, les personnes souffrant d’addiction sexuelle font figure de pauvres bougres malchanceux. Mais, là aussi, l’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît. «Le plus souvent, le compulsif sexuel, comme le boulimique, est mû avant tout par des besoins émotionnels, explique le sexologue genevois Dominique Chatton. Il ne peut se contenter d’une décharge solitaire, il a besoin d’entrer en relation car l’autre est pour lui un objet de réassurance. Mais il est aussi incapable de rester, et repart aussitôt rassuré.»
Le «sexual addict» est en principe «en proie à une lutte intérieure». Bourré de remords et profondément ambivalent. Sauf quand sa position de dominance sociale lui a fait perdre toute notion de culpabilité? C’est apparemment l’hypothèse de Sharon O’Hara, directrice du Sexual Recovery Institute à Los Angeles, spécialisé dans l’addiction sexuelle: «C’est une question de pouvoir et de droits que l’on s’octroie», dit-elle pour expliquer l’abondance de stars qui viennent la consulter.
Sauf quand, habitué à avancer sur un tapis de femmes alanguies à son approche, il se heurte à une récalcitrante de rien du tout et franchit le seuil de la violence? En lisant la presse ces jours-ci, les spécialistes ne peuvent s’empêcher de formuler des diagnostics «in petto». Pour le violeur présumé du Sofitel de New York, ils hésitent entre «compulsif» et «prédateur».
Où sont les banquiers?
Des hommes politiques en pagaille et des stars de l’écran. C’est dans ces catégories que l’on recrute le plus de célébrités tombées pour des scandales sexuels. Pas étonnant, commente Willy Pasini, puisque «ce sont des métiers où la séduction occupe une place centrale». Chez les ogres moins célèbres dont on détecte l’existence dans les conversations avec les thérapeutes, le grand professeur en médecine tient une place de choix.
Le secteur de l’économie semble nettement moins représenté: où sont les grands capitaines d’industrie? Les puissants banquiers brasseurs de millions? «J’ai eu un patient banquier, répond un sexologue. Il avait des cadenas aux tétons et aux testicules. Sa maîtresse le tenait d’une main de fer.» «Les juges et les policiers ne manquent pas parmi les clients des dominatrices, note son confrère. Comme si, à force de commander, certains avaient besoin d’érotiser la position inverse.»
Il n’est pas absurde d’imaginer une distribution socioprofessionnelle des pathologies sexuelles. Les pédophiles ne sont-ils pas naturellement attirés vers les professions qui les mettent en contact avec des enfants?
Mais les thérapeutes ne disposent d’aucun élément qui leur permettrait une généralisation. Et, du côté des chercheurs, «il n’existe, étrangement, aucune donnée de ce type», dit Eric Widmer, professeur de sociologie à l’Université de Genève.
Une lacune qui sera partiellement comblée bientôt, grâce à une étude en cours à Genève sur le désir sexuel, «qui tiendra compte de la variante psychosociale». On saura peut-être enfin si l’image du banquier fouetté n’est qu’un fantasme de pauvre.
Où sont les femmes?
«La boulimie sexuelle existe, bien sûr, également chez la femme: elle s’appelle la nymphomanie et elle est tout aussi fréquente que l’addiction sexuelle masculine», affirme Willy Pasini.
N’empêche: en matière de combinatoire entre sexe et pouvoir, le tableau résiste à la symétrie. Le pouvoir féminin s’exerce de préférence de manière indirecte. La figure de la femme à la fois politiquement puissante et dévoreuse de mâles reste une exception, et Catherine II de Russie, l’impératrice aux mille amants, son incarnation la plus célèbre.
Le fait est qu’une femme en position sociale de dominance suscite des émotions sexuelles plus mélangées qu’un homme: «Souvent, elle fait peur», observe Willy Pasini.
Peut-être pas pour longtemps. Voici venir la femme «couguar», qui foule de ses stilettos les moquettes directoriales avant d’inviter au restaurant son jeune amant ravi. La question est: échappera-t-elle à l’abus de pouvoir?
1. Sexus Politicus , de Christophe Deloire et Christophe Dubois.
Ed. Albin Michel, 2006.
2. Les Armes de la séduction,
de Willy Pasini, Ed. Odile Jacob,
à paraître.
Par Anna Lietti
EN COMPLEMENT : Matricule 1225782 Par Marie-Hélène Miauton
Pouvoir rime avec devoir, celui de ne pas prêter le flanc à la critique, que ce soit sur le plan professionnel ou privé. Nul n’y parvient vraiment, soit, mais l’incroyable indécence de DSK prouve que lui s’en fichait complètement.
Car, malgré tous les commentaires périphériques sur les conséquences de cette affaire, sur l’homme déchu, sur la gauche française décapitée, sur le FMI orphelin, sur le cours de l’euro ou sur le sort du Portugal… il faut garder en mémoire l’homme de 62 ans, nu, exhibant son rut bedonnant, au mieux séduisant la soubrette, au pire la forçant à un rapport, vite fait bien fait, juste avant de s’en aller déjeuner avec sa propre fille… Quoi qu’en pense le peuple français qui crie au complot, cela n’est pas cocasse, c’est abject.
L’émancipation des femmes, particulièrement chère aux socialistes, passe par le devoir de ne pas les confondre avec des sextoys, qu’elles soient nettoyeuses dans un hôtel ou journalistes lors d’une interview, blanches ou noires, jeunes ou vieilles, belles ou non. Et de respecter la sienne en particulier qui ne cesse d’avaler des couleuvres depuis 20 ans de mariage. Que DSK ait tenu à évoquer dans sa lettre de démission au FMI, c’est-à-dire dans un courrier purement professionnel, «ma femme que j’aime plus que tout au monde» relève moins d’un sincère repentir public que d’une instrumentalisation pour faire pleurer dans les chaumières. La guimauve habituelle!
Par ailleurs, il faut craindre que le procès tourne à charge de la victime présumée. On aura droit à tout: fille mère très jeune, donc légère, élevant seule sa fille avec peu d’argent, donc peu regardante sur les moyens de s’en procurer. Si elle est belle, elle l’aura aguiché, si elle est laide, impossible qu’il l’ait désirée. La défense l’accablera de toute façon car le système américain est à double tranchant. Le prévenu est exhibé avant d’être jugé mais les victimes, elles, sont dépecées par les avocats. Les enjeux financiers sont tellement énormes qu’ils finissent par réduire la justice à l’argent. Parions (tant mieux pour elle) que la jeune femme touchera un chèque à six zéros pour sa peine!
Mais quittons New York pour Paris, où cette lamentable histoire met en lumière les manquements au devoir d’informer de la presse. Car c’est un secret de polichinelle que les agissements de DSK étaient depuis longtemps indignes d’un futur chef d’Etat. Ce n’est qu’aujourd’hui, l’homme étant à terre, que la liste de ses casseroles, sexuelles ou non, est rappelée au public, en particulier les affaires de faux ou de trafic d’influence qui l’ont amené à renoncer à son portefeuille ministériel en 1999. Les non-lieux prononcés par la justice à l’époque prouvent-ils son innocence ou la qualité de ses soutiens?
Toutefois, réjouissons-nous. Grâce à cette aventure, la France s’évite un président aussi gauche caviar que l’actuel est bling-bling (la Porsche de Ramzi Khiroun vaut bien le yacht de Bolloré), pas franchement regardant sur l’éthique professionnelle ni privée, et qui aurait remis au goût du jour le droit de cuissage à l’Elysée!
source le Temps mai11